Vu la requête enregistrée le 27 février 2006, présentée pour M. Marsan X élisant domicile ..., par Me Sanseverino ;
M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n°0600294 en date du 27 janvier 2006 par laquelle
le vice-président délégué du Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 janvier 2006 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a prononcé sa reconduite à la frontière ;
2°) d'annuler ledit arrêté ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
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Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
Vu l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la décision en date du 27 décembre 2004 par laquelle le président de la Cour a notamment délégué M. François Bourrachot, président, pour statuer sur l'appel des jugements rendus en matière de reconduite à la frontière ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 juin 2006 :
- le rapport de M. Bourrachot, président rapporteur ;
- et les conclusions de Mme Fernandez, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.111-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Lorsqu'un étranger fait l'objet d'une mesure de non-admission en France, de maintien en zone d'attente ou de placement en rétention et qu'il ne parle pas le français, il indique en début de procédure une langue qu'il comprend.(…) ; qu'aux termes de l'article L.111-8 du même code :Lorsqu'il est prévu aux livres II et V du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes prévues à l'alinéa suivant ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger. ; qu'aux termes de l'article L.512-1 du code précité :Dès notification de l'arrêté de reconduite à la frontière, l'étranger est mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. ; qu'aux termes des dispositions de l'article L.512-2 du même code : L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification, lorsque l'arrêté est notifié par voie administrative, ou dans les sept jours, lorsqu'il est notifié par voie postale, demander l'annulation de cet arrêté au président du tribunal administratif (…) ;
Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées que, dans le cas où l'étranger est placé en rétention administrative, les voies et délais de recours prévus par l'article L.512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont opposables qu'à la condition que l'étranger ait été mis en mesure d'en prendre connaissance dans les conditions prévues par les articles L.111-7, L.111-8 et L.512-1 du même code ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que M. X, ressortissant de nationalité philippine placé en garde à vue puis en rétention administrative , maîtrise mal le français et qu'il ne sait ni le lire, ni l'écrire ; que la seule circonstance que M. X aurait été assisté d'un interprète lors de l'audience au cours de laquelle a été examinée la prolongation de sa rétention administrative ne suffit pas établir qu'il en aurait également de même au moment de la notification de l'arrêté de reconduite à la frontière, litigieux en l'absence de toute mention, dans les pièces produites, d'une traduction relative aux voies et délais de recours ; qu'il n'est dès lors pas sérieusement contesté que M. X n'a pas été informé dans une langue qu'il comprend de la possibilité d'obtenir un interprète susceptible de l'instruire des voies et délais de recours contre la décision qui lui était notifiée ; que, dès lors que la présence d'un interprète était nécessaire pour le mettre en mesure de prendre connaissance de ces voies et délais de recours, le délai prévu par l'article L.512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne lui était pas opposable ; qu'il suit de là que M. X est fondé à soutenir que c'est irrégulièrement que le vice-président délégué du
Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande comme tardive ; qu'ainsi, l'ordonnance du vice-président délégué du Tribunal administratif de Nice du 27 janvier 2006 doit être annulée ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Nice ;
Sur la légalité externe :
Considérant que Mme Y, directrice de la réglementation et des libertés publiques à la préfecture des Alpes-Maritimes, signataire de la décision attaquée, a reçu délégation de signature à l'effet de signer notamment les arrêtés de reconduite à la frontière (…) ; par arrêté du préfet en date du 21 octobre 2005 régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département ; qu'il en résulte que directrice de la réglementation et des liberté publiques a reçu une délégation de signature incluant les actes relatifs aux reconduite à la frontière ; qu'ainsi le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté ;
Sur la légalité interne :
Considérant, d'une part, qu'indépendamment de l'énumération donnée par l'article L.511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une mesure de reconduite à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour ; que lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière ; qu'aux termes de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, reprenant les dispositions de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France : Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit ; (…) 7º A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; (…) ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ;
Considérant que si M. X, vit sur le territoire national, depuis 2002, avec son épouse et sa fille, née en 2005, il ressort cependant des pièces du dossier qu'il a vécu aux Philippines jusqu'à cette date ; qu'il ne démontre pas, en outre, être dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine ; que dans ces conditions et en l'absence de toute circonstance établie mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'emmener son enfant avec lui, aucun obstacle ne s'oppose à la reconstitution de la cellule familiale aux Philippines ; que compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la présence récente de l'intéressé en France et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes n'a pas porté à son droit au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que le préfet des Alpes-Maritimes n'a donc méconnu ni les dispositions de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le préfet n'a pas davantage commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de l'exécution de sa décision sur la situation personnelle du requérant ;
Considérant, enfin, que les dispositions précitées des articles L.111-7 et L.111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont sans influence sur la légalité d'une mesure de reconduite à la frontière ;
Considérant qu'il résulte de toute de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté décidant de sa reconduite à la frontière pris le 19 janvier 2006 par le préfet des Alpes-Maritimes ;
Sur les conclusions de M. X tendant à l'application des dispositions de
l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. X la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non-compris dans les dépens ;
D E C I D E
Article 1 : L'ordonnance précitée du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Marseille en date 27 janvier 2006 est annulée.
Article 2 : La demande de M. X devant le Tribunal administratif de Nice et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Marsan X, au préfet des Alpes-Maritimes et au ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
Copie en sera adressée à Me Sanseverino.
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