Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 7 septembre 2023 par lequel la préfète de la Creuse lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2301870 du 16 janvier 2024, le tribunal administratif de Limoges a prononcé l'annulation de l'arrêté du 7 septembre 2023 et a enjoint à la préfète de la Creuse de délivrer à M. B... un titre de séjour dans un délai de deux mois à compte de la notification du jugement.
Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 15 février 2024 et le 26 avril 2024, la préfète de la Creuse demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Limoges du 16 janvier 2024.
Elle soutient que :
- ses conclusions sont fondées sur l'article R. 811-15 du code de justice administrative dont les conditions sont remplies ;
- le moyen d'annulation retenu par le tribunal, tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision contestée sur la situation de l'intéressé, n'est pas fondé ; M. B... ne résidait pas en France en 2014 et 2015 ; il résulte de ses visas qu'il ne se déplaçait en France que pour des séjours de quelques jours ; l'indication de son séjour en France durant ces deux années résulte d'une erreur informatique dans son dossier ; l'intéressé a déclaré vivre chez son fils à A... alors qu'il réside en réalité à Noisy-le-Sec qui ne correspond pas aux villes où vivent ses enfants ; il ne justifie pas d'un domicile propre et a eu plusieurs adresses différentes ; le caractère stable et continu de son séjour en France depuis 2013 est ainsi mis en doute ; depuis son entrée en France, il n'a bénéficié que d'une carte de séjour en qualité de commerçant du 12 juin 2013 au 11 juin 2014 puis d'une carte de séjour à raison de son état de santé le 27 juin 2017 ; entretemps, il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et n'a été présent en France que pour de courtes périodes, domicilié chez des tiers pour recevoir son courrier ; même lorsqu'il a été titulaire de cartes de séjour à raison de son état de santé, il a voyagé dans son pays d'origine et dans d'autres Etats ; son fils a attesté le prendre en charge durant ses séjours en France mais pas l'héberger ; il a en va de même de ses autres enfants ; il a été autorisé à se maintenir en France depuis 2017 uniquement à raison de son état de santé ; il peut désormais être pris en charge dans son pays d'origine où réside son épouse ; il ne justifie pas de liens particulièrement étroits avec ses enfants qui ne lui ont apporté une aide que sous la menace d'une saisine du juge aux affaires familiales ; il ne justifie pas non plus de la fréquence des visites de son épouse ; le tribunal a pris en compte l'extrême gravité des conséquences d'un arrêt de la prise en charge médicale de M. B... alors qu'il ressort de l'avis des médecins de l'OFII qu'il peut être pris en charge dans son pays d'origine ;
- les autres moyens qu'avait invoqués M. B... devant le tribunal ne sont pas davantage fondés ; le signataire de l'arrêté disposait d'une délégation de signature ; la décision contestée est suffisamment motivée ; la décision n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ses enfants sont majeurs et l'aide alimentaire qu'ils lui apportent ne peut établir des liens affectifs intenses ; il a nécessairement conservé des liens dans son pays d'origine où réside son épouse, où il a vécu la majeure partie de sa vie et où il a multiplié les séjours ; il n'a pas été fait une appréciation erronée de son état de santé dès lors qu'il peut recevoir un suivi adapté dans son pays d'origine ; il n'est pas assuré de ne pas être confronté à la pénurie de personnel soignant et de médicaments qui touche la France ; l'obligation de quitter le territoire français ne peut donc pas être considérée comme illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour ; il a été vérifié que l'intéressé ne relevait pas des cas visés à l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il ne risquait pas de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'il pouvait voyager sans risque pour son état de santé ; sa situation personnelle a donc été examinée avant que lui soit opposée une mesure d'éloignement ; cette mesure n'a pas été prise comme une conséquence automatique du refus de séjour et elle n'est pas disproportionnée ni mal fondée ; elle ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le demandeur n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la mesure d'éloignement pour contester la décision fixant le pays de renvoi ; l'obligation de se présenter au commissariat qui a été imposée à l'intéressé n'a pour objet que de préparer son départ pendant le délai de départ volontaire de 30 jours qui est aujourd'hui expiré ; cette décision a été prise avant que l'intéressé ne soit hospitalisé.
Par un mémoire enregistré le 13 mars 2024 et un mémoire en production de pièces enregistré le 11 avril 2024, M. B..., représenté par Me Pascal, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il se réfère aux écritures présentées en première instance ;
- la préfète fait état d'éléments qui n'avaient pas été débattus en première instance ; cette production d'éléments nouveaux interroge sur la pertinence de ces éléments ;
- les longues périodes de sa présence en France depuis les années 1970, ne sont pas niées ; il n'est pas nié non plus que la plupart de ses enfants et sa fratrie sont en France et de nationalité française ;
- la préfète élude ses graves problèmes de santé alors que le fondement de sa demande de titre de séjour est son état de santé ;
- il est bien hébergé par ses enfants, contrairement à ce qu'affirme la préfète ; la participation financière dont il bénéficie de la part de ses enfants, même si ceux-ci ont exprimé la conscience qu'ils ont de leurs obligations, n'est pas dictée par la menace d'une saisine du juge aux affaires familiales ;
- il connaît très bien la France, y a suivi des études, y a passé son permis de conduire, y a exercé une activité professionnelle et y perçoit une pension de retraite ; ses quatre enfants vivent et travaillent en France ; ses deux frères sont de nationalité française ; son épouse lui rend régulièrement visite ;
- il souffre de nombreuses pathologies et est suivi médicalement en région parisienne ; il bénéficie d'une carte mobilité inclusion et le département de la Creuse lui a reconnu un taux d'incapacité de 50 à 80 % ; l'avis du collège de l'OFII indique que l'absence de prise en charge médicale l'exposerait à des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; il est en attente d'une intervention chirurgicale qui a été repoussée dès lors que son état de santé était trop fragile ; il est toujours hospitalisé actuellement ;
- il ne constitue pas une menace pour l'ordre public ; il est au contraire intégré en France, professionnellement et socialement ; il est hébergé chez ses enfants, soit en Creuse, soit en région parisienne mais n'est pas sans domicile fixe comme le soutient la préfète ;
- l'obligation de se présenter au commissariat deux fois par semaine est inappropriée au regard de ses problèmes de santé ;
- le jugement attaqué est donc justifié et les moyens invoqués par la préfète ne sont pas de nature à remettre en cause son bien-fondé.
Par une décision du 19 mars 2024, le bénéficie de l'aide juridictionnelle totale a été maintenu de plein droit à M. B....
Vu :
- la requête au fond enregistrée sous le n° 24BX00377 ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Elisabeth Jayat a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ".
2. M. B..., né le 22 novembre 2952, de nationalité tunisienne, a séjourné à plusieurs reprises, entre 1969 et 1979, en France où il soutient avoir suivi des études et passé son permis de conduire. Ayant ensuite obtenu des visas, notamment pour des déplacements commerciaux à compter de 2005, il a effectué plusieurs séjours en France au cours desquels il a déposé des demandes de titres de séjour, soit au titre de son état de santé, soit en qualité de commerçant, à raison des parts qu'il détenait dans la société Jetkiss, créée par son frère en région parisienne. Il a finalement obtenu la délivrance d'un titre de séjour en qualité de commerçant, valable du 7 mars 2010 au 6 mars 2011, en raison de sa qualité de gérant et associé majoritaire de la société Jetkiss. Le 8 février 2010, il a demandé la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé qui lui a été accordée pour la période du 27 juillet 2010 au 26 juillet 2015 et le 24 septembre 2010, il a demandé l'attribution de l'allocation en faveur des adultes handicapés qui lui a été allouée du 1er février 2010 au 1er décembre 2012. En l'absence de revenus tirés de l'activité qu'il avait déclarée, un refus de séjour et une mesure d'éloignement lui ont été opposés le 22 juin 2011. Au cours de séjours ultérieurs en France, sous couvert de visas de court séjour, il a déposé de nouvelles demandes de titres de séjour, au titre de l'admission exceptionnelle au séjour, en qualité de retraité ou à raison de son état de santé. Si certaines de ces demandes ont été rejetées, un titre de séjour valable un an lui a été délivré au titre de sa qualité de commerçant, du 12 juin 2013 au 11 juin 2014, puis, le 27 avril 2017, à raison de son état de santé, ce dernier titre ayant été ensuite renouvelé. Parallèlement, il avait déposé des demandes de regroupement familial au profit de son épouse, résidant en Tunisie, qui ont donné lieu à ses refus pour défaut de revenus suffisants et de logement personnel. Le préfet, conformément à l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ayant estimé que l'état de santé de M. B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravitée mais que cette prise en charge pouvait être assurée dans son pays d'origine et qu'il pouvait voyager sans risque, le renouvellement de son titre de séjour à raison de son état de santé a été refusé par arrêté du 22 août 2022. Le tribunal administratif de Limoges a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de la Creuse de réexaminer la situation de M. B.... Le 23 janvier 2023, la préfète de la Creuse a pris un nouvel arrêté de refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixant le pays de renvoi et imposant à l'intéressé de se présenter deux fois par semaine au commissariat de police de A... pour indiquer ses diligences en vue de de son départ.
3. Par jugement du 16 janvier 2024, le tribunal administratif de Limoges, saisi par M. B..., a annulé l'arrêté préfectoral du 23 janvier 2023 pour erreur manifeste d'appréciation, compte tenu de l'ancienneté du séjour de l'intéressé en France, depuis 2013, de la présence en France de ses quatre enfants qui l'aident financièrement, ainsi que de ses deux frères de nationalité française, de la perception en France d'une pension de retraite et de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, des pathologies dont il souffre et des visites que lui rend régulièrement son épouse. Par ce même jugement, le tribunal a enjoint à la préfète de la Creuse de délivrer à M. B... un titre de séjour dans un délai de deux mois à compte de la notification du jugement. La préfète de la Creuse, qui a fait appel de ce jugement, demande dans la présente instance qu'il soit sursis à son exécution.
4. A l'appui de ses conclusions en sursis à exécution, la préfète soutient que le moyen d'annulation retenu par le tribunal, tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision contestée sur la situation de l'intéressé, n'est pas fondé, que M. B... ne résidait pas en France en 2014 et 2015, qu'il résulte de ses visas qu'il ne se déplaçait en France que pour des séjours de quelques jours, que l'indication de son séjour en France durant ces deux années résulte d'une erreur informatique dans son dossier, que l'intéressé a déclaré vivre chez son fils à A... alors qu'il réside en réalité à Noisy-le-Sec qui ne correspond pas aux villes où vivent ses enfants, qu'il ne justifie pas d'un domicile propre et a eu plusieurs adresses différentes, que le caractère stable et continu de son séjour en France depuis 2013 n'est ainsi pas établi, que depuis son entrée en France, il n'a bénéficié que d'une carte de séjour en qualité de commerçant du 12 juin 2013 au 11 juin 2014 puis d'une carte de séjour à raison de son état de santé le 27 juin 2017, qu'entretemps, il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et n'a été présent en France que pour de courtes périodes, que même lorsqu'il a été titulaire de cartes de séjour à raison de son état de santé, il a voyagé dans son pays d'origine et dans d'autres Etats, qu'il a été autorisé à se maintenir en France depuis 2017 uniquement à raison de son état de santé, qu'il peut désormais être pris en charge dans son pays d'origine où réside son épouse, qu'il ne justifie pas de liens particulièrement étroits avec ses enfants, que le tribunal a pris en compte l'extrême gravité des conséquences d'un arrêt de la prise en charge médicale de M. B... alors qu'il ressort de l'avis des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qu'il peut être pris en charge dans son pays d'origine et que les autres moyens qu'avait invoqués M. B... devant le tribunal ne sont pas davantage fondés. Si les derniers éléments produits par M. B... traduisent une dégradation de son état de santé qui pourrait faire obstacle à l'exécution de la mesure d'éloignement, ces moyens invoqués par le préfet paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier le rejet des conclusions en annulation auxquelles le tribunal a fait droit, dès lors que la légalité des décisions contestées s'apprécie à la date de leur édiction.
5. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Creuse est fondée à demander qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Limoges du 16 janvier 2024.
DECIDE :
Article 1er : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'appel de la préfète de la Creuse contre le jugement du tribunal administratif de Limoges du 16 janvier 2024, il est sursis à l'exécution de ce jugement.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et de l'outre-mer et à M. C... B....
Une copie en sera adressée à la préfète de la Creuse.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2024 à laquelle siégeait Mme Elisabeth Jayat, présidente de chambre.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et de l'outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00378