Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de désigner un expert afin d'évaluer le préjudice lié à l'aggravation de son état de santé et de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une indemnité de 438 718,44 euros au titre de ses pertes de revenus professionnels.
Par un jugement n° 1304047 du 17 mars 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 16BX01630 du 20 mars 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel de M. D....
Par une décision n° 420825 du 13 mai 2019, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi présenté par M. D..., a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 mai 2016, M. D..., représenté par la SCPI Bugis Peres Ballin Renier Alran, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1304047 du 17 mars 2016 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) de désigner un expert afin d'évaluer le préjudice consécutif à l'aggravation de son état de santé ;
3°) de condamner l'ONIAM à lui verser une indemnité de 438 718,44 euros au titre de ses pertes de gains professionnels ;
4°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'ONIAM n'a pas contesté l'aggravation de son état de santé caractérisée par l'évolution de la cirrhose ayant nécessité une transplantation hépatique réalisée en mai 2011 ; l'expertise sollicitée permettra d'évaluer cette aggravation ;
- la circonstance qu'il aurait été suffisamment indemnisé de son préjudice initial est sans incidence sur son droit à être indemnisé des conséquences de l'aggravation de son état de santé ;
- l'indemnité de 20 000 euros allouée par le jugement du tribunal de grande instance (TGI) de Toulouse du 18 décembre 2007 était relative à l'incidence professionnelle, et non à la perte de gains professionnels ; eu égard au salaire annuel moyen qu'il percevait avant l'attribution d'une pension d'invalidité, ses pertes de gains professionnels s'élèvent, après déduction de la pension d'invalidité capitalisée, à 438 718,44 euros jusqu'au 19 janvier 2023, date à laquelle il sera admis à la retraite.
Par un mémoire enregistré le 8 juillet 2016, la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn, représentée par la SCPI Rastoul Fontanier Combarel, demande à la cour de réserver ses droits dans l'attente du rapport d'expertise à intervenir, et de mettre à la charge de la partie perdante une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 juin 2017, l'ONIAM, représenté par
la SCP UGGC Avocats, conclut au rejet de la requête, et à titre subsidiaire ne s'oppose pas à une expertise.
Il fait valoir que :
- s'il est vrai que l'état de santé de M. D... s'était aggravé, le déficit fonctionnel permanent imputable à la contamination par le virus de l'hépatite C (VHC), qu'il convient d'évaluer à 18 % en application de la règle de Balthazar, a été entièrement indemnisé en exécution du jugement du TGI de Toulouse du 18 décembre 2007, lequel retient à tort une incapacité permanente partielle de 35 % ; le préjudice professionnel a également été indemnisé, et la situation professionnelle n'a d'ailleurs pas évolué ; ainsi, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande d'indemnisation de M. D... ;
- la réalisation d'une expertise serait sans utilité ; à titre subsidiaire, une éventuelle expertise devra permettre de vérifier si le préjudice a été intégralement indemnisé.
Après cassation :
Par un mémoire enregistré le 26 juillet 2019, M. D..., représenté par la SCPI Bugis Avocats, conclut aux mêmes fins que précédemment.
Il soutient en outre que :
- les préjudices dont il demande réparation pour aggravation de son état de santé sont différents de ceux qui étaient invoqués devant le TGI de Toulouse ;
- le déficit fonctionnel permanent de 35 % évalué par l'expert était en lien exclusif avec sa contamination par le VHC, et une expertise est nécessaire pour déterminer l'existence et l'ampleur de l'aggravation de ses préjudices.
Par un mémoire enregistré le 2 septembre 2019, la CPAM du Tarn conclut aux mêmes fins que précédemment.
Par un mémoire enregistré le 14 avril 2020, l'ONIAM, représenté par la SCP UGGC Avocats, conclut à titre principal à ce qu'une expertise soit ordonnée et à titre subsidiaire au rejet de la demande présentée au titre de la perte de gains professionnels, ou à tout le moins à ce qu'elle soit réduite à de plus justes proportions.
Il fait valoir que :
- il ne s'oppose pas à la demande d'expertise relative à l'aggravation de l'état de santé de M. D... ;
- alors même qu'elle a été limitée par le demandeur à la somme de 20 000 euros, l'indemnité allouée par le jugement du TGI de Toulouse du 18 décembre 2007 doit être regardée comme couvrant les pertes de gains professionnels, ce que conforte la somme allouée à la CPAM du Tarn au titre de la rente d'invalidité réparant les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle ; ainsi, tous les préjudices liés à la cessation de l'activité professionnelle de M. D... ont été réparés ;
- à titre subsidiaire, si la cour estime que le TGI de Toulouse n'a pas statué sur le préjudice économique et les pertes de gains professionnels, il conviendra d'ordonner une expertise portant sur l'intégralité des préjudices subis depuis la première indemnisation en tenant compte du fait que les séquelles de l'accident sont en partie à l'origine de la cessation d'activité, ce qui a conduit la CPAM du Tarn à limiter sa demande à 50 % des débours relatifs à l'invalidité de deuxième catégorie ;
- M. D... n'apporte aucun justificatif de ses revenus et pourra faire valoir ses droits à la retraite le 19 janvier 2022 à l'âge de 62 ans ; son calcul est erroné dès lors que la pension d'invalidité à déduire s'élève au total à 260 959 euros, et non à 92 530 euros ; 50 % seulement de la perte de revenus est imputable à la contamination par le VHC.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Ladoire, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., alors âgé de 19 ans, a été victime le 25 avril 1979 d'un grave accident de la circulation nécessitant plusieurs interventions chirurgicales à l'occasion desquelles il a reçu des transfusions de produits sanguins délivrés par le centre régional de transfusion sanguine (CRTS) de Toulouse. Des analyses réalisées en 1993 ont révélé sa contamination par le virus de l'hépatite C (VHC). Par un jugement du 5 juillet 2005, le tribunal de grande instance de Toulouse a retenu l'origine transfusionnelle de cette contamination et la responsabilité du CRTS, et ordonné une expertise. Par un jugement du 18 décembre 2007 devenu définitif, le même tribunal, sur la base d'un rapport d'expertise médicale du 12 septembre 2005, a condamné l'assureur du CRTS à verser une indemnité de 234 027,98 euros à l'intéressé et la somme de 157 396,87 euros à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Tarn. Après avoir bénéficié d'une transplantation hépatique le 22 mai 2011, M. D... a saisi l'ONIAM d'une demande d'indemnisation complémentaire au titre de l'aggravation de son état de santé et de ses pertes de gains professionnels, qui a été rejetée le 2 juillet 2013 au motif que l'intégralité de son préjudice devait être regardée comme réparée par la somme allouée par le juge judiciaire sur la base de calculs que l'ONIAM estime erronés. M. D... relève appel du jugement
du 17 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la désignation d'un expert chargé d'évaluer le préjudice lié à l'aggravation de son état de santé, et d'autre part, à la condamnation de l'ONIAM à lui verser une somme
de 438 718,44 euros en réparation de la perte de gains professionnels qu'il estime avoir subie du fait de sa pathologie.
Sur l'aggravation de l'état de santé :
2. Si la victime d'une contamination par le VHC, qui s'est vu reconnaître un droit à l'indemnisation au titre de la solidarité nationale et qui a bénéficié d'une indemnisation amiable ou contentieuse au regard des conséquences dommageables de sa pathologie, demande la réparation de préjudices supplémentaires qu'elle estime avoir subis, il lui appartient alors de faire état d'éléments circonstanciés, notamment d'ordre médical, attestant de l'aggravation de son état de santé en lien direct avec le caractère évolutif de cette pathologie.
3. Il résulte de l'instruction que la cirrhose, au stade Child B à la date de consolidation fixée au 31 août 2005 par l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Toulouse, avait atteint le stade Child C 11 en avril 2011, et que M. D..., hospitalisé du 11 au 21 mai 2011 pour une décompensation oedemato-ascitique post-hépatique avec infection du liquide d'ascite, a bénéficié le 22 mai 2011 d'une transplantation hépatique dont les résultats ont permis de qualifier la situation hépatique de " parfaitement stable et satisfaisante " le 9 novembre 2011. Si ces éléments font apparaître une amélioration postérieurement à la transplantation, il en résulte aussi que l'état de santé de M. D... s'était aggravé depuis l'indemnisation allouée par le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse du 18 décembre 2007. Ce jugement n'a pu indemniser ni les préjudices temporaires en lien avec cette aggravation, ni ceux en lien avec l'intervention alors non prévisible du 22 mai 2011. Par suite, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande d'expertise au motif qu'il n'apportait aucun élément permettant de présumer que son état de santé en lien avec la contamination par le VHC aurait pu subir une aggravation telle que l'incapacité permanente partielle imputable à cette contamination pourrait excéder le taux de 35 % sur la base duquel il a été indemnisé.
Sur les pertes de revenus professionnels :
4. Le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse du 18 décembre 2007 a condamné l'assureur du CRTS à verser à la CPAM du Tarn un capital représentatif du remboursement partiel, à hauteur de 50 % comme elle le demandait, de la rente d'invalidité qu'elle verse à M. D... depuis le 1er février 2002 afin de compenser, notamment, ses pertes de revenus professionnels. Toutefois, l'indemnité de 20 000 euros qu'il a allouée à M. D... ne portait pas sur les pertes de revenus non couvertes par cette rente, que le tribunal a estimé nulles à la date du 31 janvier 2002, veille de l'admission en invalidité de 3ème catégorie, mais était seulement destinée à réparer, ainsi qu'il était demandé, l'incidence professionnelle caractérisée par la perte de chance de retrouver un emploi dès lors que l'intéressé, qui occupait un emploi qualifié malgré le handicap physique consécutif à son accident, n'avait pu reprendre son travail et avait été placé en invalidité en raison des seules conséquences de sa contamination par le VHC. Par suite, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, estimant que l'indemnisation initiale incluait ses pertes de gains professionnels, ont rejeté sa demande au motif qu'il ne justifiait pas de l'existence d'un préjudice professionnel nouveau et distinct de celui déjà indemnisé.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur le droit à réparation de M. D.... Toutefois, l'état de l'instruction ne permet pas de déterminer l'étendue et la nature des préjudices, tant en ce qui concerne l'aggravation de l'état de santé que les pertes de gains professionnels. Par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1304047 du 17 mars 2016
est annulé.
Article 2 : Il sera procédé à une expertise médicale contradictoire en présence de M. D...,
de l'ONIAM et de la CPAM du Tarn.
Article 3 : L'expert aura pour mission :
1°) de prendre connaissance du dossier médical, du rapport d'expertise du 12 septembre 2005,
du jugement du tribunal de grande instance de Toulouse du 18 décembre 2007, du rapport d'invalidité ayant conduit la CPAM du Tarn à attribuer une rente à compter du 1er février 2002, et de tous documents concernant M. D..., et d'examiner ce dernier ;
2°) en partant du rapport d'expertise du 12 septembre 2005 et de la consolidation alors fixée au 31 août 2005, de décrire les différentes phases de l'évolution de l'état de santé de M. D... en lien avec sa contamination par le VHC, de son aggravation progressive ayant nécessité la transplantation hépatique réalisée le 22 mai 2011 jusqu'à la situation actuelle ;
3°) de préciser les traitements spécifiques dont M. D... a fait l'objet depuis le 31 août 2005, ainsi que leurs résultats ;
4°) de dire si l'état de santé de M. D... depuis le 31 août 2005, en lien avec sa contamination par le VHC, a entraîné un déficit fonctionnel temporaire, et d'en préciser les dates de début
et de fin, ainsi que le ou les taux ;
5°) d'indiquer si et à quelle date l'état de santé de M. D... peut être considéré comme consolidé ; de préciser s'il subsiste un déficit fonctionnel permanent et, dans l'affirmative, d'en fixer le taux, en distinguant la part imputable à la contamination par le VHC de celle ayant pour origine toute autre cause ou pathologie, eu égard notamment aux séquelles de l'accident de 1979 ;
6°) de dire si l'évolution de l'état de santé de M. D... depuis le 31 août 2005, en lien avec sa contamination par le VHC, a justifié ou justifie la présence d'une tierce personne ; de fixer les modalités, la qualification et la durée de cette intervention ;
7°) de donner son avis sur l'aggravation éventuelle de préjudices personnels subis depuis
le 31 août 2005 selon la nomenclature Dintilhac, et le cas échéant, d'en évaluer l'importance, en distinguant la part imputable à l'évolution de l'état de santé de M. D... en lien avec sa contamination par le VHC de celle ayant pour origine toute autre cause ou pathologie ;
8°) de donner son avis sur la répercussion de l'évolution de l'état de santé de M. D... depuis le 31 août 2005, en lien avec sa contamination par le VHC, sur sa situation professionnelle ; de préciser si M. D... a été en mesure de reprendre une activité professionnelle, et le cas échéant depuis quelle date, et s'il a effectivement repris une telle activité ;
9°) de donner toutes informations qui lui paraîtront utiles à l'appréciation de la situation de M. D....
Article 4 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé.
Article 5 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable de la présidente de la cour.
Article 6 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans le délai fixé par la présidente de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn.
Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020 à laquelle siégeaient :
Mme A... B..., présidente rapporteure,
M. Thierry Sorin, premier conseiller,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2020.
La présidente,
Anne B...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01860