Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 31 mai 2011 sous le n° 11MA02101, présentée par la société d'avocats Leandri-Leandri, pour Mme H...E...néeG..., demeurant au ...et Mlle A...E..., mineure représentée par son père M. B...E..., demeurant au ...; Mme E...et Mlle E...demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1000787 du 24 mars 2011 par lequel le tribunal administratif de Bastia leur a alloué les indemnités respectivement de 50 000 et 20 000 euros en réparation des conséquences dommageables de l'accident dont a été victime le 22 avril 1996 M. B... E..., respectivement époux et père ;
2°) de porter les indemnités susmentionnées de 50 000 et 20 000 euros aux montants respectifs de 200 000 et de 60 000 euros ;
3°) de mettre à la charge d'EDF la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Les consorts E...soutiennent que :
- suite à l'accident du travail dont a été victime le 22 avril 1996 M. B...E...par électrocution et pour lequel la responsabilité d'EDF a été engagée, elles ont subi par ricochet des préjudices qui ont été sous-évalués par le tribunal administratif de Bastia, compte-tenu des très graves séquelles de cet accident ;
- Mme E...réclame la somme de 200 000 euros, dès lors que le handicap de son mari nécessite une prise en charge dans les gestes quotidiens, empêche tout loisir avec lui alors qu'elle était âgée de 29 ans à la date de l'accident, rend impossible tout rapport sexuel et par suite irréalisable le projet d'avoir d'autres enfants ; elle a dû cesser de travailler ;
- Mlle E...réclame la somme de 60 000 euros, dès lors qu'âgée de 18 mois à la date de l'accident, elle n'a pu connaître les activités que partage un enfant avec son père ; privée des gestes paternels d'amour et de tendresse pendant son enfance, elle est psychologiquement affectée ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré au greffe de la Cour le 17 juillet 2012, présenté par Me C..., pour la société EDF, qui conclut au rejet de la requête ;
La partie intimée soutient que :
- elle ne conteste pas l'engagement de sa responsabilité ; le tribunal administratif de Bastia a fait une juste appréciation du quantum de l'indemnisation de l'épouse et de la fille de M.E... ; à cet égard, il importe de rappeler que M. E...a déjà lui-même été indemnisé à hauteur de 210 000 euros, dont 50 000 euros au titre de son pretium doloris, 50 000 euros au titre de son préjudice esthétique, 60 000 euros au titre du préjudice sexuel total et définitif et 50 000 euros au titre du préjudice d'agrément total et définitif ; Mme E...ne démontre aucun préjudice financier lié à la perte alléguée de son activité professionnelle ; Mlle E...n'établit pas avoir été gravement affectée sur un plan psychologique ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mars 2013 :
- le rapport de M. Brossier, rapporteur,
- les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public,
- les observations de MeD..., substituant MeC..., pour la société EDF ;
1. Considérant que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a alloué à Mme E...une indemnité de 50 000 euros et à Mlle E...une indemnité de 20 000 euros en réparation des conséquences dommageables de l'accident dont a été victime le 22 avril 1996 M.E..., respectivement époux et père ; que Mme E...et Mlle E... estiment par le présent appel que les montants ainsi alloués seraient insuffisants ;
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.E..., agent salarié d'EDF, a été gravement électrocuté en 1996 lors d'un accident reconnu imputable au service et pour lequel il a été indemnisé à hauteur de 210 000 euros au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux, conformément à la législation des accidents du travail, par un jugement du tribunal des affaires sanitaires et sociales ayant reconnu la faute inexcusable de l'employeur ; que les réparations sollicitées à titre personnel en raison de cet accident par Mme E...et MlleF..., épouse et fille de la victime, qui ne sont pas des ayants droit au sens des articles L. 434-7 et suivants du code de la sécurité sociale, ne relèvent pas de ce régime ; que l'accident est survenu alors que la victime participait à l'entretien d'un ouvrage public en travaux ; qu'ainsi les demandes dirigées contre EDF par Mme E...et MlleF..., relèvent de la compétence de la juridiction administrative ; qu'il résulte de l'instruction que le courant électrique a été intempestivement rétabli alors que l'intervention de M. E...n'était pas achevée et que, dans ces conditions, EDF a commis une faute à l'origine directe et certaine de l'accident de service en litige, de nature à engager sa responsabilité envers Mme E...et MlleF..., victimes par ricochet ;
En ce qui concerne MmeF... :
3. Considérant d'une part, s'agissant des préjudices patrimoniaux, qu'il résulte de l'instruction que Mme H...E... soutient avoir dû arrêter son activité professionnelle afin de s'occuper de la vie quotidienne de son époux ; qu'elle n'apporte toutefois devant le juge aucun élément de nature à établir l'existence de ce poste de préjudices ;
4. Considérant d'autre part, s'agissant des préjudices extra-patrimoniaux, qu'il résulte de l'instruction que MmeF..., âgée de 29 ans à la date de l'accident, s'est trouvée privée à compter de cette date d'une vie maritale normale avec son époux, avec lequel notamment ni vie sexuelle, ni espoir d'avoir avec lui un autre enfant ne sont possibles ; que la circonstance que M. E... a déjà obtenu, à titre personnel en sa qualité de victime directe, les sommes de 60 000 euros au titre du préjudice sexuel total et définitif et de 50 000 euros au titre du préjudice d'agrément total et définitif, ne saurait exclure à cet égard que Mme E...bénéficie d'une indemnisation de ses propres chefs de préjudice en sa qualité de victime indirecte par ricochet ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en estimant, d'une part, à hauteur de 20 000 euros la réparation du préjudice d'affection de Mme E...correspondant au préjudice moral subi à la vue de la souffrance de la victime directe, d'autre part, à hauteur de 30 000 euros la réparation de ses propres troubles dans les conditions d'existence, soit une indemnisation totale de 50 000 euros (30 000 + 20 000) ;
En ce qui concerne MlleF... :
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que MlleF..., âgée de 18 mois à la date de l'accident, s'est trouvée privée lors de ses premières années de la vie éducationnelle et des joies de l'enfance que tout jeune enfant peut attendre de son père ; que si elle allègue que cette situation a provoqué chez elle des troubles psychologiques, elle n'apporte toutefois devant le juge aucun élément de nature à établir l'existence de ce préjudice ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en estimant, d'une part, à hauteur de 10 000 euros la réparation du préjudice d'affection de Mlle E...correspondant au préjudice moral subi à la vue de la souffrance et des difficultés de la victime directe, d'autre part, à hauteur de 10 000 euros la réparation de ses troubles dans les conditions d'existence, soit une indemnisation totale de 20 000 euros (10 000 + 10 000) ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E...et Mlle E... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia les a insuffisamment indemnisées en leur allouant respectivement les sommes de 50 000 euros et 20 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la partie intimée, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer aux consorts appelants la somme qu'ils demandent au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n° 11MA02101 des consorts E...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H...E..., à Mlle A...E...et à la société EDF.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2013, à laquelle siégeaient :
- M. Gonzales, président de chambre,
- M. Brossier, premier conseiller,
- M. Angéniol, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 16 avril 2013.
Le rapporteur,
J.B. BROSSIER
Le président,
S. GONZALES
Le greffier,
C. LAUDIGEOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
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N° 11MA021012