Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Fumel Energie a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner 1'Etat à verser à M. A..., son gérant, la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice causé par l'absence d'exploitation de deux usines hydroélectriques à Fumel pour lesquelles elle est titulaire d'une concession.
Par un jugement n° 1700392 du 15 avril 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 juin 2019 et 28 septembre 2020, la société Fumel Energie, représentée par Me B... et Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 avril 2019 ;
2°) de condamner l'Etat à indemniser la société Fumel Energie des préjudices subis du fait de la non-exploitation des usines hydroélectriques du 1er janvier 2012 au 1er janvier 2052 ou à titre subsidiaire du 1er janvier 2021 au 28 mars 2028 ;
3°) de condamner 1'Etat à verser à M. A..., son gérant, la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
4°) d'ordonner avant dire droit une expertise aux fins de déterminer son préjudice financier et de lui octroyer une allocation provisionnelle de 30 000 000 d'euros ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle était en droit de prétendre à un ajustement du terme de la concession en cas de construction de l'usine en rive gauche ; la loi du 16 octobre 1919 ne s'y opposait pas dès lors que la durée de 75 ans maximum d'une concession court à compter de l'achèvement des travaux ; l'article 40 de la loi Sapin ne s'applique pas dès lors qu'il ne s'agissait pas de prolonger le contrat mais seulement de l'appliquer ;
- elle détenait une promesse de l'Etat de lui accorder un tel ajustement ainsi que cela ressort d'un faisceau d'indices concordants et d'un document émanant de la DRIRE du 7 juillet 2005 ;
- l'abstention fautive de l'Etat de ne pas la contraindre à construire l'usine rive gauche et de ne pas s'opposer à la vente de terrains indispensables à la construction de l'usine rive gauche en 1994 lui a causé un préjudice ;
- la modification unilatérale de la durée de la concession lui ouvre droit à indemnisation aux motifs qu'elle n'est pas justifiée par l'intérêt général et qu'elle bouleverse l'équilibre de la concession.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2020, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Par une ordonnance du 24 août 2020, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 30 septembre 2020 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ;
- la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ;
- le décret n° 94-894 du 13 octobre 1994 ;
- le décret n° 2008-1009 du 26 septembre 2008 modifiant le décret n° 94-894 du 13 octobre 1994 et le décret n° 99-872 du 11 octobre 1999 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... E...,
- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par convention du 28 mars 1953 et décret du 26 août 1953, l'Etat a concédé à la société minière et métallurgique du Périgord l'aménagement et l'exploitation de la chute de Fumel sur la rivière du Lot, dans le but de construire deux usines hydroélectriques, afin d'alimenter en énergie électrique la fonderie de cette société et accessoirement de vendre le surplus de la production électrique au service public et au public. Un premier ouvrage a été immédiatement édifié rive droite du Lot. La construction du second ouvrage qui devait être implanté rive gauche du Lot n'a été envisagée qu'en 2007 par la société requérante à la condition qu'un ajustement de la durée de la concession fixée au 31 décembre 2020 soit accordé à la société Fumel Energie. Cette demande a fait l'objet d'un refus, sur le fondement de l'article 31 du cahier des charges, au motif, notamment, que cet article n'était pas conforme au nouveau cadre juridique en vigueur et que la concession devait faire l'objet d'une nouvelle mise en concurrence. La société Fumel Energie, estimant que l'Etat avait commis des fautes qui l'ont privée de la possibilité de construire et d'exploiter une seconde usine hydraulique, a demandé à être indemnisée par l'Etat. Elle a saisi le tribunal administratif de Bordeaux du refus implicite opposé à sa demande indemnitaire, et relève appel du jugement du 15 avril 2019 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur la responsabilité :
2. D'une part, l'article 10 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique dispose que : " Le cahier des charges détermine notamment : (...) 5° La durée de la concession, qui ne peut dépasser soixante-quinze ans, à compter de l'expiration dudit délai [d'exécution des travaux] (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 13 octobre 1994 relatif à la concession et à la déclaration d'utilité publique des ouvrages utilisant l'énergie hydraulique dans sa version modifiée par le décret du 26 septembre 2008 applicable à la date de la mesure litigieuse du 3 décembre 2015 : " (...) Les concessions d'énergie hydraulique régies par la loi du 16 octobre 1919 font l'objet d'une procédure régie par les articles 38, 40 et 40-1 de la loi du 29 janvier 1993 et le décret du 24 mars 1993, ainsi que par l'article 2 et les titres II et III du présent décret, qui vise à choisir le délégataire le mieux à même de garantir l'efficacité énergétique de l'exploitation de la chute d'eau, le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement et les meilleures conditions économiques et financières pour le concédant (...) ". L'article 40 de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, alors applicable, dispose que : " Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée (...) Les délégations de service public des personnes morales de droit public sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du cahier des charges annexé à la convention du 28 mars 1953 portant concession de l'établissement et l'exploitation de deux usines hydrauliques dites de Fumel, sous le titre " Objet de la concession " : " (...) L'entreprise a pour objet principal l'alimentation en énergie électrique des usines de la société concessionnaire et accessoirement la vente de l'énergie aux services publics et au public ". L'article 9 du même cahier des charges, sous le titre " Délai d'exécution et réception des ouvrages ", stipule que : " Les travaux de l'usine prévue sur la rive gauche pourront n'être commencés qu'après la mise en service de l'usine établie sur la rive droite. Les projets de ces travaux seront présentés au plus tard quand la capacité utile des réservoirs projetés à l'amont atteindra 600 millions de mètres cubes (...) ". Selon l'article 31 de ce cahier : " La présente concession prendra fin le 31 décembre 2020. Toutefois, il est admis qu'au moment de l'achèvement de l'usine rive gauche, la durée de la concession de l'usine rive droite serait prolongée pour faire coïncider les dates de l'expiration de la concession pour les deux usines ".
4. La société Fumel Energie fait valoir que l'Etat a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité en ne lui accordant pas l'ajustement de la durée de la concession qu'elle sollicitait, en ne respectant pas sa promesse de lui accorder un tel ajustement, en n'exerçant pas ses pouvoirs de contrôle sur le concessionnaire et en modifiant unilatéralement la concession.
5. En premier lieu, il résulte des stipulations du cahier des charges annexé à la convention du 28 mars 1953, portant concession de l'établissement et l'exploitation de deux usines hydrauliques dites de Fumel, que la concession a pour objet principal l'alimentation en énergie électrique de l'usine sidérurgique de la société concessionnaire et seulement accessoirement la vente de l'énergie aux services publics et au public. Ces mêmes stipulations, si elles permettent que la construction de la seconde usine hydraulique ne soit pas immédiate et concomitante à la construction de la première usine hydraulique, ne peuvent être interprétées comme autorisant le concessionnaire à exécuter le second ouvrage, d'une part, environ 60 ans après la signature de la convention et, d'autre part, dans un autre but que l'alimentation électrique de l'usine sidérurgique. La seule circonstance que l'administration ait entériné le changement de concessionnaire en 2005, lequel n'était pas propriétaire de l'usine sidérurgique, ne saurait emporter modification de l'objet de la concession. Si la concession en cause n'avait pas initialement le caractère d'une délégation de service public en raison de son objet principal consistant en une autoproduction destinée à alimenter la fonderie appartenant au concessionnaire, cette concession est devenue, du fait de la quasi disparition de l'activité sidérurgique, une délégation de service public, la société requérante indiquant que la fonderie ne consomme plus, depuis au moins 2005, que 0,45 % de la production, le surplus étant revendu à un distributeur d'électricité. En outre, l'article 1er du décret du 13 octobre 1994 dans sa version applicable au litige, soumet la concession de Fumel aux règles de mise en concurrence et de publicité issues de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. Dès lors, à supposer même que la convention puisse être interprétée comme permettant au concessionnaire de construire la seconde usine, y compris peu avant le terme de la concession fixé au 31 décembre 2020, en bénéficiant d'une prolongation de longue durée de 40 ans de la concession, elle serait contraire aux exigences fixées par la loi du 29 janvier 1993 laquelle répond à un impératif d'ordre public qui est de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation. Dans un tel cas, le contrat cesserait de pouvoir être régulièrement exécuté postérieurement au 31 décembre 2020. Par suite, la société Fumel Energie n'était pas en droit, comme elle le soutient, d'obtenir une prolongation de la durée de sa concession pour 40 ans.
6. En deuxième lieu, en rejetant la demande de la société Fumel Energie de prolonger la durée de la concession, conformément tant aux dispositions législatives et règlementaires en vigueur qu'eu égard aux stipulations précitées de la concession, l'Etat n'a modifié unilatéralement la concession ni dans sa durée ni dans son objet et n'a pas davantage rompu l'équilibre économique du contrat. La faute alléguée n'est donc pas établie.
7. En troisième lieu, si l'Etat dispose d'un pouvoir de contrôle sur les conditions d'exécution de la concession, il ne saurait se substituer au concessionnaire dans l'exécution même d'une concession. Par suite, l'Etat n'a pas commis de faute en ne faisant pas obstacle à la vente par l'ancien concessionnaire de parcelles qui étaient incluses dans le périmètre de la concession, ni en ne contraignant pas le concessionnaire à la construction de l'usine en rive gauche du Lot.
8. Enfin, en dernier lieu, ainsi que l'a décidé à bon droit le juge de première instance, aucun des éléments produits au dossier ne saurait établir l'existence d'une promesse des administrations concernées de prolonger la concession après le 31 décembre 2020. Si la société requérante produit un nouveau document émanant de la DRIRE du 7 juillet 2005, ce document n'évoque pas la prolongation de la concession mais se borne à indiquer que la société Fumel Energie va racheter une parcelle cadastrée à la section AT sous le n° 66 qui sera intégrée à la concession, sans plus de précision. Par suite, la société Fumel Energie ne saurait prétendre à une indemnisation pour promesse non tenue.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, ni d'accorder l'allocation provisionnelle demandée, que la société Fumel Energie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Fumel Energie demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Fumel Energie est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Fumel Energie et au ministre de la transition écologique.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme C... E..., présidente-assesseure,
Mme Déborah de Paz, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 16 novembre 2020.
La rapporteure,
Fabienne E... Le président,
Didier ARTUS Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX02759