Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La clinique Toulouse Lautrec et la société Axa assurances ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier d'Albi à leur verser les sommes, respectivement, de 315 505,58 euros et de 741 982,19 euros, correspondant à 90 % du montant des indemnités versées en réparation des préjudices de M. A....
Par un jugement n° 1700775 du 21 mars 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 mai 2019 et le 18 septembre 2020, la clinique Toulouse Lautrec et la société Axa assurances, représentés par Me Paulian, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 21 mars 2019 ;
2°) de condamner le centre hospitalier d'Albi à verser la somme de 453 433,56 euros à la société Axa assurances et la somme de 192 808,96 euros à la clinique Toulouse Lautrec, correspondant à 55 % des indemnités versées à M. A... en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable du 19 octobre 2016 et capitalisation des intérêts
3°) de réserver leurs droits s'agissant du besoin d'assistance par tierce personne et des frais de séjour en institution de M. A... ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Albi une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, en ne procédant pas dès
le 27 octobre 2002 aux examens, d'ailleurs préconisés par le radiologue, adaptés en cas de suspicion d'abcès épidural, le centre hospitalier d'Albi a commis une faute ; en programmant une IRM pour le 28 ou le 29 octobre suivants, l'établissement n'a pas fait procéder en urgence aux examens qui s'imposaient ; si une IRM avait été réalisée le 27 octobre 2002, elle aurait permis de diagnostiquer un abcès épidural, y compris à son stade précoce compte tenu de la réaction inflammatoire locale que cet examen aurait permis de visualiser ; l'absence de réalisation en urgence d'un examen adapté a retardé la prise en charge de l'abcès épidural, qui aurait pu être traité chirurgicalement dans la soirée du 27 octobre 2002 ;
- le centre hospitalier d 'Albi a également commis une faute en transférant M. A...,
le 27 octobre 2002, dans un service de médecine interne, alors que son état neurologique, marqué dès le 26 octobre par des paresthésies puis le 27 octobre par une diminution globale de la force musculaire des membres inférieurs et supérieurs, devait conduire à poser le diagnostic de compression médullaire et, en conséquence, à le transférer dans un service de neurochirurgie ; le diagnostic de compression médullaire est une urgence neurochirurgicale, la qualité de la récupération dépendant de la précocité du geste décompressif ; le retard de transfert du patient vers un service de neurochirurgie, qui n'a finalement été réalisé que le 28 octobre 2002 en fin de journée alors qu'il présentait une paraplégie et un globe vésical, ne saurait s'expliquer par une suspicion de méningite, cette suspicion ayant été levée dès réception des résultats de l'examen cytobactériologique du liquide céphalorachidien révélant l'absence de bactérie ; l'aggravation de l'état de M. A... survenue le 28 octobre 2002 n'est pas apparue de manière immédiate et brutale ni sans signe précurseur ;
- le centre hospitalier d'Albi ne saurait invoquer l'absence de réalisation d'une intervention de décompression dès le 28 octobre 2002 au sein de la clinique des Cèdres ; il résulte en effet de l'expertise ordonnée par le juge judiciaire que l'état de M. A... était alors tellement altéré qu'aucune intervention ni IRM n'était envisageable ;
- la faute du centre d'hospitalier d'Albi a fait perdre à M. A... une chance d'éviter le dommage ; la perte de chance doit, sur la base des éléments médicaux argumentés produits, être évaluée à 55 % ;
- les indemnités allouées à M. A... en réparation de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux par le tribunal de grande instance d'Albi ne présentent pas un caractère excessif, et leurs montants sont proches de ceux alloués par la juridiction administrative ; l'évaluation du préjudice tenant au besoin d'une aide par tierce personne a bien été faite après déduction des sommes versées à ce titre par la CARSAT ; le recours ne porte pas sur les droits de M. A... à compter du jugement du tribunal de grande instance d'Albi, qui ont été réservés ; le capital représentatif de la rente à échoir était insuffisant pour couvrir les frais d'hébergement en EHPAD ; s'agissant des pertes de gains professionnels actuels et futurs de M. A..., les indemnités ont été fixées après déduction des sommes versées par la CPAM.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 mars et 21 avril 2020, le centre hospitalier d'Albi, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- une erreur de diagnostic n'est pas nécessairement fautive ; à son arrivée au centre hospitalier d'Albi, M. A... a, selon les recommandations en vigueur, été placé
sous antibiothérapie probabiliste ; le diagnostic d'abcès épidural était difficile à
poser ; le 27 octobre 2002, le patient n'était pas quadriplégique ; son état s'est subitement aggravé, et il a alors été immédiatement transféré dans un service de neurochirurgie ; avant cette date, les éléments cliniques et d'imagerie ne justifiaient pas un tel transfert ; les images du scanner réalisé le 27 octobre 2002 n'ont pas été présentées aux experts ; l'intervention décompressive n'a été réalisée que le 29 octobre 2002 ;
- en admettant l'existence d'un retard de prise en charge, il n'a été à l'origine d'aucune perte de chance ; il n'est pas établi qu'un transfert réalisé dès le 27 octobre aurait permis d'échapper aux séquelles neurologiques que présente M. A... ; la perte de chance ne peut en l'espèce qu'être minime, d'autant que l'intervention décompressive n'a ensuite été réalisée que le lendemain du transfert du patient, un tel délai ayant aussi contribué à la perte de chance d'éviter le dommage ;
- le juge administratif n'est pas lié par l'évaluation des préjudices faite par le juge judiciaire ; en l'espèce, le juge judiciaire a fait une évaluation excessive des préjudices de M. A... ; les modalités de calcul du préjudice lié au besoin d'aide par tierce personne ne sont pas précisées, alors que l'évaluation de ce préjudice doit être faite sur la base d'un coût horaire de 10 à 13 euros et en déduisant les prestations et allocations perçues par la victime ; de plus, M. A... ne subit pas un tel préjudice depuis qu'il réside en institution ; la pension d'invalidité aurait dû être déduite des pertes de revenus et du préjudice d'incidence professionnelle pour le calcul des sommes versées à la caisse ; le déficit fonctionnel temporaire a été évalué sur une base de 700 euros par mois excédant celle retenue par la jurisprudence administrative ; il en va de même s'agissant des souffrances endurées et des préjudices esthétiques temporaire et définitif ; le préjudice sexuel ne saurait être évalué au-delà de 8 000 euros ; la somme destinée à réparer le déficit fonctionnel permanent de M. A..., évalué à 80 %, ne saurait excéder 218 000 euros avant imputation de la perte de chance .
Par ordonnance du 12 avril 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 13 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me De Raisme substituant Me Le Prado représentant le centre hospitalier d'Albi.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a subi le 16 octobre 2002 une injection de corticoïdes par voie intradurale au sein de la clinique Toulouse-Lautrec à Albi, dans le cadre d'une sciatalgie chronique. Il a présenté à partir du 23 octobre suivant un syndrome infectieux traité à domicile, qui a justifié son hospitalisation au centre hospitalier d'Albi dans la soirée du 26 octobre 2002. Les hémocultures réalisées dans les suites immédiates de son hospitalisation, dont les résultats ont été connus le 27 octobre 2002 en début de matinée, ont révélé que M. A... présentait une infection par bacilles à gram négatif, et une antibiothérapie probabiliste associant trois antibiotiques a alors été mise en place. Un scanner cervical et lombaire a été réalisé le 27 octobre 2002 en raison d'une suspicion d'abcès épidural. Le même jour, vers 15 heures, M. A... a été transféré dans le service de médecine interne du centre hospitalier. Il présentait alors une diminution de la force musculaire au niveau des membres supérieurs et inférieurs. Le 28 octobre 2002, en milieu d'après-midi, son état s'est nettement aggravé, M. A... présentant une paralysie des membres inférieurs, un globe vésical et une miction par regorgement. M. A... a alors été transféré dans le service de neurochirurgie de la clinique des Cèdres à Cornebarrieu. Compte-tenu de son état critique, lié à un choc toxique infectieux, une myélographie n'a pu être réalisée que le lendemain, soit le 29 octobre 2002. Cet examen a mis à jour une compression médullaire liée à un abcès épidural. Le jour même, une intervention de laminectomie décompressive a été réalisée.
2. M. A..., qui conserve de lourdes séquelles neurologiques, a sollicité en référé devant le juge judicaire l'organisation d'une expertise. A la suite du dépôt du rapport d'expertise, le tribunal de grande instance d'Albi a, par un jugement du 3 décembre 2013, déclaré la clinique Toulouse Lautrec entièrement responsable des préjudices subis par M. A... à raison de l'infection nosocomiale à Klebsiella pneumoniae contractée dans cet établissement lors de l'intervention du 16 octobre 2002, a condamné la clinique Toulouse Lautrec et son assureur, la société Axa assurances, à indemniser l'intéressé, et a renvoyé la procédure devant le juge de la mise en état pour l'évaluation des préjudices. Par un jugement du 16 février 2016, le tribunal de grande instance d'Albi a condamné la clinique Toulouse Lautrec et la société Axa assurances à verser une somme de 452 266,58 euros à M. A..., une somme de 421 640,93 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aveyron et une somme de 294 631,64 euros à la Caisse d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) Midi-Pyrénées. Après avoir versé ces sommes, la clinique Toulouse Lautrec et la société Axa assurances ont saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une action subrogatoire tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Albi à leur verser les sommes, respectivement, de 315 505,58 euros et de 741 982,19 euros, correspondant à 90% du montant des indemnités versées en réparation des préjudices de M. A.... Elles relèvent appel du jugement du 21 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur requête et, estimant que la responsabilité pour faute de cet établissement est engagée et que la faute commise a fait perdre à M. A... une chance de 55 % d'éviter le dommage, elles demandent à la cour de condamner cet établissement à leur verser les sommes de, respectivement, 192 508,96 euros et 453 433,56 euros.
3. Lorsque l'auteur d'un dommage, condamné, comme en l'espèce, par le juge judiciaire à en indemniser la victime, saisit la juridiction administrative d'un recours en vue de faire supporter la charge de la réparation par la personne publique co-auteur de ce dommage, sa demande, quel que soit le fondement de sa responsabilité retenu par le juge judiciaire, a le caractère d'une action subrogatoire fondée sur les droits de la victime à l'égard de cette personne publique. Ainsi subrogé, il peut utilement se prévaloir des fautes que la personne publique aurait commises à son encontre ou à l'égard de la victime et qui ont concouru à la réalisation du dommage, sans toutefois avoir plus de droits que cette victime. En outre, eu égard à l'objet d'une telle action, qui vise à assurer la répartition de la charge de la réparation du dommage entre ses co-auteurs, sa propre faute lui est également opposable.
4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
5. Selon l'avis émis par un sapiteur neurochirurgien dans le cadre de l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance d'Albi, corroboré par l'analyse d'un neurochirurgien produite par les requérantes, dès lors que M. A... présentait, le 27 octobre 2002, au cours d'un épisode infectieux faisant suite à une récente injection intradurale, une tétraparésie, une IRM aurait dû être pratiquée le jour même, à la suite immédiate du scanner. Cependant, il résulte du rapport rédigé par un autre neurochirurgien, produit par le centre hospitalier d'Albi, que le 27 octobre 2002, M. A... présentait, non pas encore un abcès collecté, mais seulement, à ce stade, une inflammation débutante. Cette analyse n'est pas infirmée par d'autre élément médical, l'expertise précitée ne précisant pas que la seule tétraparésie, sans troubles sensitifs, serait un signe évocateur d'une compression médullaire. Or, si une IRM réalisée dès le 27 octobre 2002 aurait certes permis de repérer une réaction inflammatoire locale, ainsi que le confirme aussi l'avis d'un autre neurochirurgien versé par les requérantes, le rapport précité produit par le centre hospitalier d'Albi relève, sans être infirmé sur ce point, qu'en présence d'une lésion épidurale pré suppurative, seule une antibiothérapie massive est indiquée, traitement dont M. A... bénéficiait alors. Dans ces conditions, et alors que des lésions épidurales présuppuratives peuvent se transformer en abcès épidural collecté dans des délais très rapides, quelquefois de quelques heures, il n'est pas démontré que l'absence de réalisation d'une IRM le 27 octobre 2002, ou même le 28 octobre 2002 dans la matinée, a eu pour effet de retarder la prise en charge chirurgicale de M. A... et de lui faire perdre une chance d'éviter le dommage. Il résulte par ailleurs de l'instruction que, lorsque l'état neurologique de M. A... s'est brutalement dégradé dans l'après-midi du 28 octobre 2002, ce dernier présentant alors une paraplégie et des troubles sphinctériens, signes évocateurs d'une compression médullaire, le centre hospitalier d'Albi a immédiatement transféré l'intéressé dans un service de neurochirurgie d'une clinique au sein de laquelle l'intéressé, qui présentait alors un état de choc septique, n'a cependant pu bénéficier d'un intervention de décompression médullaire que le 29 octobre 2002. Dans ces conditions, et ainsi que l'ont estimé les premiers juges, il n'est pas établi que le centre hospitalier d'Albi aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité à raison du dommage subi par M. A....
6. Il résulte de ce qui précède que la clinique Toulouse Lautrec et la société Axa assurances ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande. Leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, être accueillies.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la clinique Toulouse Lautrec et de la société Axa assurances est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la clinique Toulouse Lautrec, à la société Axa assurances et au centre hospitalier d'Albi.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Brigitte Phémolant, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2021.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
La présidente,
Brigitte Phémolant
Le greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 19BX02047