Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C...A...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier d'Aix-en-Provence, devenu centre hospitalier du Pays d'Aix, à lui verser une indemnité d'un montant de 360 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de voir naître son enfant vivant lors de son accouchement le 16 juin 2007 dans cet hôpital.
Par un jugement n° 1106625 du 18 avril 2014, le tribunal administratif de Marseille a retenu la responsabilité pour faute du centre hospitalier, a estimé la perte de chance de voir naître son enfant vivant à 80 %, a condamné le centre hospitalier d'Aix-en-Provence à lui verser la somme de 12 800 euros au titre de son préjudice moral, a mis à la charge du centre hospitalier la charge définitive des frais d'expertise et a rejeté le surplus des conclusions des parties et de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 14MA02519 le 6 juin 2014 et par un mémoire enregistré le 28 juillet 2015, MmeA..., représentée par la SCP d'avocats Drujon - D'Astros - Baldo et associés, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1106625 du 18 avril 2014 du tribunal administratif de Marseille, en tant qu'il a limité à 12 800 euros la réparation de son préjudice moral ;
2°) de condamner le centre hospitalier du Pays d'Aix à lui verser la somme de 48 000 euros, compte tenu du coefficient de perte de chance à 80 %, en réparation de son préjudice moral ;
3°) de condamner le centre hospitalier du Pays d'Aix à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de confirmer la charge au centre hospitalier d'Aix-en-Provence des frais d'expertise.
Elle soutient que :
* c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le défaut de diagnostic constituait une faute en application de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier et qu'ils ont fixé à 80 % le taux de perte de chance de voir naître son enfant vivant ;
* l'expert a expliqué pourquoi il avait d'abord retenu un taux de perte de chance de 20 % pour retenir dans son rapport définitif celui de 80 % ;
* l'expert avait pour mission de préciser l'importance de la perte de chance de préserver la vie de l'enfant, sans préjuger des séquelles possibles sensorielles et a répondu intégralement à sa mission ;
* en revanche, c'est à tort qu'ils ont limité l'indemnisation de son préjudice moral à la somme de 12 800 euros compte tenu du coefficient de perte de chance de 80 % ;
* sa situation est particulière pour avoir porté son enfant mort dans son ventre et avoir dû l'expulser pendant plusieurs heures de travail en sachant déjà qu'il était décédé in utero ;
* le centre hospitalier ne retient à tort que le préjudice moral subi exclusivement en raison du décès de l'enfant ;
* sa souffrance morale devra être fixée à 60 000 euros et réparée compte tenu du taux de perte de chance à 48 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 11 juin 2015, le centre hospitalier d'Aix-en-Provence, devenu centre hospitalier du Pays d'Aix, représenté par MeD..., conclut, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement en tant qu'il a retenu une perte de chance de 80 %, à ce que ce taux soit ramené à 20 % et au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
* l'expert a retenu dans son pré-rapport une perte de chance de 20 % de mettre au monde un enfant en vie ;
* l'expert ne justifie pas pourquoi il retient un taux de 80 % dans son rapport définitif ;
* les premiers juges ne pouvaient pas se fonder sur un rapport rempli d'une telle contradiction ;
* l'expert, qui n'a pas tenu compte dans son rapport définitif de la survenance de séquelles possibles neurosensorielles en cas de naissance d'un enfant souffrant d'un grave retard de croissance utérin, a procédé à une évaluation incomplète des chances perdues ;
* les premiers juges ont suffisamment réparé le préjudice moral de la mère en lui allouant, sur une assiette de 16 000 euros, la somme de 12 800 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
* le code de la santé publique ;
* le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Carassic, rapporteure ;
- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique ;
- et les observations de Me B...de la SCP Drujon - D'Astros - Baldo et associés pour MmeA... ;
1. Considérant que MmeA..., alors âgée de 35 ans, a présenté une première grossesse pour un terme prévu le 17 juin 2007 ; qu'aucune anomalie clinique ou échographique n'a été relevée jusqu'à la 30ème semaine d'aménorrhée ; qu'elle a été suivie par le centre hospitalier d'Aix-en-Provence pour la fin de sa grossesse ; que l'échographie réalisée le 4 avril 2007 a révélé une diminution du liquide amniotique ; que la consultation du 30 mai 2007 à la 38ème semaine d'aménorrhée, par une sage femme de l'hôpital fait mention d'une mesure insuffisante de la hauteur utérine à 29 cm au lieu de 32 cm ; que MmeA..., qui a présenté des contractions utérines dans la nuit du 13 au 14 juin 2007, s'est rendue à la maternité le matin du 14 juin 2007 ; que la mort foetale a été constatée sans signe prémonitoire antérieur ; que la requérante a accouché le 17 juin 2007 d'un enfant mort-né présentant un retard de croissance important avec un poids de naissance très bas de 2,285 kg ; qu'estimant que la responsabilité du centre hospitalier était engagée, Mme A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille la désignation d'un expert ; que l'expert, désigné par ordonnance du 19 février 2008, a rendu son rapport le 29 décembre 2009 ; que Mme A...a alors demandé au tribunal administratif de Marseille la condamnation du centre hospitalier d'Aix-en-Provence à lui verser la somme de 360 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant de la perte de chance de voir naître son enfant vivant ; que par le jugement attaqué, les premiers juges sur le fondement de ce rapport de l'expert, ont retenu la responsabilité pour faute de l'hôpital pour défaut de diagnostic du retard de croissance intra utérine de l'enfant porté par Mme A..., ont apprécié le taux de perte de chance de voir naître son enfant vivant à 80 % et lui ont alloué, compte tenu de ce taux, la somme de 12 800 euros ; qu'ils ont mis la charge des frais d'expertise, d'un montant de 1 223,27 euros, au centre hospitalier ; qu'en appel, MmeA..., qui ne conteste pas le taux de perte de chance de 80 % retenu par les premiers juges, demande la réformation du jugement en tant qu'il lui a alloué la somme de 12 800 euros, qu'elle estime insuffisante, en réparation de son préjudice moral ; que le centre hospitalier d'Aix-en-Provence, devenu centre hospitalier du Pays d'Aix, qui ne conteste pas l'engagement de sa responsabilité, demande, par la voie de l'appel incident, que le taux de perte de chance soit ramené à 20 % et le rejet de la requête de Mme A... ;
Sur la responsabilité :
2. Considérant que, en se fondant notamment sur le rapport de l'expert désigné par le tribunal, les premiers juges ont estimé que la hauteur utérine insuffisante de la patiente aurait dû conduire à un contrôle échographique supplémentaire, seul examen permettant le dépistage d'un retard de croissance intra utérine et que le tableau clinique présenté par Mme A... à la 38ème semaine d'aménorrhée, soit la combinaison d'une hauteur utérine insuffisante et une diminution du liquide amniotique, aurait dû conduire dès le 30 mai 2007 le centre hospitalier à surveiller plus étroitement la requérante, ce qui aurait pu permettre de dépister d'éventuelles anomalies du rythme cardiaque foetal et donc de pratiquer une extraction foetale avant terme et que ce défaut de diagnostic du retard de croissance intra utérine avait constitué une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier du Pays d'Aix ; que le principe de la responsabilité du centre hospitalier, engagée sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, n'est pas contesté en appel ; que le litige d'appel se trouve ainsi limité au taux de perte de chance de sauver l'enfant à naître retenu par les premiers juges et au montant de l'indemnité allouée à la victime par les premiers juges au titre de la réparation de son préjudice moral ;
Sur la fraction du préjudice réparable :
3. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
4. Considérant que l'expert précise que la cause du décès est inconnue ; qu'il souligne l'absence d'anomalie, d'étiologie infectieuse, de malformation ou de pathologie, mais relève un lien avec le retard de croissance in utero développé dans le cadre des lésions ischémiques placentaires favorisées par l'intoxication tabagique et apparu tardivement au cours du troisième trimestre de la grossesse ; qu'il indique, dans son rapport définitif et dans ses réponses aux dires des parties, que la littérature médicale évalue la mortalité, en cas de retard de croissance intra utérine, entre 10 % et 35 % dans la période périnatale et à 10 % dans la période néonatale ; qu'en cas de retard de croissance intense et de souffrance foetale aigüe, comme en l'espèce, le risque de mort foetale doit être évalué à 20 % ; que l'expert a en conséquence évalué à 80 % la chance que le retard de diagnostic de ce retard de croissance avait fait perdre à Mme A...de voir naître vivant son enfant, indépendamment des séquelles possibles neurosensorielles en cas de survie de l'enfant, ainsi que l'homme de l'art le dit clairement dans sa réponse aux dires des parties ; que l'expert avait pour mission de "préciser l'importance de la perte de chance de préserver la vie de l'enfant" et non de préciser la perte de chance de voir naître l'enfant indemne de tout handicap ; que l'expert a ainsi répondu à la mission qui lui avait été confiée par le juge des référés du tribunal administratif ; que, si le centre hospitalier fait valoir que cet expert avait, dans son pré rapport, fixé ce taux de perte de chance à 20 %, l'expert a pu, sans se contredire après les dires des parties et en s'appuyant sur la littérature médicale, estimer dans son rapport clair et définitif que le défaut de prise en charge adaptée du foetus par le centre hospitalier a fait perdre au foetus 80 % de chance d'échapper à son décès ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont évalué cette perte de chance à 80 % ; que les conclusions d'appel incident du centre hospitalier tendant à ramener ce taux de perte de chance à 20 % doivent dès lors être rejetées ;
Sur l'évaluation du préjudice :
5. Considérant que Mme A...ne demande réparation que de son seul préjudice moral ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'assiette de ce préjudice moral, compte tenu du traumatisme subi par Mme A...de savoir pendant deux jours à compter du 14 juin qu'elle portait un enfant mort dont elle a accouché par les voies naturelles, en l'évaluant à 20 000 euros ; qu'après application du pourcentage correspondant à la fraction du préjudice indemnisable, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier du Pays d'Aix la somme de 16 000 euros en réparation de ce préjudice ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A...est seulement fondée à demander que la réparation mise à la charge du centre hospitalier soit portée à 16 000 euros ; que le centre hospitalier du Pays d'Aix n'est pas fondé à demander que les conclusions de la requérante tendant à l'augmentation de l'indemnisation de son préjudice moral soient rejetées ;
Sur les dépens :
7. Considérant qu'il n'y a pas lieu de revenir sur la charge des frais d'expertise telle que dévolue par les premiers juges ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier du Pays d'Aix à verser à Mme A...la somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 12 800 euros que le centre hospitalier d'Aix-en-Provence, devenu centre hospitalier du Pays d'Aix, a été condamné à verser à Mme A...par l'article 1er du jugement du 18 avril 2014 du tribunal administratif de Marseille est portée à 16 000 euros.
Article 2 : Le centre hospitalier du Pays d'Aix est condamné à verser la somme de 2 000 (deux mille) euros à Mme A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le jugement du 18 avril 2014 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...A..., au centre hospitalier du pays d'Aix et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Copie pour information sera délivrée à l'expert.
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N° 14MA02519 2
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