Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 29 décembre 2022 et un mémoire enregistré le 9 février 2023, la société Holding Eric C..., société de participation financière de professions libérales à responsabilité limitée, représentée par Me Calderini, demande au juge des référés de la cour :
1°) de prononcer la suspension de la mise en recouvrement du supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015 et restant à sa charge, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;
2°) de suspendre les effets du jugement n° 1902713 du 20 octobre 2022 du tribunal administratif de Pau en ce qu'il concerne cette imposition ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle remplit la condition d'urgence dès lors que l'imposition restant à sa charge s'élève, en droits et pénalités, à 267 527 euros et que sa trésorerie s'établit à 26,32 euros, sans aucune source de revenus propres ; elle est dépendante des produits versés par sa filiale, la SELARL Pharmacie C..., et ne pourrait ponctionner la trésorerie de celle-ci que par un vote en assemblée générale ordinaire ou en convoquant une assemblée générale extraordinaire pour obtenir un versement d'acompte sur les dividendes de l'exercice en cours ; de plus, sa filiale ne possède pas une capacité distributive suffisante ; la cession de son seul actif, consistant dans les titres de sa filiale, doit être exclue dès lors que la conjoncture du marché n'est pas favorable ; le paiement de l'impôt la conduirait à une procédure collective avec une trésorerie de - 267 501 euros ; l'affirmation de l'administration selon laquelle des poursuites ne seraient pas engagées à brève échéance ne repose sur aucun engagement ;
- le nantissement des parts de sa filiale garantit que la suspension de la mise en recouvrement ne risque pas de priver l'Etat de la possibilité de recouvrer sa créance en cas de rejet de la requête en décharge ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; l'administration a considéré que la valeur réelle des titres de la société Pharmacie C... est supérieure à 15,27 euros, valeur retenue lors de l'augmentation de capital de cette société, et que cela constitue une minoration volontaire du prix d'acquisition des titres par la société Holding ; la commission départementale des impôts directs a émis un avis favorable à la position de la société et a estimé que la méthode de l'administration pour déterminer la valeur des parts n'était pas pertinente ; selon la jurisprudence, il convient de privilégier la méthode fondée sur le prix de transactions comparables récentes et seulement à défaut, de recourir à une évaluation directe, le cas échéant en combinant plusieurs méthodes ; l'administration a appliqué la méthode de productivité qui n'est pas pertinente s'agissant d'une société en déclin, en présence d'une baisse importante du chiffre d'affaires et du résultat net et d'un endettement de plus de deux millions d'euros, ainsi que l'indique la propre doctrine de l'administration, exprimée dans son guide de l'évaluation des entreprises et des titres de sociétés ; l'expert qu'elle a mandaté conclut en ce sens ; cette méthode aboutit à une aberration quant à la valeur du fonds de commerce ; il existait des transactions comparables permettant de réaliser une évaluation par comparaison, notamment celles portant sur les titres de la société Pharmacie de la Négresse, intervenues pour un euro symbolique, selon une évaluation fondée sur la seule méthode mathématique tenant compte du fort endettement de la société ; la proposition de rectification ne précise pas si des recherches ont été conduites sur ce point par l'administration ;
- le tribunal a inversé la charge de la preuve en retenant que c'était au contribuable de prouver que sa méthode était plus pertinente ;
- en tout état de cause, la méthode qu'elle propose est pertinente et correspond aux pratiques du secteur ; le guide de l'évaluation indique que la combinaison de méthodes n'est pas un principe intangible quand une méthode est couramment utilisée dans le secteur considéré, ce qui est le cas en l'espèce avec l'utilisation de la méthode mathématique ; ayant constaté que la méthode conduisait à une valeur négative, elle a retenu 15,27 euros, valeur nominale des titres préexistants ; ce niveau est cohérent avec la valeur calculée par la commission départementale des impôts directs de 11,51 euros ; aucune minoration de la valeur des titres reçus ne peut donc être constatée ;
- l'évaluation qu'elle a retenue est corroborée par celle réalisée par un expert judiciaire indépendant auquel elle a eu recours, laquelle retient une valeur de la société Pharmacie C... s'établissant à 21 000 euros ;
- subsidiairement, en admettant que la méthode de l'administration soit pertinente, elle a été mal appliquée ; l'administration a déterminé les résultats courants au titre des exercices durant lesquels la société était soumise à l'impôt sur le revenu au niveau de M. C..., sans tenir compte de la rémunération de celui-ci ; elle a retenu un résultat de 124 134 euros alors qu'elle aurait dû aboutir à un résultat moyen de 63 284 euros ; elle n'a pas retenu un taux de capitalisation cohérent au regard de la réalité du risque économique lié à l'activité de la société ; le taux retenu tient compte d'un taux de base de l'année 2015, reposant sur des données postérieures à l'opération, intervenue en 2015 ; la correction de l'inflation minore artificiellement le taux de référence et l'administration a retenu un taux d'inflation erroné ; la prime de risque retenue ne reflète pas la situation à la date de l'opération ; le coefficient à appliquer sur la prime de risque a été fixé sans justificatif à 0,8 correspondant à un risque moyen alors que, selon le guide de l'évaluation, il doit être tenu compte des perspectives d'avenir de la société ; il aurait fallu retenir un coefficient bêta d'au moins 1,1 ; le coefficient de capitalisation s'établit ainsi tout au plus à 9,46 % et non à 13,26 % comme l'a retenu l'administration ; la valeur de productivité des parts est donc de 100,49 et non de 334,18 comme l'affirme l'administration ; l'expert auquel elle a fait appel aboutit même à une valeur de productivité de 57,84 euros par part ; l'administration a commis une erreur en ne retenant pas les capitaux propres de la société au titre de la période non soumise à l'impôt sur les sociétés ; elle l'a d'ailleurs admis en première instance, ce qui conduit à une valeur unitaire de 33,75 euros, près de deux fois inférieure à celle initialement déterminée, ce qui induit un doute sérieux sur la pertinence de la méthode suivie ; le nouveau calcul de l'administration, qui intègre les revenus fiscalement réputés appréhendés par l'associé, ne tient toujours pas compte des indemnités de départ à la retraite ; une plus-value latente sur le fonds de commerce de la société a été retenue à tort, en utilisant des comparables qui ne lui ont jamais été communiqués, qu'elle n'a donc pas pu vérifier et dont elle n'a pu, en conséquence, contester la pertinence ; en outre, en retenant un chiffre d'affaires pondéré sur les trois dernières années, l'administration n'a pas donné une image fidèle de la valeur du fonds, le chiffre d'affaires n'étant pas conjoncturel ; pour fixer la valeur finale des titres l'administration a combiné la valeur mathématique obtenue avec une valeur de productivité ce qui est critiquable et inopposable ; la valeur de productivité retenue ne tient en effet aucun compte de la dette de la société alors que le guide de l'évaluation préconise de prendre en compte l'endettement ; le tribunal a cru, à tort, que la valeur mathématique avait été déterminée à 62,17 euros alors qu'elle a été fixée à 33,75 euros ; contrairement aux préconisations du guide, l'administration n'a pas recherché les raisons des écarts entre la valeur mathématique et la valeur de productivité de sorte que la pondération de 3 pour 1 entre les deux méthodes n'a pas permis de tenir compte du poids de la dette de la société ; compte tenu de ce poids, une pondération de 1 pour 26 aurait dû être retenue ; de plus, l'administration n'a pas appliqué de décote d'illiquidité ni de décote pour homme-clé alors que les titres de la société ne peuvent se négocier que sur un marché très restreint et en déclin ; la jurisprudence a admis qu'une décote de 40 % était justifiée dans une telle situation ; si l'administration avait correctement appliqué sa méthode, elle aurait constaté une valeur de 14,80 euros par action ;
- ainsi, aucune minoration d'actif ne peut être constatée ; par ailleurs, l'administration n'a jamais apporté la preuve d'une quelconque intention libérale ; une telle intention libérale est inexistante ;
- la procédure d'imposition est irrégulière pour insuffisance de motivation de la proposition de rectification au regard des exigences des articles L. 57 et R. 57-1 du livre des procédures fiscales dès lors qu'il n'a pas été indiqué sur quelles opérations comparables s'est fondé le service.
Par des mémoires enregistrés le 10 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens invoqués ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la régularité de la procédure d'imposition ou quant au bien-fondé de l'imposition ; il s'en remet sur ce point au mémoire en défense déposé dans l'affaire au fond, dont il joint une copie ;
- la société ne justifie pas d'une situation d'urgence dès lors que le contribuable n'a pris aucune mesure de poursuite, un nantissement de parts sociales ayant été enregistré le 28 mai 2019 en garantie du sursis de paiement ; aucune mesure d'exécution forcée n'est envisagée à brève échéance ; il a été demandé au service du recouvrement de surseoir jusqu'à l'intervention de la décision de la cour.
Vu :
- la requête au fond enregistrée sous le n° 22BX03119;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la cour a désigné Mme D... B... en qualité de juge des référés, en application du livre V du code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... B...,
- les observations de Me Pelletier, représentant la société Holding Eric C..., qui reprend les éléments développés dans les écritures présentées pour la société, tant sur l'urgence que sur les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure d'imposition et de l'absence de bien-fondé de l'imposition.
Considérant ce qui suit :
1. La société de participation financière de professions libérales à responsabilité limitée Holding Eric C..., créée le 14 septembre 2014 et détenue à 100 % par M. A... C..., a pour objet la participation directe ou indirecte dans toute société d'exercice libéral d'officine de pharmacie. Par acte sous-seing privé du 5 octobre 2015, dans le cadre de l'augmentation du capital de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pharmacie C..., qui exploite une officine à Biarritz, de 7 650 euros à 101 650 euros, elle a souscrit les 6 156 nouvelles parts sociales de cette société, pour une valeur unitaire de 15,27 euros, en contrepartie d'un apport en numéraire de 94 000 euros et a inscrit ces titres à son actif pour cette somme de 94 000 euros. A la suite d'une vérification de comptabilité ayant porté sur l'exercice clos en 2015, par une proposition de rectification du 22 août 2017, l'administration fiscale, retenant une valeur unitaire de 130,16 euros, lui a signifié son intention de rehausser son bénéfice en raison d'une minoration d'actif du montant de 707 265 euros. Malgré l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui a estimé la minoration au plus à 129 889 euros, en retenant une valeur unitaire de 36,37 euros, l'administration a assujetti la société Holding Eric C... à un supplément d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2015 à raison d'une minoration d'actif de 707 265 euros. La société a contesté ce supplément d'impôt devant le tribunal administratif de Pau. Par jugement du 20 octobre 2022, le tribunal a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer à hauteur du dégrèvement intervenu en première instance, l'administration ayant ramené à 108,86 euros le montant unitaire des titres et ayant réduit le montant de la minoration d'actif à 574 142 euros, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. La société Holding Eric C..., qui a fait appel de ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions de première instance, demande dans la présente instance la suspension de la mise en recouvrement de l'imposition supplémentaire restant à sa charge.
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".
3. Le contribuable qui a saisi le juge de l'impôt de conclusions tendant à la décharge d'une imposition à laquelle il a été assujetti est recevable à demander au juge des référés, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de la mise en recouvrement de l'imposition, dès lors que celle-ci est exigible. Le prononcé de cette suspension est subordonné à la double condition, d'une part, qu'il soit fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la régularité de la procédure d'imposition ou sur le bien-fondé de l'imposition et, d'autre part, que l'urgence justifie la mesure de suspension sollicitée. Pour vérifier si la condition d'urgence est satisfaite, le juge des référés doit apprécier la gravité des conséquences que pourraient entraîner, à brève échéance, l'obligation de payer sans délai l'imposition ou les mesures mises en œuvre ou susceptibles de l'être pour son recouvrement, eu égard aux capacités du contribuable à acquitter les sommes qui lui sont demandées.
4. La société Holding Eric C... produit des documents comptables ainsi que l'attestation d'un expert-comptable indiquant que ses seuls actifs sont constitués des titres qu'elle détient dans la société Pharmacie C..., qu'elle n'a jamais perçu aucun revenu de sa filiale depuis sa création, que sa trésorerie s'établit depuis 2019 à 26,32 euros, sans aucune source de revenus propres et que la trésorerie de sa filiale ne lui permet pas de distribuer des bénéfices à hauteur des sommes réclamées par l'administration, de 267 527 euros en droits et pénalités. Si la société requérante a constitué au profit du Trésor un nantissement des parts sociales qu'elle détient dans sa filiale, la réalisation du nantissement ou la vente de ces titres, qui constituent ses seuls actifs, est de nature à mettre en péril la continuité de son exploitation. Si par ailleurs l'administration soutient qu'aucune poursuite n'est envisagée à brève échéance, aucun élément de l'instruction ne permet d'exclure l'intervention de poursuites avant qu'il ait pu être statué sur la requête au fond de la société requérante. Dans ces conditions, eu égard aux conséquences économiques que pourrait entraîner à brève échéance l'obligation de paiement de l'impôt, la société requérante justifie satisfaire la condition d'urgence fixée à l'article L. 521-1 du code de justice administrative.
5. En revanche, aucun des moyens invoqués par la société Holding Eric C... n'est, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux quant à la régularité de la procédure d'imposition ou quant au bien-fondé de l'imposition. L'une des conditions auxquelles est subordonnée la suspension prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant pas remplie, la société Holding Eric C... n'est pas fondée à demander la suspension de la mise en recouvrement de l'imposition en litige. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la société Holding Eric C... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Holding Eric C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Fait à Bordeaux, le 15 février 2023.
La juge des référés,
Elisabeth B...
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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N° 22BX03173