Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière (SCI) franco-marocaine investissement a demandé au tribunal administratif de Montpellier :
- de condamner la commune de Lamalou-les-Bains à lui verser une somme totale de 132 000 euros en réparation du préjudice qu'elle impute à des agissements fautifs de la commune ;
- de mettre à la charge de la commune de Lamalou-les-Bains les dépens ainsi qu'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°1202329 du 31 décembre 2013, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 mars 2014, la SCI franco-marocaine d'investissement, représentée par la SCP Bellissent-Le Coz- Henry, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n°1202329 du 31 décembre 2013 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner la commune de Lamalou-les-Bains à lui verser une somme totale de 132 000 euros, en réparation de son préjudice ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Lamalou-les-Bains la somme de 305 euros correspondant aux frais d'huissier ainsi qu'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune n'a pas justifié à la date de la décision de préemption de la réalité d'un projet ; aucune étude significative n'a été menée ; la commune a préempté par pure opportunité ; la commune n'a toujours pas mis en oeuvre le projet de préemption ce qui révèle un détournement de pouvoir ;
- la commune aurait dû l'avertir dès la demande de permis de construire de son intention de préempter ; le permis de construire aurait dû être assorti d'une réserve ;
- si la commune soutenait en première instance que le juge ne pouvait statuer que sur le montant de l'indemnisation sollicité dans la réclamation préalable, soit 20 000 euros, le montant exact du préjudice n'a pu être connu qu'après réalisation d'une évaluation par un expert comptable ;
- le préjudice subi est certain puisqu'elle a obtenu le permis de construire sollicité le 1er février 2010 ; le préjudice correspond aux dépenses inutilement engagées pour la réalisation du projet.
Un courrier du 23 juin 2015 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2015, la commune de Lamalou-les-Bains, représentée par la SCP d'avocats Vinsonneau-Palies-Noy Gauer et associés, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société requérante à lui verser une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les agissements de la commune ne peuvent être regardés comme des promesses non tenues dès lors que la commune n'a pu faire savoir qu'elle comptait préempter le bien qu'à compter de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner ;
- une décision de préemption ne saurait être regardée comme un retrait de permis de construire ; les dispositions de la loi du 12 avril 2000 ne s'appliquent pas ;
- elle n'avait pas à justifier d'un projet précis à la date de la préemption ; le projet vise à remédier au manque de places de stationnement dans le secteur ; le projet répond à un intérêt général suffisant ;
- le détournement de pouvoir n'est pas démontré par la simple circonstance que le projet n'aurait pas encore été réalisé trois ans après la préemption ;
- la requérante demande l'indemnisation d'une somme qu'elle n'a pas dépensée ; le préjudice est éventuel.
Par une ordonnance du 14 décembre 2015 la clôture de l'instruction a été prononcée à la date de son émission, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Giocanti,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me B...représentant la commune de Lamalou-les-Bains.
1. Considérant que la SCI franco-marocaine d'investissement a signé, le 9 février 2009, un compromis de vente avec Mme A... en vue de l'acquisition, sur le territoire de la commune de Lamalou-les-Bains, de la parcelle cadastrée section B n° 1155 d'une contenance de 685 mètres carrés ; que Mme A... a obtenu une décision de non opposition à la déclaration préalable relative au détachement d'un lot constructible ; que, par un arrêté du 1er février 2010, la SCI franco-marocaine d'investissement a obtenu un permis de construire autorisant l'édification sur la parcelle susmentionnée de trois maisons individuelles accolées ; que, toutefois, par une délibération de son conseil municipal du 16 mars 2010, devenue définitive, la commune de Lamalou-les-Bains a exercé le droit de préemption de la commune sur le terrain en litige ; que la SCI franco-marocaine d'investissement, estimant que cette situation engage la responsabilité de la commune de Lamalou-les-Bains pour faute, a présenté, le 29 mars 2011, une demande préalable restée sans réponse; que la SCI franco-marocaine d'investissement relève appel du jugement du 31 décembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Lamalou-les-Bains à l'indemniser pour les différents dommages que la SCI requérante impute, d'une part, à l'illégalité de la délibération du 16 mars 2010 par laquelle le conseil municipal a mis en oeuvre son droit de préemption et, d'autre part, aux agissements fautifs de la commune ;
Sur le principe de la responsabilité :
2. Considérant, en premier lieu, que la SCI requérante recherche la responsabilité de la commune de Lamalou-les-Bains pour lui avoir donné l'assurance, à tort, que le projet de construction de trois maisons individuelles était réalisable ; que la SCI franco-marocaine d'investissement soutient qu'en lui délivrant un permis de construire le 1er février 2010 autorisant son projet de construction alors qu'elle ne pouvait ignorer qu'elle entendait exercer son droit de préemption sur le terrain d'assiette du projet, la commune de Lamalou-les-Bains l'aurait encouragé de manière trompeuse à réaliser son projet ; que, toutefois, la circonstance que la commune de Lamalou-les-Bains ait délivré le permis de construire sollicité par la SCI requérante, ne caractérise, par elle-même, aucune inconséquence de l'autorité communale, qui a pu légalement estimer, eu égard aux règles d'urbanisme applicables, que le projet était réalisable ; que, par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la commune aurait formulé des promesses ou donné des assurances quant à l'issue favorable de ce projet ; que la requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que la responsabilité de la commune serait engagée sur ce fondement ;
3. Considérant, en second lieu, que la SCI franco-marocaine d'investissement fait valoir que la délibération du 16 mars 2010 par laquelle le conseil municipal de Lamalou-les-Bains a mis en oeuvre son droit de préemption sur la parcelle en litige serait entachée d'une illégalité fautive susceptible de lui ouvrir droit à une indemnisation ;
4. Considérant, d'une part, que, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, la délibération du 16 mars 2010 n'a ni pour objet ni pour effet de procéder au retrait du permis de construire délivré à la société requérante le 1er février 2010 ; que, par suite, cette délibération n'avait pas à être précédée de la procédure contradictoire prévue par l'article 24 de la loi susvisée du 12 avril 2000 ; que, dès lors, cette délibération n'est entachée, à ce titre, d'aucune illégalité fautive ;
5. Considérant, d'autre part, que la seule circonstance, au demeurant postérieure à la décision de préemption, que la commune n'aurait toujours pas mis en oeuvre son projet de construction de parking, ne suffit pas à caractériser le détournement de pouvoir qui entacherait, selon la requérante, la délibération litigieuse ;
6. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat (...) la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération " ; qu'aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption ;
7. Considérant qu'il ressort des termes de la délibération du conseil municipal du 16 mars 2010 par laquelle le conseil municipal a décidé de préempter la parcelle n° 1155, que la préemption contestée intervient en vue de créer un parking afin de palier les carences en matière de stationnement dans ce secteur de la commune ; que, pour justifier de la réalité de son projet, la commune se borne à verser au dossier un extrait du plan communal annoté avec l'indication de places de parking daté du 12 novembre 2013 et un plan de masse du parc de stationnement projeté qui porte la date de " mars 2010 " ; qu'il ne résulte pas de l'instruction , au vu de ces documents, que ce projet aurait été discuté par la collectivité préalablement à la décision de préemption ; qu'ainsi, ni ces documents ni la description sommaire du projet dans la note de présentation du projet joint à la délibération en litige ne sont de nature à établir que le projet de réalisation du parking mentionné dans la décision de préemption existait à la date de son intervention ; que, par suite, la société appelante est fondée à soutenir que la délibération litigieuse a été prise en violation des dispositions précitées de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ; que cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Lamalou-les-Bains ;
Sur le préjudice :
En ce qui concerne la fin de non recevoir opposée en première instance par la commune de Lamalou-les-Bains :
8. Considérant qu'un requérant peut se borner à demander à l'administration réparation d'un préjudice qu'il estime avoir subi, pour ne chiffrer ses prétentions qu'ultérieurement, devant le juge administratif ; que, par suite, le silence gardé par le maire de la commune de Lamalou-les-Bains sur la réclamation préalable du 29 mars 2011 par laquelle la société franco-marocaine d'investissement a entendu mettre en jeu la responsabilité de cette collectivité et a sollicité une indemnité de 20 488 euros a fait naître, alors même que ses prétentions indemnitaires ont été portées à 132 000 euros, devant le tribunal administratif, une décision implicite de rejet de nature à lier le contentieux ; que, dès lors, la commune n'est pas fondée à soutenir que les conclusions indemnitaires ne seraient recevables qu'à hauteur de la somme sollicitée dans la réclamation préalable ;
En ce qui concerne la réalité et l'étendue des préjudices dont la SCI franco-marocaine d'investissement demande réparation :
9. Considérant, en premier lieu, que la requérante demande la réparation du dommage qu'elle a subi du fait de la perte des bénéfices escomptés lors de la mise en location des biens immobiliers qu'elle envisageait de construire sur la parcelle illégalement préemptée et fait valoir qu'elle avait d'ores et déjà obtenu un permis de construire le 1er février 2010 autorisant la construction de trois maisons individuelles ; que, toutefois, en se bornant à produire une estimation d'un expert-comptable réalisée en 2011, elle ne justifie pas de la réalité de ses chances de louer les maisons individuelles en question tout au long de l'année au prix annoncé ; qu'en outre, si elle a indiqué à l'expert-comptable bénéficier d'un prêt de la caisse d'Epargne nécessaire à la réalisation de l'opération, elle ne démontre pas avoir obtenu ce financement ; qu'il ne résulte, ainsi, d'aucune des pièces qu'elle a produites, tant devant le tribunal administratif qu'en appel, que le préjudice relatif au manque à gagner résultant de l'impossibilité de faire réaliser ces immeubles par la SCI franco-marocaine d'investissement présenterait un caractère direct et certain ; que, par suite, ce préjudice purement éventuel ne peut qu'être écarté ;
10. Considérant en deuxième lieu, que la société requérante sollicite le remboursement d'une somme totale de 14 400 euros au titre de la taxe locale d'équipement ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle s'en serait effectivement acquittée ; que, par ailleurs, à supposer même que ce soit le cas, il lui était loisible d'en solliciter auprès des services fiscaux la décharge au motif de la non réalisation de son projet de construction , sur le fondement de l'article 1723 quinquies du code général des impôts aux termes duquel, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le redevable de la taxe peut en obtenir la décharge, la réduction ou la restitution totale ou partielle : S'il justifie qu'il n'a pas été en mesure de donner suite à l'autorisation de construire ; " ; que, par suite, l'intéressée ne peut prétendre à une indemnisation de ce préjudice qui ne présente pas un caractère certain ;
11. Considérant en troisième lieu, et, en revanche, qu'il résulte de l'instruction que la requérante démontre, par la production d'une facture, avoir engagé, pour l'établissement du dossier de permis de construire, des frais d'architecte concernant l'esquisse du projet et le dépôt du permis de construire pour un montant total de 3 588 euros ; qu'elle est en droit de demander le remboursement de ces sommes au titre des frais qu'elle a exposés en pure perte et directement imputables à l'illégalité fautive de la décision de préemption ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SCI franco-marocaine d'investissement est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi au titre des frais engagés en pure perte et visés au point précédent ; qu'elle est, dès lors, fondée à demander la réformation de ce jugement, sur ce point, et la condamnation de la commune de Lamalou-les-Bains à lui verser une indemnité de 3 588 euros en réparation de ce chef de préjudice ;
Sur les dépens :
13. Considérant que la présente instance n'a donné lieu à aucun dépens supporté par la SCI franco-marocaine d'investissement ; que, par suite, les conclusions présentées par elle sur le fondement de ces dispositions ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la commune de Lamalou-les-Bains demande sur leur fondement au titre de ses frais non compris dans les dépens, soit mise à la charge de la SCI franco-marocaine d'investissement , qui n'est, dans la présente instance, ni la partie perdante pour l'essentiel, ni tenue aux dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Lamalou-les-Bains une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCI franco-marocaine d'investissement et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La commune de Lamalou-les-Bains est condamnée à verser à la SCI franco-marocaine d'investissement la somme de 3 588 euros (trois mille cinq cent quatre-vingt huit) euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 31 décembre 2013 est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : La commune de Lamalou-les-Bains versera à SCI franco-marocaine d'investissement, une somme de 2 000 (deux mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SCI franco-marocaine d'investissement est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Lamalou-les-Bains sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI franco-marocaine d'investissement et à la commune de Lamalou-les-Bains.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Buccafurri, présidente,
- M. Portail, président assesseur,
- Mme Giocanti, conseiller,
Lu en audience publique, le 29 janvier 2016.
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N° 14MA01177