Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La communauté d'agglomération du Grand Rodez a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner solidairement la société Eiffage Travaux Publics Sud-Ouest et la société Jacques Rougerie à lui verser la somme de 160 008,62 euros en réparation de ses préjudices financiers consécutifs aux dommages causés à la propriété de tiers lors de l'exécution des travaux de construction du centre nautique " Aquavallon " sur le territoire de la commune de Rodez.
Par un jugement n° 1503324 du 19 décembre 2018, le tribunal a condamné la société Eiffage Travaux Publics Sud-Ouest à verser à la communauté d'agglomération du Grand Rodez la somme de 160 008,02 euros à titre de dommages et intérêts et condamné la société Edeis à garantir la société Eiffage Travaux Publics Sud-Ouest à hauteur de 30 % de la condamnation prononcée.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 20 février 2019 et le 31 août 2021, la société Edeis, représentée par Me Zanier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1503324 du tribunal ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par la communauté d'agglomération du Grand Rodez ;
3°) de rejeter toutes les demandes et notamment les appels en garantie formulés à son encontre ;
4°) de mettre à la charge in solidum de tous succombants la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que l'action de la communauté d'agglomération du Grand Rodez n'était pas atteinte par la prescription quinquennale prévue au code civil ; ainsi, le délai a commencé à courir non pas à compter de la manifestation du dommage mais à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 qui a réduit le délai de prescription à cinq ans ; ce délai expirait en conséquence le 17 juin 2013 ; si la communauté d'agglomération du Grand Rodez a formé un appel en garantie le 6 mai 2010 dans le cadre de l'instance n° 13000356, sa demande a été définitivement rejetée par le tribunal administratif dans son jugement du 11 juillet 2014 ; cet appel en garantie a donc été dépourvu de l'effet interruptif du délai de prescription en application de l'article 2243 du code civil ;
- par ailleurs, la demande de la communauté d'agglomération du Grand Rodez se heurtait à l'autorité de la chose jugée attachée à la décision n° 13000356 ; le fait que sa demande reposait sur une cause juridique nouvelle ne faisait pas échec à l'autorité attachée au jugement du tribunal ; par ailleurs, il y avait identité de parties et identité d'objet à l'instance jugée sous le n° 13000356 et à l'instance ayant conduit au jugement attaqué ; il y avait aussi identité de cause dès lors qu'il appartenait à la communauté d'agglomération de présenter au cours de la première instance l'ensemble des moyens qu'elle estimait de nature à fonder ses demandes.
Par un mémoire, enregistré le 16 septembre 2019, la société Eiffage Travaux Publics Sud-Ouest, représentée par Me Chevrel Barbier, conclut :
1°) à titre principal, à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande présentée en première instance par la communauté d'agglomération du Grand Rodez ;
2°) subsidiairement, à la confirmation du jugement en tant qu'il a condamné la société Edeis à la garantir à hauteur de 30 % du montant de la condamnation prononcée ;
3°) en tout état de cause, de limiter le montant de l'indemnité à la somme de 81 416,94 euros ;
4°) à ce qu'il soit mis à la charge de tout succombant la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance de la communauté d'agglomération du Grand Rodez se heurtait à l'autorité de la chose jugée par le tribunal dans sa décision n° 1300356 ;
- cette demande était également atteinte par la prescription instituée par l'article 2224 du code civil ;
- ses conclusions au fond doivent être accueillies compte tenu de ses moyens de défense exposés en première instance et repris en appel.
Par des mémoires enregistrés le 16 avril 2021 et le 27 août 2021, la société par actions simplifiées (SAS) Jacques Rougerie, représentée par Me Sagnes, conclut :
1°) à la confirmation du jugement attaqué ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de la communauté d'agglomération du Grand Rodez la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) subsidiairement, à ce que la société Eiffage et la société Edeis soient condamnées solidairement à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.
Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par un mémoire enregistré le 23 avril 2021, la communauté d'agglomération Rodez Agglomération, représentée par Me Bessière, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Edeis la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; à ce qu'il soit mis à la charge de la société Eiffage Travaux Publics Sud-Ouest la somme de 3 000 euros au titre de ces mêmes frais.
Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,
- et les observations de Me d'Alton- Birouste, représentant la société Edeis.
Considérant ce qui suit :
1. En 2004, la communauté d'agglomération du Grand Rodez a lancé un projet de réalisation d'un complexe nautique sur le territoire de la commune de Rodez. A cette fin, elle a signé un marché de maîtrise d'œuvre avec un groupement solidaire composé des architectes Jacques Rougerie, Jacques Lacombe et Michel de Florinier, du bureau d'études fluides Codef Ingénierie, du bureau d'études structures Ingénierie Studio (aux droits duquel est venue la société Lavalin, aujourd'hui dénommée Edeis), du bureau d'études acoustique Peulz et Associés et du cabinet Pigeon qui est intervenu en tant qu'économiste de la construction.
2. Dans le cadre des marchés de travaux, la communauté d'agglomération a confié le lot n°1 " terrassement-VRD " à la société SCREG Sud-Ouest, aux droits de laquelle est venue la société Colas Sud-Ouest, par un acte d'engagement signé le 27 juillet 2005. La sous-traitance d'une partie des prestations prévues pour ce lot n°1 a été confiée, avec l'accord de la communauté d'agglomération, à la société Appia Midi-Pyrénées, aux droits de laquelle est venue la société Eiffage Travaux Publics Sud-Ouest (ETPSO).
3. Le 3 février 2006, alors que des travaux de terrassement étaient en cours d'exécution par le sous-traitant Appia, il s'est produit un glissement de terrain qui a endommagé la propriété de personnes tierces, à savoir M. A... et Mme B.... A la demande de ces derniers, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a désigné, le 24 juin 2008, un expert chargé de décrire les désordres survenus, d'en déterminer l'origine et de se prononcer sur les responsabilités encourues. Après le dépôt du rapport d'expertise, M. A... et Mme B... ont saisi le tribunal administratif de Toulouse en janvier 2010 d'une demande tendant à être indemnisés des dommages causés à leur propriété par le glissement de terrain. Par un jugement rendu le 11 juillet 2014 sous le n°1000356, le tribunal a condamné solidairement la communauté d'agglomération du Grand Rodez, la société Lavalin (venant aux droits du bureau d'études Ingénierie Studio) aujourd'hui dénommée Edeis, la société SCREG Sud-Ouest et la société ETPSO (venant aux droits du sous-traitant Appia) à verser à M. A... et à Mme B... la somme de 21 725,52 euros.
4. Après quoi, la communauté d'agglomération du Grand Rodez a saisi le tribunal administratif de Toulouse, le 17 juillet 2015, d'une demande tendant à la condamnation solidaire de la société ETPSO et de la société Jacques Rougerie à lui verser la somme de 160 008,62 euros en réparation de l'ensemble des conséquences financières ayant résulté pour elle de l'accident de chantier survenu le 3 février 2006. Par un jugement rendu le 19 décembre 2018 sous le n° 1503324, le tribunal a mis hors de cause la société Jacques Rougerie puis condamné la société ETPSO sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle à verser à la communauté d'agglomération une indemnité de 160 008,02 euros. Statuant sur les appels en garantie, le tribunal a jugé que la société Edeis (ex-Lavalin) garantirait la société ETPSO à hauteur de 30 % du montant de la condamnation prononcée.
5. La société Edeis relève appel de ce jugement dont elle demande l'annulation. La société ETPSO demande également à la cour d'annuler le jugement et, à titre subsidiaire, de confirmer ce jugement en tant qu'il a condamné la société Edeis à la garantir à hauteur de 30 % du montant de la réparation. La communauté d'agglomération du Grand Rodez, aujourd'hui dénommée Rodez Agglomération, et la société Jacques Rougerie concluent à la confirmation du jugement attaqué.
Sur l'exception de prescription :
6. Aux termes du premier alinéa de l'article 2270-1 du code civil, applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage (...) ". Aux termes de l'article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles (...) se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ".
7. Avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, et en application de l'article 2270-1 ancien du code civil, l'action en responsabilité civile extracontractuelle formée par la communauté d'agglomération du Grand Rodez à l'encontre des constructeurs aurait été prescrite dix ans après la manifestation du dommage, lequel était constitué par le glissement de terrain survenu le 3 février 2006 à l'origine des fissures sur les façades d'une propriété tierce. Toutefois, la loi du 17 juin 2008, publiée au Journal officiel de la République française le 18 juin 2008, qui a réduit à cinq ans le délai de prescription, est entrée en vigueur le 19 juin 2008. Le second alinéa de l'article 2222 du code civil dispose que " En cas de réduction de la durée du délai de prescription (...) ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle (...) ". Par ailleurs, aux termes du II de l'article 26 de cette loi : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ".
8. En application des dispositions précitées, l'action de la communauté d'agglomération était soumise à la prescription quinquennale, laquelle a commencé à courir non pas à compter du 3 février 2006, date de survenance du dommage, mais à compter du 19 juin 2008, dès lors que l'application de cette règle au cas d'espèce ne conduit pas à allonger le délai de prescription au-delà du 3 février 2016. Par suite, l'action de la communauté d'agglomération était, en principe, prescrite à compter du 19 juin 2013.
9. Aux termes de l'article 2241 du code civil : " La demande en justice (...) interrompt le délai de prescription (...) ". Aux termes de 1'article 2231 du même code : " L'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien. ". Il est constant que la communauté d'agglomération du Grand Rodez a demandé le 6 mai 2010, au cours de l'instance n° 1000356, la condamnation des constructeurs à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre à raison des dommages causés par l'accident du 3 février 2006. Ainsi, cette demande a interrompu le délai de prescription en application des dispositions précitées.
10. Cependant, en vertu de l'article 2243 du code civil, l'interruption du délai de prescription est non avenue si la demande en justice est définitivement rejetée.
11. Par son jugement n° 1000356 du 11 juillet 2014, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande présentée par la communauté d'agglomération du Grand Rodez au motif que celle-ci n'était pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle des constructeurs. Il est constant que ce jugement est devenu définitif faute d'avoir été frappé d'appel. Par le jugement attaqué du 19 décembre 2018, le tribunal a considéré que, dès lors que sa décision n° 1000356 avait statué sur le seul terrain de la responsabilité contractuelle, l'autorité de la chose jugée qui lui était attachée ne faisait pas obstacle à ce que la communauté d'agglomération saisisse ultérieurement le juge d'une demande tendant à la mise en cause de la responsabilité quasi-délictuelle des constructeurs, en l'absence d'identité de cause au sens de l'article 1355 du code civil. Pour autant, cette circonstance de droit est sans incidence sur le caractère définitif que le jugement n° 1000356 a acquis dès lors qu'il n'a pas été frappé d'appel.
12. Par suite, et en application de l'article 2243 du code civil, le jugement n° 1000356 du 11 juillet 2014, qui a définitivement rejeté la demande de la communauté d'agglomération du Grand Rodez, a rendu nulle et non avenue l'interruption du délai de prescription résultant de sa demande du 6 mai 2010. Dès lors, la prescription quinquennale qui a couru à compter du 19 juin 2008 était acquise au 17 juillet 2015, date à laquelle la communauté d'agglomération a saisi le tribunal.
13. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a écarté l'exception de prescription. Dès lors, ce jugement doit être annulé et la demande présentée en première instance par la communauté d'agglomération du Grand Rodez doit être rejetée.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de la communauté d'agglomération du Grand Rodez la somme de 1 500 euros au titre des frais, non compris dans les dépens, exposés tant par la société Edeis que par la société ETPSO et par la société Jacques Rougerie. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle aux conclusions présentées par la communauté d'agglomération du Grand Rodez, partie perdante à l'instance.
DECIDE
Article 1er : Le jugement n° 1503324 du tribunal administratif de Toulouse du 19 décembre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande de première instance présentée par la communauté d'agglomération du Grand Rodez (Rodez Agglomération) est rejetée.
Article 3 : La communauté d'agglomération du Grand Rodez (Rodez Agglomération) versera tant à la société Edeis qu'à la société ETPSO la somme de 1 500 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La communauté d'agglomération du Grand Rodez (Rodez Agglomération) versera à la société J. Rougerie la somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes dispositions.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Edeis, à la communauté d'agglomération du Grand Rodez, à la société Eiffage Travaux Publics Sud-Ouest et à la société Jacques Rougerie.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2021.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
Le président,
Didier Artus
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX00777 4