Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Pau, d'une part, d'annuler la décision du 9 février 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a opéré une retenue de cinq trentièmes sur son traitement pour la période du 24 janvier au 28 janvier 2018, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux formé le 30 avril 2018, d'enjoindre à l'Etat de lui restituer la somme retenue sur son traitement et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 11 avril 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix jours, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux formé le 31 mai 2018.
Par un jugement n° 1801851, 1808152 du 3 février 2021, le tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du 11 avril 2018 du garde des sceaux, ministre de la justice, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des demandes de Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 avril 2021 et 2 décembre 2022, Mme B..., représentée par Me Marbot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 30 décembre 2020 en tant qu'il rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du 9 février 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux formé le 30 avril 2018, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui restituer la somme retenue sur son traitement et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice ;
2°) d'annuler la décision du 9 février 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de lui restituer la somme retenue sur son traitement ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision en litige est entachée d'incompétence de son auteur ;
- son arrêt de travail ne pouvait être remis en cause sans contre-visite par un médecin agréé ou, à tout le moins, une demande d'explications ; du fait de l'inertie de l'administration, elle n'a pas été mise en demeure de justifier que cet arrêt de travail était fondé sur un motif médical valable ;
- son arrêt de travail n'était pas lié au mouvement syndical mais à une situation de stress au travail ;
- l'illégalité fautive de la décision de retenue sur son traitement engage la responsabilité de l'Etat à son égard ; elle a subi un préjudice moral, qui doit être évalué à 2 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 11 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 février 2023 à 12 h.
Le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux, par une décision du 4 septembre 2023, a affecté Mme Karine Butéri, présidente-assesseure, à la 3ème chambre de la cour, pour l'audience du mardi 19 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,
- et les observations de Me Marbot, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., surveillante pénitentiaire alors en fonction à la maison d'arrêt de Pau, a transmis à son administration un avis d'arrêt de travail du 24 au 28 janvier 2018 pour un " épisode dépressif ". Par une décision du 9 février 2018, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a opéré une retenue de cinq trentièmes sur le traitement de l'intéressée pour la période du 24 au 28 janvier 2018. Mme B... relève appel du jugement du 30 décembre 2020 du tribunal administratif de Pau en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui restituer la somme retenue sur son traitement et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral.
2. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit (...) ".
3. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, désormais codifié aux articles L. 822-1 à L. 822-5 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire a droit (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; (...). Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 35 ". Aux termes de l'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime des congés de maladie des fonctionnaires, dans sa rédaction alors applicable : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ". L'article 15 du même décret dispose que l'avis du comité médical, devenu conseil médical depuis l'entrée en vigueur du décret du 11 mars 2022 modifiant le décret du 14 mars 1986, est motivé dans le respect du secret médical.
4. Il résulte des dispositions citées au point 3 que l'administration ne peut en principe interrompre le versement de la rémunération d'un agent lui demandant le bénéfice d'un congé de maladie en produisant un avis médical d'interruption de travail qu'en faisant procéder à une contre-visite par un médecin agréé. Toutefois, dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, et la réception d'un nombre important et inhabituel d'arrêts de travail sur une courte période la mettant dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration est fondée, dès lors qu'elle établit que ces conditions sont remplies, à refuser d'accorder des congés de maladie aux agents du même service, établissement ou administration lui ayant adressé un arrêt de travail au cours de cette période. Ces agents peuvent, afin de contester la décision rejetant leur demande de congé de maladie, établir par tout moyen la réalité du motif médical ayant justifié leur absence pendant la période considérée. Ils peuvent également, malgré l'absence de contre-visite, saisir le conseil médical, qui rendra un avis motivé dans le respect du secret médical.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'appel au blocage des établissements pénitentiaires par plusieurs organisations syndicales, l'administration pénitentiaire a été marquée, pendant la période de la fin janvier au début février 2018, par un important mouvement social des surveillants pénitentiaires, agents pour lesquels la cessation concertée du service est interdite. Le garde des sceaux, ministre de la justice fait état, dans son mémoire produit devant le tribunal, du nombre anormalement élevé des arrêts de travail d'agents pénitentiaires relevant de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux, passé de 97 pour la période du 1er au 20 janvier 2018 à 441 pour la période du 22 au 31 janvier 2018. Il est ainsi établi que l'administration s'est trouvée dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile à une contre-visite par un médecin agréé de Mme B..., agent relevant de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux et dont l'avis d'arrêt de travail portait sur la période allant du 24 au 28 janvier 2018. Dès lors, en considérant, sans contre-visite par un médecin agréé, que Mme B... était en situation d'absence injustifiée entre le 24 et le 28 janvier 2018, et en procédant, pour ce motif, à une retenue sur son traitement, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux n'a pas commis d'erreur de droit.
6. En second lieu, Mme B... a présenté un avis d'arrêt de travail faisant mention d'un " épisode dépressif " pour une durée de cinq jours. En se bornant à produire l'en-tête d'un compte-rendu d'analyses médicales du 25 janvier 2018, dont il ressort seulement que l'intéressée a fait l'objet d'une biochimie sanguine à cette date, et une prescription médicale d'anxiolytiques datée du 29 juin 2018, postérieure de plusieurs mois à l'avis d'arrêt de travail litigieux, la requérante n'établit pas la réalité du motif médical ayant justifié son absence pendant la période en cause. Les courriers qu'elle et son époux ont adressés au directeur de la maison d'arrêt de Pau en avril et août 2018 puis en juillet 2019 ne permettent pas davantage de démontrer que son arrêt de travail du 24 au 28 janvier 2018 était justifié par une pathologie liée à un stress au travail.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande à fin d'annulation de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux du 9 février 2018 et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à la réparation du préjudice résultant de la retenue contestée. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, être accueillies.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 octobre 2023.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX01417