Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B..., représentée par Me Tucoo-Chala, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, d'ordonner une mesure d'expertise médicale aux fins de déterminer les préjudices en lien avec la seconde dose d'injection du vaccin Moderna contre la Covid 19 qu'elle a reçue le 5 janvier 2022.
Par une ordonnance n° 2201206 du 14 février 2023, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 février et 3 avril 2023, Mme B..., représentée par Me Tucoo-Chala demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 2201206 du 14 février 2023 ;
2°) d'ordonner l'expertise sollicitée, à confier à un expert neurologue.
Elle soutient que :
- les documents médicaux produits attestent du lien entre la vaccination
du 5 janvier 2022 et ses symptômes, dont la matérialité n'est pas contestable, et la première juge ne pouvait dénier l'utilité de l'expertise au motif que la procédure amiable a été engagée auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) le 18 février 2022 ; l'ONIAM n'a diligenté aucune expertise, et ne saurait se prévaloir d'un risque de contradiction avec le médecin qu'il pourrait désigner, ce qui accroît la suspicion de manque d'impartialité ;
- à la date de l'ordonnance attaquée, l'ONIAM ne s'était pas prononcé dans le délai de six mois prévu par l'article R. 3131-3 du code de la santé publique ;
- quel que soit le fondement de l'obligation d'indemnisation par l'ONIAM, l'expertise est utile ; les avis soumis au conseil médical pour le rattachement de ses symptômes à un accident de service divergent ;
- il convient de déterminer les préjudices subis à la suite des effets secondaires du vaccin Moderna contre la Covid 19.
Par un mémoire, enregistré le 16 mars 2023, le centre hospitalier de Pau, représenté par la SARL Le Prado-Gilbert sollicite sa mise hors de cause aux motifs que l'injection a été administrée par le médecin traitant de Mme B... et que sa propre responsabilité ne saurait être engagée au regard de la mission de l'ONIAM en ce qui concerne les conséquences des vaccinations obligatoires.
Par un mémoire, enregistré le 21 mars 2023, l'ONIAM, représenté par Me Roquelle-Meyer, conclut au rejet de la requête ou subsidiairement à ce que la mission de l'expert soit complétée.
Il soutient que :
- il a demandé des pièces médicales complémentaires, qui lui ont été adressées
les 23 avril 2022 et 3 mars 2023, et le dossier est désormais complet au sens de l'article R. 3131-3 du code de la santé publique ;
- le délai de six mois dont il disposait pour se prononcer doit être regardé comme suspendu pendant le temps de la présente instance contentieuse ;
- il convient de laisser prospérer la voie amiable afin d'éviter un risque de contradiction entre les rapports d'expertise rendus.
Le président de la cour a désigné, par une décision du 1er mars 2023, Mme Catherine Girault, présidente de chambre, comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., infirmière au centre hospitalier de Pau a fait l'objet en mars 2021 d'une première injection de vaccin Pfizer contre la Covid 19, puis le 5 janvier 2022 d'une deuxième injection pa r son médecin traitant avec le vaccin Moderna, à la suite de laquelle elle a présenté dans les 48 heures une très vive douleur rétro auriculaire gauche, irradiant dans l'œil, avec l'installation subaiguë d'une paralysie faciale gauche, caractérisée par l'interne aux urgences le 8 janvier 2022 comme " post vaccinale ". Elle a ensuite présenté des névralgies importantes de la région péri auriculaire et du vertex gauche, et un nouvel épisode de paralysie faciale en avril, que le service des urgences a indiqué " sur réactivation virale ". Elle a été en arrêt de travail du 8 au 31 janvier, du 20 février au 29 mars et du 9 au 24 avril 2022. Si les séquelles motrices sont demeurées légères, elle a souffert d'un tableau algique hémifacial persistant. Elle a saisi l'ONIAM le 18 février 2022 d'une demande d'indemnisation amiable. En l'absence d'expertise diligentée par cet établissement, elle a saisi le 8 juin 2022 le juge des référés du tribunal administratif de Pau, et relève appel de l'ordonnance du 14 février 2023
qui a rejeté comme dépourvue d'utilité sa demande d'expertise médicale.
Sur le cadre juridique du litige :
2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre
la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (...). " Aux termes de l'article 13 de la même loi : " I. -Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. (...) / (...) / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité. / (...). " Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. / (...) / B. - A compter
du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / (...) / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. "
3. L'article 18 de la même loi prévoit que " La réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire administrée en application du I de l'article 12 est assurée conformément à l'article L. 3111-9 du code de la santé publique ". L'article L.3111-9 du code de la santé publique dispose : " Sans préjudice des actions
qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale
des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l'Office national d'indemnisation
des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué
à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale./L'office diligente une expertise
et procède à toute investigation sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.(...) ".
4. Enfin, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a également pour mission d'assurer,
en vertu de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique, et également sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation au titre
de la solidarité nationale des préjudices résultant de campagnes de vaccination, même non obligatoires, lancées par les autorités publiques en cas de menace sanitaire grave sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique.
Sur l'utilité de l'expertise demandée :
5. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction (...) ". L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce titre, lorsqu'il est saisi d'une demande d'expertise visant à évaluer un préjudice en vue d'engager la mise en œuvre de la solidarité nationale, le juge ne peut se fonder, pour rejeter cette demande, sur l'absence de lien de causalité entre le préjudice à évaluer
et l'évènement allégué qu'en cas d'absence manifeste d'un tel lien de causalité.
6. Contrairement à ce que soutient l'ONIAM, la circonstance que Mme B... a initié son schéma de vaccination en mars 2021, avant l'obligation imposée aux soignants par la loi du 5 août 2021, est sans incidence sur le régime applicable au dommage subi à la suite d'un rappel de janvier 2022, lequel avait pour objet de mettre la situation de Mme B..., qui avait été affectée par la covid-19 courant 2021 et donc temporairement dispensée, en conformité avec son obligation de schéma vaccinal complet pour pouvoir continuer d'exercer ses fonctions d'infirmière. Dans ces conditions, la demande de Mme B..., qui est assortie de suffisamment de pièces médicales pour justifier son examen, relève du cadre juridique de l'indemnisation des conséquences d'une vaccination obligatoire. Au demeurant, le fondement juridique d'une action indemnitaire en la matière, qui peut aussi relever des vaccinations organisées dans le cadre de campagnes orchestrées par le ministre chargé de la santé, est sans incidence sur l'utilité d'une expertise pour apprécier tant le lien de causalité entre les symptômes allégués et la vaccination que la nature et la gravité des préjudices subis.
7. Pour contester l'utilité de l'expertise, l'ONIAM se borne à souligner qu'il pouvait diligenter une telle mesure dans le cadre de la procédure amiable qui avait été engagée. Toutefois, il est constant qu'il n'a pas procédé ainsi, et qu'à la date à laquelle Mme B..., qui craignait de se voir placer en congé de maladie à demi-traitement, a sollicité une expertise judiciaire, l'expiration du délai de six mois dont disposait l'ONIAM pour se prononcer, alors qu'aucune nouvelle pièce n'avait été réclamée depuis avril, approchait sans qu'aucune mesure d'instruction n'ait ainsi été diligentée. Il restait loisible à l'ONIAM de proposer une indemnisation ou de désigner un expert jusqu'à l'ordonnance, intervenue en février 2023, du juge des référés, lequel aurait alors pu constater l'inutilité d'une seconde expertise sans aucun risque de contradiction entre deux experts. Au regard de l'absence d'une telle mesure, l'expertise demandée présente, contrairement à ce qu'a retenu la première juge, le caractère d'utilité exigé par les dispositions précitées de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, et il y a lieu de l'ordonner dans les conditions fixées ci-après.
8. Ainsi que le souligne le centre hospitalier, sa responsabilité n'est pas susceptible d'être engagée alors que le litige en vue duquel l'expertise est demandée serait noué entre Mme B... et l'ONIAM au titre de la prise en charge des conséquences d'une vaccination par la solidarité nationale. L'intéressée est en mesure de justifier par ailleurs des conséquences professionnelles de son état de santé. Dans ces conditions, et eu égard au caractère confidentiel des informations médicales susceptibles d'être recueillies, il y a lieu de mettre hors de cause le centre hospitalier de Pau, comme il le demande.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance du 14 février 2023 est annulée.
Article 2 : Le docteur D... A..., domicilié au secrétariat du service de neurologie et unité neuro-vasculaire (UNV) , 9ème étage du Tripode, Hôpital Pellegrin, Place Amélie Raba Léon, 33076 Bordeaux Cedex est désigné pour procéder à une expertise. Il aura pour mission :
- de se faire communiquer le dossier médical de Mme B... et tous les éléments relatifs aux soins reçus dans les suites de la vaccination contre le Covid 19 ;
- de décrire l'histoire de la pathologie, de dire si les troubles constatés par la patiente et transcrits par les médecins qu'elle a consultés sont en lien avec la vaccination contre
la Covid 19 ; indiquer si un état antérieur peut les expliquer et dans quelle mesure ; préciser si une déclaration de pharmacovigilance a été réalisée et les suites éventuellement réservées à ce signalement ; indiquer si, au regard des données de pharmacovigilance disponibles, des troubles similaires ont été constatés dans d'autres cas après une vaccination et si la littérature médicale en fait état ;
- d'examiner Mme B..., de recueillir ses doléances, d'indiquer la nature des séquelles qu'elle conserve en précisant si elles peuvent aussi résulter d'un état antérieur ou des modalités des soins reçus, et dans l'affirmative dans quelles proportions ;
- d'indiquer si son état est consolidé ou s'il est susceptible d'évoluer en amélioration ou en aggravation ;
- de déterminer l'ensemble des préjudices en lien avec la vaccination, et notamment la durée des incapacités temporaires, en distinguant le cas échéant selon leur importance ;
- de chiffrer le cas échéant le déficit fonctionnel permanent par référence au
barème d'évaluation des taux d'incapacité des victimes d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes ou d'infections nosocomiales publié à l'annexe 11-2 du code de la santé publique (décret n°2003-314 du 4 avril 2003) ;
- de préciser les conséquences des séquelles de la vaccination sur l'activité professionnelle
de Mme B... (conditions de reprise du travail, nécessité d'un poste aménagé ou d'une reconversion, tâches éventuellement incompatibles avec l'état de santé...) ;
- de dire si, et en quoi, l'état de santé de Mme B... en lien avec la vaccination a nécessité l'aide d'une tierce personne, de quantifier le besoin en précisant s'il subsiste pour l'avenir
et pour quelle durée ;
- d'évaluer les souffrances subies sur une échelle de 1 à 7 ;
- d'évaluer les préjudices esthétiques temporaire et permanent sur une échelle
de 1 à 7 ;
- d'indiquer si des frais médicaux en lien avec les conséquences de la vaccination sont restés
à la charge de Mme B... ou sont prévisibles pour l'avenir ;
- de donner son avis sur l'existence d'autres préjudices qui seraient allégués par l'intéressée (préjudice d'agrément, préjudice sexuel...) ;
- plus généralement de faire toute observation de nature à éclairer l'ONIAM et le juge du fond éventuellement saisi sur les préjudices de Mme B....
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R. 621-2
à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour administrative d'appel.
Article 4 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues
à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 5 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre Mme B...
et l'ONIAM.
Article 6 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.
Article 7 : L'expert déposera son rapport au greffe sous forme dématérialisée dans un délai
de six mois à compter de la notification de la présente ordonnance. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 8 : Les frais et honoraires de l'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais
et honoraires.
Article 9 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C... B..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier de Pau, à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau et au docteur D... A..., expert.
Fait à Bordeaux, le 13 juillet 2023.
La juge d'appel des référés,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
N° 23BX00558 2