Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Fumel Energie a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer le rétablissement de la concession de la chute de Fumel dans son état antérieur au 3 décembre 2015, date à laquelle le directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement d'Aquitaine a refusé d'ajuster la durée de cette concession.
Par un jugement n° 1600468 du 6 novembre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 janvier 2018 et le 22 février 2020, la société Fumel Energie, représentée par Me A... et Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 novembre 2017 ;
2°) de constater que la décision du 3 décembre 2015 constitue une mesure de modification unilatérale de la concession ;
3°) de prononcer le rétablissement de la concession de la chute de Fumel dans son état antérieur au 3 décembre 2015, date à laquelle le directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement d'Aquitaine a refusé d'ajuster la durée de cette concession ;
4°) à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 3 décembre 2015 ;
5°) d'enjoindre à l'administration d'ajuster la durée de la concession le temps nécessaire à l'amortissement de l'usine devant être construite sur la rive gauche du Lot ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 3 décembre 2015 constitue une mesure de modification unilatérale de la durée et de l'objet du contrat ; en ce qui concerne la durée, l'application de l'article 31 du cahier des charges lui est refusée alors qu'elle lui a été promise dès 2005 par les services de l'Etat ; en ce qui concerne l'objet, l'application de l'article 9 du même cahier lui est refusée puisque la durée restante de la concession ne lui permet pas d'amortir les investissements réalisés ;
- elle détenait la promesse des services de l'Etat d'une prolongation de la concession afin d'amortir les travaux de réalisation de la deuxième usine rive gauche ;
- si l'annulation de la décision du 3 décembre 2015, constituant une mesure de modification unilatérale de la concession, ne peut être demandée au juge du contrat, en revanche il peut lui être demandé de décider la reprise des relations contractuelles dès lors que la mesure litigieuse a pour effet sinon pour objet de mettre fin définitivement aux relations contractuelles puisqu'elle réduit considérablement le périmètre de la concession ; elle peut donc également être qualifiée de décision de résiliation du contrat ;
- le motif de refus fondé sur l'article 10 de la loi Sapin est erroné puisqu'il ne s'agit que d'application de la convention et non d'instaurer une prolongation de la durée qui n'était pas fixe mais dépendante de la construction de la seconde usine ; de même le motif de refus fondé sur le changement d'objet de la concession est erroné car elle n'a plus que 0,45 % d'autoconsommation depuis l'arrêté de 2005 et donc l'objet de la concession était à la fois de l'autoconsommation mais également de la production pour vente aux services publics ; si on devait estimer qu'il y a eu un changement d'objet en 2005, l'administration ne pouvait retirer ou abroger l'autorisation implicite de 2005 ;
- la décision est contraire à l'article 43 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 qui autorise les modifications de concessions sans nouvelle procédure d'attribution lorsque la modification n'est pas substantielle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire, conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Par une ordonnance du 15 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er septembre 2020 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi du 16 octobre 1919 ;
- la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ;
- le décret n° 94-894 du 13 octobre 1994 ;
- le décret n° 2008-1009 du 26 septembre 2008 modifiant le décret n° 94-894 du 13 octobre 1994 et le décret n° 99-872 du 11 octobre 1999 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... D...,
- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par convention du 28 mars 1953 et décret du 26 août 1953, l'Etat a concédé à la société minière et métallurgique du Périgord, l'aménagement et l'exploitation de la chute de Fumel sur la rivière du Lot, dans le but de construire deux usines hydroélectriques, afin d'alimenter en énergie électrique la fonderie de cette société et accessoirement de vendre le surplus de la production électrique au service public et au public. Un premier ouvrage a été immédiatement édifié rive droite du Lot. La construction du second ouvrage qui devait être implanté rive gauche du Lot n'a été envisagée qu'en 2007 par la société requérante à la condition qu'un ajustement de la durée de la concession fixée au 31 décembre 2020 soit accordée à la société Fumel Energie. L'Etat a refusé cette proposition par une décision du 2 avril 2009. Une seconde demande d'ajustement de la durée de la concession a été sollicitée en 2014 mais par une décision du 3 décembre 2015, l'Etat a de nouveau refusé. Estimant que ce dernier refus constituait une modification unilatérale de la concession, la société Fumel Energie a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à titre principal au rétablissement de l'état antérieur du contrat et, à titre subsidiaire, à l'annulation de la décision du 3 décembre 2015. Elle relève appel du jugement du 6 novembre 2017 rejetant sa demande.
2. D'une part, l'article 10 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique dispose que : " Le cahier des charges détermine notamment : (...) 5° La durée de la concession, qui ne peut dépasser soixante-quinze ans, à compter de l'expiration dudit délai [d'exécution des travaux] (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 13 octobre 1994 relatif à la concession et à la déclaration d'utilité publique des ouvrages utilisant l'énergie hydraulique, dans sa version modifiée par le décret du 26 septembre 2008 applicable à la date de la mesure litigieuse du 3 décembre 2015 : " (...) Les concessions d'énergie hydraulique régies par la loi du 16 octobre 1919 font l'objet d'une procédure régie par les articles 38, 40 et 40-1 de la loi du 29 janvier 1993 et le décret du 24 mars 1993, ainsi que par l'article 2 et les titres II et III du présent décret, qui vise à choisir le délégataire le mieux à même de garantir l'efficacité énergétique de l'exploitation de la chute d'eau, le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement et les meilleures conditions économiques et financières pour le concédant (...) ". L'article 40 de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, alors applicable, dispose que : " Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en oeuvre. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du cahier des charges annexé à la convention du 28 mars 1953 portant concession de l'établissement et l'exploitation de deux usines hydrauliques dites de Fumel, sous le titre " Objet de la concession " : " (...) L'entreprise a pour objet principal l'alimentation en énergie électrique des usines de la société concessionnaire et accessoirement la vente de l'énergie aux services publics et au public ". L'article 9 du même cahier des charges, sous le titre " Délai d'exécution et réception des ouvrages ", stipule que : " Les travaux de l'usine prévue sur la rive gauche pourront n'être commencés qu'après la mise en service de l'usine établie sur la rive droite. Les projets de ces travaux seront présentés au plus tard quand la capacité utile des réservoirs projetés à l'amont atteindra 600 millions de mètres cubes (...) ". Selon l'article 31 de ce cahier : " La présente concession prendra fin le 31 décembre 2020. Toutefois, il est admis qu'au moment de l'achèvement de l'usine rive gauche, la durée de la concession de l'usine rive droite serait prolongée pour faire coïncider les dates de l'expiration de la concession pour les deux usines ".
Sur les conclusions tendant au rétablissement de l'état antérieur du contrat :
4. En premier lieu, il résulte clairement des stipulations précitées du cahier des charges annexé à la convention du 28 mars 1953 portant concession de l'établissement et l'exploitation de deux usines hydrauliques dites de Fumel, que la concession a pour objet principal l'alimentation en énergie électrique de l'usine sidérurgique de la société concessionnaire et seulement accessoirement la vente de l'énergie aux services publics et au public. Ces mêmes stipulations, si elles permettaient que la construction de la seconde usine hydraulique ne soit pas immédiate et concomitante à la construction de la première usine hydraulique, ne peuvent être interprétées comme autorisant le concessionnaire à exécuter le second ouvrage dans un autre but que l'alimentation électrique de l'usine sidérurgique. La seule circonstance que l'administration ait entériné le changement de concessionnaire en 2005 ne saurait emporter modification de l'objet de la concession.
5. En deuxième lieu, si la concession en cause avait initialement pour objet principal l'autoproduction d'énergie destinée à alimenter la fonderie appartenant au concessionnaire, la société requérante indique que la fonderie ne consomme plus, depuis au moins 2005 que 0,45 % de la production, du fait de la quasi disparition de l'activité sidérurgique, le surplus étant revendu à un distributeur d'électricité. En outre, l'article 1er du décret du 13 octobre 1994 dans sa version applicable au litige, soumet la concession de Fumel aux règles de mise en concurrence et de publicité issues de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et de procédures publiques. Dès lors, à supposer même que la convention puisse être interprétée comme permettant au concessionnaire de construire la seconde usine y compris peu avant le terme de la concession fixé au 31 décembre 2020 en bénéficiant d'une prolongation de longue durée de 40 ans de la concession, elle serait contraire aux exigences fixées par la loi du 29 janvier 1993, laquelle répond à un impératif d'ordre public qui est de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation. Dans un tel cas, le contrat cesserait de pouvoir être régulièrement exécuté postérieurement au 31 décembre 2020.
6. Il résulte de ce qui précède que la décision du 3 décembre 2015 ne saurait être regardée ni comme une résiliation de la concession ni comme une modification unilatérale assimilable à une résiliation, dès lors qu'elle ne fait pas obstacle à la poursuite de la concession jusqu'à son terme fixé au 31 décembre 2020 et se borne à refuser la prolongation de la convention. Par suite, et ainsi que l'ont décidé à bon droit les juges de première instance, eu égard à la portée de la décision du 3 décembre 2015, qui n'a ni pour objet ni pour effet de mettre unilatéralement un terme à une convention en cours, le juge du contrat peut seulement rechercher si elle est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à une indemnité. Dès lors, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté comme étant irrecevables les conclusions de la société Fumel Energie en " rétablissement de l'état antérieur du contrat ".
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 3 décembre 2015 :
7. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité mais n'a pas le pouvoir d'en prononcer l'annulation. Ainsi qu'il a été dit au point 6, la décision du 3 décembre 2015 n'a pas le caractère d'une résiliation et doit être regardée comme une mesure d'exécution du contrat. Dès lors, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté comme étant irrecevables les conclusions de la société Fumel Energie tendant à l'annulation de cette décision.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Fumel Energie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les autres conclusions :
9. Le présent arrêt, qui rejette la requête de la société Fumel Energie, n'implique aucune mesure d'exécution. Aussi les conclusions de la société requérante tendant à ce que la cour enjoigne à l'administration d'ajuster la durée de la concession doivent être rejetées.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Fumel Energie, au titre des frais liés à l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Fumel Energie est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Fumel Energie, au ministre de la transition écologique et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme B... D..., présidente-assesseure,
Mme Déborah de Paz, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 16 novembre 2020.
La rapporteure,
Fabienne D... Le président,
Didier ARTUS Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX00005