Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'ordonner une nouvelle expertise médicale et de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse à lui verser une somme de 150 000 euros en réparation des préjudices consécutifs
à l'intervention chirurgicale subie le 19 septembre 2011 dans cet établissement.
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Corrèze a demandé la condamnation du CHU de Toulouse à lui rembourser ses débours pour un montant total de 118 241,35 euros et à lui verser l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 1404246 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à M. E... la somme de 50 000 euros, a rejeté les conclusions de la CPAM de la Corrèze, a mis à la charge de l'ONIAM les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros ainsi qu'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et
a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. E....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 avril et 19 octobre 2017, l'ONIAM, représenté par Me C..., a demandé à la cour d'annuler ce jugement
du 9 mars 2017 et de prononcer sa mise hors de cause, et subsidiairement d'ordonner l'organisation d'une nouvelle mesure d'expertise.
Par des mémoires enregistrés les 18 juillet et 29 novembre 2017,
M. E..., représenté par Me D..., a demandé à la cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du 9 mars 2017 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a rejeté sa demande d'expertise médicale et a fixé forfaitairement son indemnisation à la somme de 50 000 euros, d'ordonner avant-dire droit une nouvelle expertise médicale, et, dans l'hypothèse où cette nouvelle expertise établirait des fautes, de condamner le CHU de Toulouse à l'indemniser de ses préjudices à hauteur d'une somme totale qui ne saurait être inférieure à 150 000 euros, sous réserve d'ajustement après le dépôt du rapport d'expertise, et dans l'hypothèse où la nouvelle expertise n'établirait pas de fautes, de condamner l'ONIAM au versement de la même somme au titre de la solidarité nationale, et enfin de mettre à la charge du CHU de Toulouse, ou à défaut de l'ONIAM, une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par des mémoires enregistrés les 14 juin, 21 août, 10 novembre et 12 décembre 2017, le CHU de Toulouse, représenté par la SELARL Montazeau et Cara, a conclu au rejet de la requête de l'ONIAM et des conclusions de M. E....
Par un arrêt du 14 mai 2019, la cour a annulé le jugement du 9 mars 2017 du tribunal administratif de Toulouse et a ordonné, avant-dire droit, une expertise médicale, à l'effet de l'éclairer sur les conditions dans lesquelles M. E... a été pris en charge lors de l'intervention chirurgicale du défilé thoraco-brachial réalisée le 19 septembre 2011 au CHU de Toulouse, de déterminer si cette prise en charge a été exempte de manquement, de préciser si M. E... a reçu une information complète avant l'acte de soins, de déterminer l'origine du dommage subi par M. E..., en précisant la probabilité que le dommage avait de survenir en raison de l'acte de soins en cause ou du fait de l'évolution spontanée de son état antérieur, en cas de manquement, de l'éclairer sur le point de savoir si ce manquement n'avait entrainé qu'une perte de chance d'échapper au dommage, et enfin de l'éclairer sur la nature et l'étendue des préjudices résultant de la prise en charge hospitalière de M. E....
L'expert désigné a remis son rapport le 4 décembre 2019 et les parties ont été invitées à présenter leurs observations.
Par un mémoire enregistré le 17 décembre 2019, l'ONIAM conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures et demande à la cour de mettre à la charge du CHU de Toulouse une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par des mémoires enregistrés les 20 janvier, 6 mars et 20 mars 2020, le CHU de Toulouse demande à la cour de modérer les prétentions indemnitaires de M. E... et de la CPAM de la Corrèze, et de rejeter la demande de l'ONIAM sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a pris connaissance du rapport d'expertise concluant à sa responsabilité ;
- le préjudice moral lié au défaut d'information ne saurait être évalué à une somme excédant 2 000 euros dans la mesure où M. E... n'a pas subi de perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ;
- les demandes indemnitaires de M. E... sont excessives s'agissant du déficit fonctionnel temporaire, du déficit fonctionnel permanent, des souffrances endurées et du préjudice sexuel ; l'intéressé n'établit pas avoir subi un préjudice d'agrément ;
- M. E... était en arrêt de travail avant l'intervention chirurgicale litigieuse et a été mis en invalidité catégorie 2 à compter du 1er janvier 2015 pour une coronaropathie non traitée ; son impossibilité de reprendre son ancienne activité professionnelle est donc liée à sa maladie cardiaque ; l'intéressé a tenté une reconversion professionnelle en comptabilité qui était inadaptée à son cas et, compte tenu de son âge, à la possibilité de se reconvertir, de sorte que l'incidence professionnelle revêt un caractère purement éventuel ; il n'a pas davantage subi de perte de revenus ;
- la caisse ne peut obtenir le remboursement des frais hospitaliers correspondant à l'hospitalisation initialement prévue, qui auraient été exposés même sans complication ;
- si la caisse peut obtenir le remboursement des arrérages de la pension d'invalidité catégorie 1 du 17 avril 2013 au 31 décembre 2014, ses prétentions relatives à la pension d'invalidité de catégorie 2 versée à M. E... pour sa pathologie coronarienne sont infondées.
Il soutient que :
- il résulte des conclusions de l'expert que le dommage est imputable à une maladresse fautive lors de l'intervention chirurgicale ; le CHU de Toulouse a d'ailleurs admis cette faute au cours des opérations d'expertise ;
- le dommage est entièrement imputable à la faute du CHU, et l'expert exclut expressément que le dommage puisse trouver son origine dans un accident médical non fautif.
Par un mémoire enregistré le 13 février 2020, M. E... demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 9 mars 2017, de condamner le CHU de Toulouse à lui verser une somme totale de 210 532,04 euros en réparation de ses préjudices, et de mettre à la charge du CHU de Toulouse les frais des expertises ordonnées par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse et la cour ainsi que des sommes de, respectivement, 1 000 euros pour le référé expertise, et 3 000 euros et 5 000 euros au titre des frais exposés en première instance et en appel et non compris dans les dépens.
Il soutient que :
- le centre hospitalier ne conteste plus sa responsabilité tenant à un défaut d'information, à une maladresse fautive dans le geste opératoire et à un manquement dans la surveillance post-opératoire ;
- il n'a pas été informé, avant l'intervention, sur les risques vasculaires et de paralysie phrénique ; s'il aurait probablement accepté l'opération, il subit un préjudice moral du fait de ne pas avoir reçu l'information légalement prévue ; il n'a pas davantage été informé des complications apparues à la suite de l'intervention, pourtant mises en évidence par des clichés radiographiques ; cette dissimulation lui a également causé un préjudice moral ; il demande
6 000 euros à ce titre ;
- les fautes médicales commises lors de l'opération et durant le suivi post-opératoire sont à l'origine directe de ses séquelles respiratoires, qui sont sans lien avec son état antérieur ;
- il a subi un déficit fonctionnel temporaire, total puis partiel, pour lequel il demande respectivement 180 et 3 996 euros, et conserve un déficit fonctionnel permanent de 30 % en raison de son déficit respiratoire définitif ; l'altération de ses fonctions respiratoires est à l'origine d'une dépression réactionnelle et de perturbations digestives ; il demande 90 000 euros pour ces préjudices ;
- ses souffrances ont été sous-évaluées par l'expert et doivent être indemnisées à hauteur de 6 000 euros ; il a en effet subi un chylothorax, une plaie à la plèvre, une gêne respiratoire importante, une crise de sudation, une gêne à la déglutition, de la fatigue et des soins infirmiers ;
- ayant été contraint d'interrompre ses activités de kayak, vélo et randonnées auxquelles il s'adonnait régulièrement, il a subi un préjudice d'agrément justifiant une indemnité de 5 000 euros ;
- il a droit à la réparation de son préjudice sexuel à hauteur de 5 000 euros ; en effet, si ses fonctions sexuelles n'ont pas été altérées, la dyspnée résultant de son insuffisance respiratoire a eu des incidences sur sa vie sexuelle, et son épouse a d'ailleurs quitté le domicile conjugal en avril 2019 ;
- l'expert a retenu l'existence d'une incidence professionnelle ; son licenciement ne trouve pas son origine dans son accident cardiaque mais dans l'impossibilité de reprendre son poste antérieur ou tout autre poste dans l'établissement après l'intervention litigieuse ; l'expert souligne d'ailleurs qu'il ne conserve aucune séquelle de son accident cardiaque ; il doit être indemnisé au titre de sa perte de revenus à hauteur de 75 356,04 euros; n'ayant pas les capacités requises pour exercer un travail de bureau, il a en outre subi une dévalorisation sur le marché du travail justifiant une indemnité de 20 000 euros.
Par des mémoires enregistrés les 6 mars et 19 juin 2020, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Corrèze, représentée par Me F..., demande à la cour d'annuler le jugement du 9 mars 2017 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a rejeté ses demandes, de condamner le CHU de Toulouse à lui verser une somme de 146 459,04 euros au titre de ses débours et une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de mettre à la charge du CHU de Toulouse les dépens ainsi qu'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité du CHU de Toulouse est engagée à raison des fautes commises tenant à un manquement à son devoir d'information, à un acte médical fautif et à une insuffisante surveillance post-opératoire ; l'insuffisance respiratoire dont M. E... est définitivement atteint est entièrement imputable aux fautes du centre hospitalier ;
- elle établit le montant de sa créance par la production du détail des prestations servies à M. E... et l'attestation d'imputabilité rédigée par son médecin-conseil.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G... A...,
- les conclusions d'Aurélie Chauvin, rapporteur public,
- et les observations de Me Macicior, avocat, représentant l'ONIAM, de Me D..., avocat, représentant M. E... et celles de Me Montazeau, avocat, représentant le CHU de Toulouse.
Considérant ce qui suit :
1. Présentant un syndrome du défilé thoraco-brachial gauche consistant en des faiblesses musculaires dans son bras gauche associées à des paresthésies, M. E..., né le 16 novembre 1969, a bénéficié le 19 septembre 2011 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse d'une intervention chirurgicale de résection de la première côte afin de libérer les compressions nerveuses et artérielles, à la suite de laquelle il a présenté des troubles respiratoires et digestifs. Estimant que ces séquelles étaient en lien avec une faute commise par le chirurgien ayant pratiqué l'intervention, M. E... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse d'une demande d'expertise à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 21 février 2013. M. E..., en désaccord avec le rapport d'expertise qui concluait à l'absence de faute, a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'ordonner une nouvelle expertise médicale et de condamner le CHU de Toulouse à l'indemniser des préjudices subis à la suite de l'intervention chirurgicale réalisée
le 19 septembre 2011 à hauteur d'un montant de 150 000 euros. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Corrèze a demandé au tribunal administratif de condamner le CHU de Toulouse à lui rembourser ses débours et à lui verser l'indemnité forfaitaire de gestion.
2. Par un jugement n° 1404246 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Toulouse, après avoir appelé l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à la cause, a condamné cet office à verser à M. E... une somme de 50 000 euros en réparation de ses préjudices, a rejeté les conclusions de la CPAM de la Corrèze, a mis à la charge de l'ONIAM les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros ainsi qu'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. E.... L'ONIAM a relevé appel de ce jugement. Par un arrêt du 14 mai 2019, la cour a annulé le jugement du 9 mars 2017 du tribunal administratif de Toulouse et a ordonné, avant-dire droit, une expertise médicale. L'expert désigné, chirurgien thoracique et cardiovasculaire, a remis son rapport le 4 décembre 2019, et les parties ont été invitées à présenter leurs observations. Dans le dernier état de leurs écritures, M. E... demande à la cour de condamner le CHU de Toulouse à lui verser une somme totale de 210 532,04 euros en réparation de ses préjudices, et la CPAM de la Corrèze demande la condamnation du même établissement à lui verser une somme de 146 459,04 euros au titre de ses débours et une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les conclusions de l'ONIAM tendant à sa mise hors de cause :
3. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ". Les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l'ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article, et excluent toute indemnisation par l'office si le dommage est entièrement la conséquence directe d'un fait engageant leur responsabilité.
4. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise ordonnée par la cour,
que M. E... a présenté, à la suite immédiate de l'intervention du 19 septembre 2011, une paralysie phrénique gauche. L'expert indique que cette paralysie pouvait être constatée dès le 20 septembre 2011, l'examen radiologique réalisé à cette date révélant une ascension de la coupole diaphragmatique gauche, et que M. E... s'est plaint dès la première consultation post-opératoire du 22 novembre 2011 d'un important essoufflement. L'expert précise également que les antécédents de M. E..., notamment son tabagisme actif et son surpoids, n'ont pu jouer aucun rôle causal dans la survenance de cette paralysie. Selon la même expertise, la paralysie de la coupole diaphragmatique gauche dont M. E... reste définitivement atteint a pour origine une maladresse chirurgicale commise lors de l'intervention du 19 septembre 2011, tenant soit à une compression du nerf phrénique soit à une section accidentelle de ce nerf. L'expert précise encore que, lors d'une telle intervention, le nerf phrénique, situé dans un plan profond qui ne comporte pas de tissu adipeux, doit être identifié et délicatement immobilisé afin d'éviter tout traumatisme. Il résulte ainsi des conclusions de l'expertise, qui ne sont d'ailleurs pas contestées par le CHU de Toulouse sur ce point, que le dommage subi par M. E... est entièrement la conséquence directe d'une maladresse chirurgicale fautive lors de l'intervention du 19 septembre 2011 au CHU de Toulouse.
5. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.
6. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions présentées par M. E... et la CPAM de la Corrèze tendant à la condamnation du CHU de Toulouse à les indemniser.
Sur la responsabilité du CHU de Toulouse :
En ce qui concerne la faute médicale :
7. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la maladresse chirurgicale commise lors de l'intervention du 19 septembre 2011, qui est constitutive d'une faute, est à l'origine du dommage de M. E... consistant en une paralysie définitive de la coupole diaphragmatique gauche.
8. En revanche, si M. E... fait valoir en outre que des manquements ont été commis au cours de sa surveillance post-opératoire, l'expert précise que le dommage est survenu au décours de l'intervention chirurgicale et présente un caractère définitif, sans indiquer qu'une surveillance post-opératoire adaptée aurait pu en atténuer ou en aggraver les conséquences. Dans ces conditions, M. E... ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre le dommage invoqué et les fautes commises au cours de la surveillance post opératoire.
En ce qui concerne le défaut d'information :
9. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) ". En application de ces dispositions, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. Il suit de là que la circonstance qu'un risque de décès ou d'invalidité répertorié dans la littérature médicale ne se réalise qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de le porter à la connaissance du patient. Toutefois, en cas d'accident, le juge qui constate que le patient n'avait pas été informé du risque grave qui s'est réalisé doit notamment tenir compte, le cas échéant, du caractère exceptionnel de ce risque, ainsi que de l'information relative à des risques de gravité comparable qui a pu être dispensée à l'intéressé, pour déterminer la perte de chance qu'il a subie d'éviter l'accident en refusant l'accomplissement de l'acte.
10. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise ordonnée par la cour, qu'une paralysie diaphragmatique définitive pouvait survenir à la suite d'une intervention telle que celle pratiquée en l'espèce dans 1 à 2,5 % des cas. Ainsi, alors même qu'il ne se réalise que rarement, ce risque, répertorié dans la littérature médicale, constituait un risque grave normalement prévisible au sens des dispositions précitées de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique et aurait dû, par suite, être porté à la connaissance de M. E.... Or, il est constant que ce dernier n'a pas été informé de ce risque avant que soit pratiquée l'intervention du 19 septembre 2011. Il résulte cependant tant de l'expertise que des écritures de M. E... que ce dernier, s'il avait été informé de ce risque, n'aurait pas renoncé à l'accomplissement de cette intervention. Il n'a ainsi pas perdu une chance d'éviter la survenance du dommage en refusant l'accomplissement de l'acte.
11. En revanche, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée. Il suit de là que la responsabilité du CHU de Poitiers est engagée à raison du préjudice moral subi par M. E... du fait du manquement de cet établissement à son obligation d'information.
Sur la réparation :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des pertes de gains professionnels :
12. Il résulte de l'instruction que M. E... exerçait, antérieurement
à la survenance du dommage, l'activité professionnelle de magasinier-chauffeur-livreur.
Les séquelles respiratoires conservées à la suite de l'intervention du 19 septembre 2011 l'empêchant, ainsi que cela résulte des fiches médicales établies les 19 novembre
et 4 décembre 2012, de soulever des charges lourdes et de rester debout de manière prolongée, l'intéressé a été déclaré inapte à l'exercice de son emploi et licencié pour ce motif à la fin de l'année 2012. A compter du 17 avril 2013, il a bénéficié d'une pension d'invalidité de catégorie 1 d'un montant de 507 euros par mois. A la suite d'une coronaropathie survenue au cours de l'année 2014, il a bénéficié, sur le fondement de l'article L. 341-11 du code de la sécurité sociale, d'une révision de sa pension en raison de la modification de son état d'invalidité, et a reçu en conséquence, à compter du 1er janvier 2015, une pension d'invalidité de catégorie 2 d'un montant de 864, 20 euros par mois.
13. Le requérant demande l'indemnisation d'une perte de gains professionnels qu'il évalue à 75 356, 04 euros en se basant sur la différence entre le montant de ses salaires antérieurement au dommage et le montant de la pension d'invalidité qu'il perçoit depuis
le 1er janvier 2015. Il résulte cependant de l'instruction que les troubles liés à sa paralysie phrénique, s'ils s'opposaient à l'exercice de certaines activités professionnelles, dont celle qu'il exerçait auparavant, ne faisaient pas obstacle à l'exercice d'une autre activité professionnelle, raison pour laquelle une pension de catégorie 1 lui a initialement été attribuée à raison de ces troubles. Il résulte d'ailleurs de ses avis d'impôt sur le revenu qu'au cours des années 2013 à 2016, l'intéressé a perçu, outre sa pension d'invalidité de catégorie 1, des revenus salariaux, de sorte que le montant total de ses revenus a été plus élevé que celui des salaires perçus au titre des années 2008 à 2010. Par ailleurs, il résulte tant de l'expertise que de l'attestation d'imputabilité établie par le médecin-conseil de la CPAM de la Corrèze que c'est en raison de la survenance d'une coronaropathie ayant aggravé son invalidité que l'intéressé a bénéficié, à compter du 1er janvier 2015, d'une pension d'invalidité de catégorie 2, correspondant à la situation dans laquelle un travailleur ne peut plus exercer d'activité professionnelle. Ainsi que le fait valoir le CHU de Toulouse, si M. E... a indiqué être, depuis le 1er janvier 2015, dans l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle, cette impossibilité ne trouve pas son origine dans le dommage invoqué mais dans l'aggravation, postérieure au dommage, de son invalidité, en raison d'une pathologie distincte. Il s'ensuit que M. E... ne démontre pas avoir subi, du fait du dommage dont il sollicite la réparation, une perte de gains professionnels. Sur ce point, ses conclusions indemnitaires ne peuvent donc pas être accueillies.
S'agissant de l'incidence professionnelle :
14. Il résulte de l'instruction que si M. E... était placé en arrêt de travail avant l'intervention du 19 septembre 2011 en raison des faiblesses musculaires et paresthésies affectant son bras gauche, la paralysie phrénique survenue au décours de cette intervention, qui a fait obstacle à l'exercice d'une profession impliquant une activité physique soutenue, est à l'origine exclusive de l'impossibilité pour l'intéressé de reprendre son ancienne activité de magasinier-chauffeur-livreur ou toute activité similaire. En revanche, l'impossibilité pour l'intéressé d'exercer toute activité depuis 2016 a pour cause l'aggravation de son invalidité, liée à sa coronaropathie. Dans ces conditions, il a subi, du fait de sa dévalorisation sur le marché du travail en lien avec la faute du centre hospitalier, un préjudice d'incidence professionnelle dont il sera fait une juste appréciation en lui allouant une somme
de 8 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
S'agissant du préjudice moral lié au défaut d'information :
15. Ainsi qu'il a été dit, M. E... a subi un préjudice moral du fait de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de se préparer psychologiquement à la réalisation du risque auquel il était exposé et qui s'est réalisé, consistant en une paralysie diaphragmatique gauche définitive entraînant des troubles respiratoires et digestifs. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant une somme de 2 000 euros.
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
16. Ainsi que le fait valoir le CHU de Toulouse, même en l'absence de faute, l'état initial de M. E... aurait nécessité une hospitalisation, et il ne résulte nullement de l'instruction que la durée de son hospitalisation aurait été augmentée en raison de la paralysie phrénique apparue au décours de l'intervention du 19 septembre 2011. Ce dernier n'est ainsi pas fondé à demander la réparation du déficit fonctionnel total subi durant son hospitalisation du 18 au 24 septembre 2011.
17. Il résulte en revanche de l'expertise ordonnée par la cour que M. E... a subi un déficit fonctionnel partiel évalué à 25 % pour la période allant du 25 septembre 2011 au 27 avril 2012, date de la fin de sa rééducation, et évalué à 10 % pour la période allant
du 28 avril 2012 au 23 octobre 2014, date à laquelle est fixée sa consolidation. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, après prise en compte des 45 jours de convalescence qui auraient suivi, même sans faute, l'intervention litigieuse, en allouant à M. E... une somme de 2 200 euros.
S'agissant des souffrances endurées :
18. M. E... a enduré des souffrances physiques et psychiques liées à l'altération de ses fonctions respiratoires et aux troubles digestifs et psychologiques consécutifs à sa paralysie phrénique gauche, évaluées par l'expert à 2,5 sur une échelle de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation du préjudice en résultant en lui allouant une somme de 2 500 euros.
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
19. Il résulte de l'instruction que M. E... reste atteint, depuis la consolidation de son état de santé, d'un déficit fonctionnel permanent lié à la réduction de 40 % de ses capacités respiratoires ainsi qu'aux troubles digestifs résultant de sa paralysie phrénique gauche, déficit qui a été évalué à 30 % par l'expertise ordonnée par la cour. Compte tenu de l'âge de M. E... à la date de consolidation, soit 44 ans, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant une réparation de 50 000 euros.
S'agissant du préjudice sexuel :
20. M. E... fait valoir que l'altération de ses capacités respiratoires a une incidence négative sur sa sexualité, et l'expert estime que le préjudice sexuel invoqué est " possible ". Dans ces conditions, et compte tenu de l'âge de M. E... à la date
de consolidation, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant une réparation de 2 000 euros.
S'agissant du préjudice d'agrément :
21. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise ainsi que de l'attestation et des clichés photographiques versés au dossier, que du fait de l'altération de ses capacités respiratoires, M. E... ne peut plus pratiquer les activités de canoë-kayak et de vélo qu'il exerçait régulièrement, notamment durant la période estivale, avant le fait générateur de responsabilité. Il sera fait une juste appréciation de son préjudice d'agrément en lui allouant une somme de 1 000 euros.
22. Il résulte de ce qui précède que le CHU de Toulouse doit être condamné à verser à M. E... une somme totale de 67 700 euros en réparation de ses préjudices.
Sur les droits de la CPAM de la Corrèze :
En ce qui concerne les débours :
23. Il résulte de l'instruction, en particulier du relevé détaillé de ses débours établi par la CPAM de la Corrèze ainsi que d'une attestation d'imputabilité établie par son médecin-conseil, que la caisse a exposé au profit de M. E... des débours, en lien avec la faute médicale commise par le CHU de Toulouse, correspondant à des frais médicaux et pharmaceutiques, au versement d'indemnités journalières pour une période fixée à 177 jours, après imputation de 45 jours correspondant à la convalescence qu'aurait requise, même sans faute, l'état de l'intéressé, et au versement d'une pension d'invalidité de catégorie 1 d'un montant annuel de 6 120, 51 euros à compter du 17 avril 2013. Ainsi que le fait valoir le CHU de Toulouse, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la faute médicale aurait eu pour conséquence d'augmenter la durée de l'hospitalisation de M. E..., la caisse n'est
pas fondée à solliciter le remboursement des frais hospitaliers exposés au profit de son assuré du 18 septembre 2011 au 24 septembre 2011. Par ailleurs, le CHU de Toulouse fait valoir
à juste titre que la révision de la pension d'invalidité de M. E... à compter
du 1er janvier 2015 a pour origine la survenue d'une pathologie sans lien avec le dommage en cause. Dans ces conditions, la caisse n'est fondée à solliciter, au titre des arrérages échus, que le remboursement d'une somme annuelle de 6120, 51 euros, correspondant au montant annuel d'une pension de catégorie 1, soit une somme totale de 44 374 euros à la date du présent arrêt. Dans ces conditions, le montant des débours exposés par la CPAM de la Corrèze en lien avec la faute du CHU de Toulouse doit être fixé, à la date du présent arrêt, à la somme totale de 50 541, 72 euros. Il y a ainsi lieu de condamner ledit établissement à verser cette somme à la caisse.
24. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la caisse a droit au remboursement de la pension d'invalidité qu'elle verse à M. E... à concurrence d'une somme annuelle de 6 120, 51 euros. La caisse fait une estimation prévisionnelle du capital correspondant, qu'elle évalue à 69 339, 26 euros. Le remboursement demandé par la caisse ne peut toutefois pas lui être accordé par le versement immédiat d'un capital représentatif des frais futurs correspondant aux arrérages de cette pension, faute d'accord pour un tel versement par le CHU de Toulouse. Dans ces conditions, il y a lieu de condamner le CHU de Toulouse à rembourser à la CPAM de la Corrèze ces frais futurs, correspondant à une somme annuelle de 6 120, 51 euros et dans la limite du capital demandé de 69 339, 26 euros, sur présentation de justificatifs au fur et à mesure qu'ils seront exposés.
En ce qui concerne l'indemnité forfaitaire de gestion :
25. Aux termes du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée ".
26. Eu égard au montant de la somme totale à laquelle elle a droit au titre de ses débours, actuels et futurs confondus, la CPAM de la Corrèze a droit au maximum de l'indemnité forfaitaire régie par les dispositions précitées, lesquelles ont prévu une actualisation annuelle dont le dernier montant, issu de l'arrêté du 27 décembre 2019, est fixé à 1 091 euros.
Sur les dépens :
27. En premier lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, taxés et liquidés à la somme de 1 000 euros, à la charge du CHU de Toulouse.
28. En second lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre également à la charge du CHU de Toulouse les frais de l'expertise ordonnée par l'arrêt avant dire-droit du 14 mai 2019, liquidés et taxés à la somme de 2 670 euros par l'ordonnance
du 15 janvier 2020 de la présidente de la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
29. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU de Toulouse une somme globale de 3 000 euros au titre des frais exposés en première instance et en appel par M. E... et non compris dans les dépens, ainsi qu'une somme
de 1 500 euros au titre des frais d'instance exposés par l'ONIAM. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la CPAM de la Corrèze sur le fondement
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.
Article 2 : Le CHU de Toulouse est condamné à verser à M. E... une indemnité
de 67 700 euros.
Article 3 : Le CHU de Toulouse est condamné à verser à la CPAM de la Corrèze une somme de 50 541, 72 euros en remboursement des débours exposés, et à lui rembourser ses débours futurs dans les conditions fixées au point 24 du présent arrêt.
Article 4 : Le CHU de Toulouse est condamné à verser à la CPAM de la Corrèze une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Article 5: Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif
de Toulouse, taxés et liquidés à la somme 1 000 euros, et les frais de l'expertise ordonnée
avant-dire droit par l'arrêt de la cour du 16 juillet 2019, taxés et liquidés à la somme
de 2 670 euros, sont mis à la charge du CHU de Toulouse.
Article 6 : Le CHU de Toulouse versera à M. E... une somme de 3 000 euros
sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le CHU de Toulouse versera à l'ONIAM une somme de 1 500 euros
sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à M. B... E..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime et au centre hospitalier universitaire de Toulouse.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
Mme G... A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 juillet 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 17BX01215
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