Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, sous le n° 11MA04726, le 22 décembre 2011, présentée pour M. D... E..., et M. B... E... demeurant..., par la SCP d'avocats J.L Bergel et M.R. Bergel ; ils demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0805504 du 21 octobre 2011 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur requête tendant à l'annulation de la décision en date du 16 juin 2008 du maire de la commune de Puy Saint Vincent refusant de réparer le préjudice qu'ils estiment avoir subis et à la condamnation de cette commune à leur verser la somme de 255 600 euros à titre d'indemnité ;
2°) de condamner la commune de Puy Saint Vincent à leur verser la somme de 493 666,03 euros à titre d'indemnité, avec intérêts au taux légal ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin d'établir et de chiffrer les différents préjudices subis ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Puy Saint Vincent une somme de 2 000 euros titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 septembre 2013 :
- le rapport de M. Salvage, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;
- les observations de Me A...substituant la SCP Bergel pour MM E...et G...pour la commune de Puy Saint Vincent ;
Après avoir pris connaissance de la note en délibéré, enregistrée le 26 septembre 2013, présentée pour MME... ;
1. Considérant que MM. D...et B...E...ont signé le 21 octobre 2005 avec Mme F...une promesse de vente en vue d'acquérir un tènement de parcelles de terrain à bâtir sous les numéros 1415, 1416, 1421, 3237 et 3239 de la section D du plan cadastral de la commune de Puy Saint Vincent ; qu'après avoir retiré le 21 juillet 2006 le permis de construire accordé sur ces parcelles, le maire a retiré cette décision de retrait le 25 septembre 2006 ; qu'il a ensuite décidé de préempter ces parcelles par décision du 16 mars 2007, confirmée par délibération du conseil municipal en date du 30 mars 2007 ; que par un jugement, devenu définitif, en date du 6 décembre 2007, le tribunal administratif de Marseille a annulé ces deux décisions ; que MM E...ont demandé à la commune, par courrier en date du 15 mai 2008, réparation des préjudices nés des fautes qu'elle a commises ; que par le jugement contesté du 21 octobre 2011, le tribunal administratif de Marseille a retenu la responsabilité de la commune mais a rejeté toutes les demandes indemnitaires ;
Sur la responsabilité de la commune et le lien de causalité :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le maire de Puy Saint Vincent a procédé au retrait intégral du permis de construire délivré à MM. E...alors qu'il n'était saisi que d'une demande de retrait de la disposition portant cession gratuite de terrains et que le permis en cause n'était entaché d'aucune autre illégalité ; que, ainsi qu'il a été dit plus haut, les décisions de préemption prises par le maire et le conseil municipal ont été annulées par le tribunal administratif de Marseille et l'ont été au motif notamment de l'absence de projets d'action suffisamment précis ; que le maire a, par la suite, refusé de tirer les conséquences de cette annulation, obligeant les appelants à engager une procédure devant le juge judiciaire ; que l'ensemble de ces faits et illégalités sont constitutifs d'un comportement fautif de la commune de nature à engager sa responsabilité ;
3. Considérant que MM. E...soutiennent que leurs préjudices résultent de l'impossibilité de construire un immeuble de 6 appartements et de vendre 4 d'entre eux ; que la commune fait valoir que la promesse de vente du terrain d'assiette du projet établie le 21 octobre 2005 était caduque et qu'ainsi et en tout état de cause la construction de l'immeuble projeté n'aurait pas pu se réaliser pour ce seul motif ; que, toutefois, le tribunal de grande instance de Gap par un jugement du 8 septembre 2010, confirmé par un arrêt du 8 avril 2013 de la cour d'appel de Grenoble, a estimé que les parties avaient souhaité poursuivre la vente, ce qui induisait implicitement mais nécessairement une prorogation des effets du compromis de vente et que ce dernier demeurait ainsi valide à la date des décisions illégales ; que, de même, si la commune soutient ne pas avoir été destinataire d'une contestation lors de la vente entre elle et MmeF..., cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur le lien de causalité entre les fautes commises par la commune et le dommage ; qu'enfin, s'il est vrai que
MM. E...disposaient d'un permis de construire dès le 28 mars 2006 et qu'ils auraient pu, légalement, réaliser l'acquisition du terrain avant l'intervention du retrait de ce permis le 21 juillet 2006, cette opportunité n'a pas été saisie par les intéressés au motif légitime de l'illégalité partielle sus mentionnée dudit permis ; que, dans ces conditions, la cause directe des préjudices subis par MM. E...est ainsi non pas cette inertie relative et limitée dans le temps mais le comportement fautif de la commune ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne les frais d'architecte et de géomètre :
4. Considérant qu'aux termes de l'art R. 421-32 du code de l'urbanisme, dans sa version alors applicable, " Le permis de construire est périmé si les constructions ne sont pas entreprises dans le délai de deux ans à compter de la notification visée à l'article R. 421-34 ou de la délivrance tacite du permis de construire. (...) " ;
5. Considérant que ces dispositions ne peuvent recevoir application si l'inexécution des travaux est imputable au fait de l'administration ; qu'il est constant que, alors que le permis de construire délivré à MM E...était encore valide, la commune de Puy Saint Vincent a préempté les parcelles en cause, puis, alors que ses décisions ont été annulées par le tribunal administratif, a refusé de remettre en cause son achat réalisé en application de cette préemption en considérant qu'il était légal et toujours valide ; que ces faits de l'administration ont eu pour effet d'interrompre le délai de validité du permis de construire délivré aux intéressés ; qu'à la date du présent arrêt, eu égard à la possibilité pour MM. E...de réaliser leur projet, les frais d'architecte et de géomètre n'ont pas été engagés en pure perte et ne sauraient donc donner lieu à une indemnisation ; que si les appelants soutiennent que la commune a apporté des modifications aux terrains en cause, entrainant des frais complémentaires à hauteur de 10 000 euros, ils n'établissent ni la réalité de ces modifications, ni en tout état de cause les frais qu'ils auraient en conséquence supportés ;
En ce qui concerne les frais d'huissier et de notaire :
6. Considérant que les frais d'huissier dont MM. E...demandent l'indemnisation, qui sont relatifs au constat d'affichage du permis de construire et aux sommations adressées à MeC..., ne sont pas en lien direct avec la décision illégale de préemption ; qu'il en va de même des frais de notaire qui correspondent au dépôt de garantie en vue de l'acquisition projetée des parcelles appartenant à MmeF..., acquisition qui comme il l'a été dit reste, en l'état, réalisable ;
En ce qui concerne les frais de déplacement et de contentieux :
7. Considérant que seuls les frais d'avocat qui sont en lien direct et certain avec les décisions illégales de préemption peuvent donner lieu à indemnisation ; qu'il en va ainsi des factures des 1er et 2 août 2007 et du 26 mai 2008 pour une somme totale de 4 305,06 euros, de laquelle il faut toutefois retrancher celle de 2 000 euros précédemment mise à la charge de la commune en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
En ce qui concerne le manque à gagner sur la vente des appartements et le préjudice de jouissance sur l'appartement réservé :
8. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que MM. E...aient, à la date du présent arrêt, réalisé la construction projetée alors qu'ils en ont la possibilité, le permis de construire qui leur a été délivré étant toujours valide ; que, dès lors, s'il est toujours loisible aux intéressés de saisir de nouveau le juge de plein contentieux, à cette date le préjudice né d'un manque à gagner sur la vente des appartements, prenant en compte notamment l'augmentation du coût de la construction depuis 2006, et le préjudice de jouissance sur l'appartement réservé sont purement éventuels et ne sauraient ainsi donner lieu, en l'état, à une quelconque indemnisation ;
En ce qui concerne le préjudice moral :
9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MM. E... n'ont pas demandé en première instance la réparation de ce chef de préjudice ; que le montant total de l'indemnisation sollicitée devant le tribunal administratif s'élevait à 255 600 euros ; que les conclusions de MM.E..., présentées pour la première fois en appel et tendant à l'indemnisation de leur préjudice moral, ont eu pour effet, dès lors que le requérant n'a pas réduit devant la Cour le montant de ses autres demandes, qui ont d'ailleurs elles aussi été majorées, de dépasser le montant de l'indemnisation totale sollicitée devant le premier juge ; que ce chef de préjudice ne peut être regardé comme étant apparu postérieurement au jugement ; que les conclusions aux fins de son indemnisation sont dès lors irrecevables ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, que MM E...sont fondés à soutenir dans la limite exposée ci-dessus que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
11. Considérant que la demande d'indemnisation de MM. E...a été reçue le 21 mai 2008 par la commune de Puy Saint Vincent ; qu'ainsi, ils ont droit aux intérêts au taux légal à compter de cette dernière date ; qu'ils ont demandé pour la première fois la capitalisation des intérêts dans leur mémoire complémentaire enregistré le 26 novembre 2012 au greffe de la Cour ; qu'à cette date, les intérêts étaient dus au moins pour une année entière ; qu'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, de faire droit à cette demande à compter du 26 novembre 2012 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit mise à la charge de MM.E..., qui ne sont pas la partie perdante, au titre des frais exposés par la commune de Puy Saint Vincent et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette commune au bénéfice des appelants, la somme de 2 000 euros ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 0805504 en date du 21 octobre 2011 est annulé.
Article 2 : La commune de Puy Saint Vincent est condamnée à payer la somme de 2 305,60 euros (deux mille trois cent cinq euros, soixante centimes) à MM D...etB... E.... Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 21 mai 2008. Ces intérêts produiront eux-mêmes intérêts le 26 novembre 2012 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.
Article 3 : La commune de Puy Saint Vincent versera à MM. D...etB... E... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., à M. B... E...et à la commune de Puy Saint Vincent.
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N° 11MA04726
CB