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30/04/2024 | FRANCE | N°22BX00443

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 30 avril 2024, 22BX00443


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière Rabelais a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser la somme de 36 600 euros en réparation du préjudice que lui a causé l'illégalité de la décision du 6 août 2010 par laquelle le préfet de la Vienne l'a mise en demeure de mettre fin à l'occupation aux fins d'habitation du local dont elle est propriétaire au 16 bis rue Rabelais à Poitiers, d'effectuer tous travaux empêchant l'entrée dans les lieux et d

'assurer le relogement des occupants.



Par un jugement n° 2001952 du 10 décembre 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Rabelais a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser la somme de 36 600 euros en réparation du préjudice que lui a causé l'illégalité de la décision du 6 août 2010 par laquelle le préfet de la Vienne l'a mise en demeure de mettre fin à l'occupation aux fins d'habitation du local dont elle est propriétaire au 16 bis rue Rabelais à Poitiers, d'effectuer tous travaux empêchant l'entrée dans les lieux et d'assurer le relogement des occupants.

Par un jugement n° 2001952 du 10 décembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 février 2022 et un mémoire enregistré le 18 janvier 2024, la société Rabelais, représenté par la société KPL avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 10 décembre 2021 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 36 600 euros assortie des intérêts légaux capitalisés à compter du 18 avril 2020 en réparation du préjudice que lui a causé la décision du 6 août 2010 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Elle soutient que :

- la décision du 6 août 2010 a été annulée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 3 mai 2016 devenu définitif ;

- l'administration ne peut pas se prévaloir des dispositions de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 et du décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent, pris pour l'application de cette loi ;

- elle a effectué les travaux de mise en conformité demandés avant le 1er février 2013 ;

- elle justifie de l'existence et du montant des préjudices matériel et moral que lui a causé l'illégalité de cet arrêté.

Par un mémoire enregistré le 22 décembre 2024, le ministre de la santé et de la prévention conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la société appelante ne justifie pas de ses préjudices.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitat ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;

- le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Kolenc, représentant la société Rabelais.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière Rabelais est propriétaire d'un local dans un immeuble situé 16 bis rue Rabelais à Poitiers. Par un arrêté du 6 août 2010 pris sur le fondement de l'article L. 1331-22 du code de la santé publique, le préfet l'a mise en demeure de mettre fin à l'occupation aux fins d'habitation de ce local, d'effectuer tous travaux empêchant l'entrée dans les lieux et d'assurer le relogement des occupants au motif que ce bien, situé en sous-sol, était par nature impropre à l'habitation. L'expert nommé par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers à la demande de la société Rabelais pour évaluer l'état de son bien a rendu son rapport le 17 février 2012. Ce tribunal a rejeté la demande de la société tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 août 2010 mais, par un arrêt n°14BX00277 du 3 mai 2016 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement et cet arrêté. La société Rabelais a alors présenté une demande indemnitaire, rejetée par une décision de la préfète de la Vienne du 4 juin 2020. Cette société relève appel du jugement du 10 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 36 600 euros en réparation des préjudices matériel et moral que lui aurait causé l'illégalité de l'arrêté du 6 août 2010.

Sur la responsabilité :

2. L'illégalité de la décision du 6 août 2010 caractérise une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices présentant un lien direct et certain avec cette illégalité.

Sur les préjudices :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs dans sa version applicable au litige : " Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation. " L'article 1er du décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent, pris pour l'application de cette loi, prévoit que : " Un logement décent est un logement qui répond aux caractéristiques définies par le présent décret ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Le logement doit satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires : / 1. Il assure le clos et le couvert. (...) ; / 2. Il est protégé contre les infiltrations d'air parasites. (...) ; / 4. La nature et l'état de conservation et d'entretien des matériaux de construction, des canalisations et des revêtements du logement ne présentent pas de risques manifestes pour la santé et la sécurité physique des locataires ; / 6. Le logement permet une aération suffisante. Les dispositifs d'ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation des logements sont en bon état et permettent un renouvellement de l'air et une évacuation de l'humidité adaptés aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements ... ".

4. D'une part, la société appelante ne peut sérieusement soutenir que les dispositions précitées ne pourraient être prises en considération dans le cadre du présent litige dans la mesure où elles concernent les relations de droit privé entre propriétaires et locataires, alors qu'il s'agit de dispositions d'ordre public et qu'il appartient à la cour, pour apprécier la réalité du préjudice allégué, de déterminer si la société Rabelais aurait pu légalement louer le local considéré en l'absence de la mise en demeure édictée par le préfet le 6 août 2010.

5. D'autre part, l'arrêt de la cour du 3 mai 2016 a annulé cette décision du 6 août 2010 au seul motif que le local en cause était situé " en cour anglaise " et ne pouvait, dès lors, être qualifié de sous-sol impropre par nature à l'habitation au sens de l'article L. 1331-22 du code de la santé publique, sans se prononcer sur l'habitabilité de ce local au regard des dispositions rappelées au point 3.

6. Or, il ressort du rapport des services municipaux établi le 8 juillet 2010 que ce bien ne répondait pas aux normes exigées en matière d'hygiène et de salubrité, et le rapport de l'expertise judiciaire réalisée le 17 février 2012 indique que des travaux de mise en conformité étaient toujours nécessaires à cette date pour que le logement puisse être regardé comme conforme à la réglementation, s'agissant plus particulièrement du dispositif de pompe de relevage des eaux usées et du dispositif de ventilation. Si la société Rabelais se prévaut du constat d'huissier qu'elle a fait réaliser le 22 mars 2013 ainsi que de la lettre qu'elle a ensuite adressée au préfet le 22 mai suivant, faisant état de la réalisation de travaux de mise aux normes en février 2013, il ressort du pré-rapport d'une seconde expertise judiciaire du 12 septembre 2013 ordonnée par le tribunal d'instance de Poitiers, qui fait suite à une visite des locaux effectuée le 18 juin 2013 postérieurement à ces travaux, que le système de ventilation installé ne concernait pas la cuisine et demeurait insuffisant en ce qui concerne la salle d'eau et les sanitaires, que le clos et le couvert n'étaient pas assurés par la porte-fenêtre en place, et enfin que la trappe d'accès au local de pompe n'était toujours pas équipée d'un calfeutrement convenable. Dans ces conditions, la société Rabelais n'est pas fondée à soutenir que le local respectait, y compris après février 2013, les normes sanitaires imposées par les dispositions précitées de l'article 2 du décret du 30 janvier 2002, et répondait à la définition d'un logement décent au sens de la loi du 6 juillet 1989.

7. Par suite, faute d'établir qu'elle aurait pu légalement donner à bail le bien en cause pendant la période considérée, et quand-bien même il résulte de l'instruction qu'elle a néanmoins procédé à sa location en toute irrégularité du 15 septembre 2012 au 18 février 2013, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que l'illégalité de la décision du 6 août 2010 lui a causé un préjudice financier indemnisable.

8. En second lieu, la société appelante n'est pas davantage fondée à soutenir que l'illégalité de la décision du 6 août 2010 lui aurait causé un préjudice moral dès lors, non seulement, qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que, contrairement à ce qu'elle soutient, le logement qu'elle louait n'était pas décent au sens des dispositions précitées de la loi du 6 juillet 1989, mais qu'en outre il ressort de ses écritures qu'elle ne demande pas la réparation du préjudice d'image qu'elle aurait elle-même subi mais du préjudice de réputation qu'aurait subi ses représentants, personnes physiques qui ne sont pas parties à l'instance.

9. Il résulte de ce qui précède que la requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Rabelais est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Rabelais et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2024.

Le rapporteur,

Manuel A...

Le président,

Laurent PougetLe greffier,

Anthony Fernandez

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22BX00443 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00443
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : SCP PIELBERG KOLENC

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;22bx00443 ?
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