Vu la requête, enregistrée le 19 août 2013 au greffe de la Cour, sous le n° 13MA03424, présentée pour Mme C...E..., demeurant ..., par MeA...;
Mme E...demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1103037 du 18 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral, subi du fait du suicide de son fils, M. D...B..., imputable à la faute de l'Etat au regard de ses obligations de vigilance, de surveillance et de protection des détenus en milieu carcéral ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la responsabilité de l'Etat est engagée dès lors que les tendances suicidaires de son fils étaient connues de l'administration pénitentiaire et que celle-ci n'a pas pris les mesures adaptées, notamment en le maintenant seul dans sa cellule et en le laissant en possession d'instruments rendant possible un suicide ;
- elle a subi un préjudice moral direct imputable aux fautes commises ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance Marseille en date du 7 octobre 2013 admettant Mme E...au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
Vu le courrier du 5 mars 2015 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les informant de la date ou de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et précisant la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 ;
Vu le mémoire, enregistré le 24 mars 2015, présenté par le ministre de la justice qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- les mesures de surveillance prises à l'égard du détenu étaient adaptées à l'état psychologique de ce dernier ;
- le détenu ne s'est pas suicidé avec le rasoir laissé dans sa cellule ;
Vu l'avis d'audience adressé le 20 avril 2015 portant clôture d'instruction en application des dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la décision en date du 1er septembre 2014 du président de la cour administrative d'appel de Marseille portant désignation, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, de M. Michel Pocheron, président-assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Bocquet, président de la 5ème chambre ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 mai 2015 :
- le rapport de Mme Ciréfice, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;
1. Considérant que M.B..., incarcéré au centre pénitentiaire de Béziers le 2 novembre 2009, en exécution de deux condamnations pour des faits de violence, pour une durée d'un an, s'est donné la mort par pendaison, dans sa cellule, dans la matinée du 28 juin 2010 ; que MmeE..., sa mère, a adressé le 22 avril 2011 au ministre de la justice une réclamation préalable tendant à la réparation de son préjudice moral, qu'elle impute à des fautes de l'administration pénitentiaire dans la prise en charge et la surveillance de son fils ; que Mme E... relève appel du jugement en date du 18 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation pour faute de l'Etat à lui verser une somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Sur la responsabilité :
2. Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des services pénitentiaires en cas de dommage résultant du suicide d'un détenu peut être recherchée seulement en cas de faute ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la fragilité psychologique de M.B..., qui avait fait état lors de son incarcération d'une tentative de suicide trois ans auparavant, à la suite de problèmes liés à l'alcool, était connue de l'administration pénitentiaire ; qu'il a été, pour ce motif, placé sous surveillance renforcée, sur décision de la commission pluridisciplinaire de prévention du risque suicidaire, du 5 novembre 2009 au 22 novembre 2009, du 27 février 2010 au 9 mars 2010 puis à nouveau à partir du 7 avril 2010 ; que cette surveillance se traduisait par un renforcement des rondes de nuit ainsi qu'une multiplication des contrôles dans la journée ; qu'il faisait par ailleurs l'objet d'un suivi médical et psychologique régulier ; que si M. B...a été soigné, le 2 juin 2010, par le service médical rattaché au centre pénitentiaire, à la suite d'une automutilation, la blessure infligée était superficielle, comme les scarifications qu'il s'était précédemment infligées ; que de retour d'un séjour de 24 heures à l'hôpital de Béziers, il a été transféré le 18 juin 2010 à la prison de Perpignan afin d'être pris en charge par le service psychiatrique pénitentiaire ; qu'il a réintégré la maison d'arrêt de Béziers le 22 juin avec prescription d'un traitement ; qu'à compter de ce jour, une nouvelle période de mise sous surveillance spéciale a été organisée en raison de la fragilité psychologique du détenu ; que, toutefois, depuis son retour, rien dans le comportement de l'intéressé, qui notamment avait appelé sa compagne deux jours avant son décès, avec laquelle il avait évoqué sa sortie, et qui, le matin du 28 juin, avait rencontré le responsable des cuisines où il devait, à la suite de sa demande, prochainement travailler, ne laissait supposer un passage à l'acte imminent ; que, dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'administration pénitentiaire aurait ignoré la fragilité psychologique du détenu ni négligé de mettre en oeuvre des mesures adaptées ; qu'en l'absence de risque de suicide imminent, les circonstances, d'une part, que M. B...a été, le 23 juin 2010, placé en cellule individuelle, décision prise par l'administration pénitentiaire à la suite d'actes de violence commis à l'encontre de son codétenu dans la nuit précédente, et alors qu'il s'agissait d'un troisième fait de violence signalé depuis le mois d'avril 2010, pour un détenu dont l'état dangereux avait été confirmé par une expertise psychiatrique d'avril 2010, et, d'autre part, qu'il a été laissé en possession d'objets potentiellement dangereux pour lui-même, notamment la serviette qu'il a utilisée pour se pendre, ne suffisent pas à constituer un défaut de vigilance fautif ; qu'il est par ailleurs constant que le détenu n'avait été laissé seul qu'une heure et quart lorsque son suicide a été constaté, ce qui ne saurait constituer une négligence fautive dans la surveillance mise en place par l'administration pénitentiaire ;
4. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'administration pénitentiaire a en l'espèce pris les mesures de surveillance nécessaires et assuré le suivi que commandait l'état de M.B..., et qu'elle n'a par suite commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ; que Mme E...n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;
6. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à Mme E...quelque somme que ce soit au titre des frais que celle-ci a exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...E...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Pocheron, président-assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative ;
- Mme Hameline, premier conseiller ;
- Mme Ciréfice, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 juin 2015.
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N° 13MA03424