Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A...D...ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer les préjudices subis par M. D... résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C, d'ordonner avant dire droit une expertise pour évaluer ces préjudices et de condamner l'office à verser à M. D... une provision de 50 000 euros.
Par un jugement n° 1202008 du 2 octobre 2014, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la requête de M. et Mme D....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 novembre 2014, 5 novembre 2015, 9 février 2016 et 7 avril 2016, M. et Mme D..., représentés par Me F..., demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1202008 du 2 octobre 2014 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) d'annuler la décision du 6 juin 2012 rejetant la demande d'indemnisation ;
3°) de désigner un expert à fin de déterminer la date de consolidation des dommages et d'évaluer les préjudices subis, de mettre les frais de l'expertise à la charge de l'ONIAM et de le condamner à verser à M. D... une provision de 50 000 euros ;
4°) de condamner l'ONIAM à verser à M. D... une somme globale de 253 360 euros et à Mme D... la somme de 15 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2011 et la capitalisation de ces intérêts à chaque échéance annuelle, en réparation du préjudice subi ;
5°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la délégation de signature accordée par le directeur de l'ONIAM à la directrice juridique est irrégulière pour défaut de validité et de publication ;
- le régime de prescription applicable est celui de dix ans ;
- il n'y a pas de consolidation s'agissant d'une maladie chronique ;
- seule une expertise médicale permettrait de déterminer la date de consolidation de l'état de santé de M. D... ;
- c'est à tort que le point de départ du délai de la prescription a été fixé à la date de consolidation de son état ;
- le délai de prescription quadriennale n'a pu commencer à courir car M. D... n'avait pas connaissance de sa créance ;
- la contamination par le virus de l'hépatite C a été causée par une transfusion de produits sanguins et des injections de produits dérivés.
Par mémoires, enregistrés les 17 février 2015 et 23 octobre 2015, la caisse primaire d'assurance maladie du Var déclare n'avoir aucune observation à formuler.
Par des mémoires, enregistrés les 1er octobre 2015, 3 décembre 2015, 18 mars 2016 et 25 avril 2016, l'ONIAM, représenté par Me C..., conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) à l'indemnisation des préjudices subis par M. D... par une somme 23 000 euros et à l'indemnisation des préjudices subis par Mme D... par une somme de 2 000 euros ;
2°) au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que :
- les actions en responsabilité et les demandes d'indemnisation formées devant l'ONIAM se prescrivent désormais par dix ans à compter de la consolidation du dommage ;
- la demande d'expertise médicale est dépourvue d'utilité ;
- la date de consolidation doit être fixée au 19 décembre 2005.
Les parties ont été informées, par application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision de l'ONIAM du 6 juin 2012.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique notamment son article L. 1142-28 dans sa rédaction issue de l'article 188 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laso ;
- et les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique.
1. Considérant que M. D..., né en 1942, a été informé en mars 1991 de sa contamination par le virus de l'hépatite C ; que M. D... a suivi plusieurs traitements dont le dernier de janvier 2003 à janvier 2004 ; qu'imputant cette contamination à la transfusion de produits sanguins dont il a bénéficié notamment lors de ses hospitalisations à l'hôpital Hôtel Dieu à Marseille en février 1974, M. D... et son épouse ont saisi, le 29 avril 2011, l'ONIAM de demandes indemnitaires ; que, le 6 juin 2012, l'ONIAM a rejeté leurs demandes en opposant la prescription de leur action au 1er janvier 2010 dès lors que la date de la consolidation de l'état de santé de M. D... pouvait être fixée au 19 décembre 2005 ; que M. et Mme D... ont saisi le tribunal administratif de Toulon ; que, par un jugement du 2 octobre 2014, le tribunal administratif a rejeté leur demande en accueillant notamment l'exception de prescription quadriennale ; que M. et Mme D... relèvent appel de ce jugement ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'ONIAM :
2. Considérant que lorsque, dans le cadre d'un litige indemnitaire, l'administration oppose à la créance objet de ce litige la prescription quadriennale, le créancier qui entend en contester le bien-fondé doit le faire devant le juge saisi de ce même litige ; que, dans cette hypothèse, le créancier n'est par conséquent pas recevable à demander au juge de l'excès de pouvoir l'annulation de la décision opposant la prescription à la créance dont il se prévaut ; qu'il en résulte que les conclusions dirigées par les requérants contre la décision du directeur de l'ONIAM leur opposant l'exception de prescription quadriennale ne sont pas recevables ;
Sur l'exception de prescription :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de l'article 188 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 : " I - Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins et les demandes d'indemnisation formées devant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application du II de l'article L. 1142-1 et des articles L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage. (...). II.- Le I s'applique lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de publication de la présente loi. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. Toutefois, lorsqu'aucune décision de justice irrévocable n'a été rendue, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales applique le délai prévu au I aux demandes d'indemnisation présentées devant lui à compter du 1er janvier 2006.(...) " ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1221-14 du même code que les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C par une transfusion de produits sanguins sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'ONIAM ;
4. Considérant que la consolidation d'un état de santé ne signifie pas que celui-ci ne peut évoluer, mais seulement que la phase active de la maladie s'est achevée et que le patient entre dans une phase de son état de santé au cours de laquelle les séquelles permanentes de la maladie peuvent être décrites et appréciées dans leurs conséquences sur ses conditions de vie, sans que cela fasse obstacle à ce que cet état de santé soit susceptible d'aggravation ou d'amélioration ; qu'il résulte de l'instruction que M. D... a bénéficié d'un traitement comprenant de l'interféron associé à du Rebetol(r) de janvier 2003 à janvier 2004 ; que, le 19 décembre 2005, des examens biologiques ont constaté que la charge virale était devenue négative ; que le certificat médical du 6 août 2010 du docteur Sicardi, médecin conseil de l'Association française des hémophiles, mentionne que le traitement dont M. D... a bénéficié a permis la négativation de la charge virale et qu'à ce jour, les transaminases sont normales et la charge virale toujours négative ; que le certificat médical du 4 août 2010 du docteur Guillin-Poujol, hépato-gastroentérologue, indique également qu'à cette date, le patient est guéri de son hépatite C et que " la PCR du virus C retrouve une charge virale indétectable " ; qu'ainsi, la consolidation de l'état de santé de M. D... peut être fixée au 19 décembre 2005, plus de six mois après la fin du traitement ; que cette date constitue, en l'espèce, celle du point de départ du délai de prescription ; que M. et Mme D... ont présenté à l'ONIAM le 29 avril 2011 une demande portant sur l'une des indemnisations énumérées à l'article L. 1142-28 du code de la santé publique ; que cette demande d'indemnisation n'a fait l'objet d'aucune décision de justice irrévocable ; qu'elle est donc au nombre de celles auxquelles s'applique la prescription de dix ans prévue par les dispositions de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de l'article 188 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ; que, dès lors, M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 2 octobre 2014, le tribunal administratif de Toulon a estimé que l'ONIAM était fondé à opposer à leur créance la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 ;
Sur l'obligation à la charge de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4, à l'exception de la seconde phrase du premier alinéa. / Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain et des transfusions de produits sanguins ou des injections de médicaments dérivés du sang. L'office recherche les circonstances de la contamination. S'agissant des contaminations par le virus de l'hépatite C, cette recherche est réalisée notamment dans les conditions prévues à l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il procède à toute investigation sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. (...)" ;
6. Considérant que l'ONIAM ne conteste ni la matérialité de transfusions de produits sanguins à M. D..., laquelle résulte de l'instruction et notamment d'un courrier du 10 octobre 2011 de l'Etablissement Français du Sang, ni l'imputabilité de la contamination de M. D... par le virus de l'hépatite C aux transfusions de produits sanguins réalisées notamment à partir de 1974 ni, en conséquence, l'obligation d'indemnisation qui lui incombe au titre de la solidarité nationale ;
Sur les conclusions à fin d'expertise :
7. Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) " ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que l'état de santé de M. D... était consolidé au 19 décembre 2005 ; que si M. D... fait valoir que le fibrotest réalisé en 2012 montre que la fibrose du foie existe toujours, ses résultats indiquent une fibrose minime (F1) à modérée (F2) et aucune activité inflammatoire (A0) ; que les circonstances que M. D..., hémophile, a subi des saignements des intestins le 16 juin 2010 et en avril 2011 et que les effets secondaires de la maladie et des traitements ont perduré ne sont pas de nature à établir que son état de santé se serait aggravé depuis le dernier traitement suivi de janvier 2003 à janvier 2004 ; que, toutefois, l'état du dossier ne permet pas de déterminer l'étendue et le montant des préjudices nés de la contamination de M. D... par le virus de l'hépatite C ; que, par suite, il y a lieu, avant de statuer sur les droits à réparation de M. et Mme D..., d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt ;
Sur la demande de provision :
9. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, et dès lors que M. D... justifie de préjudices dont l'existence n'est pas sérieusement contestable, il y a lieu de condamner l'ONIAM à lui verser, à titre d'indemnité provisionnelle, une somme de 15 000 euros ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1202008 du 2 octobre 2014 du tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de M. et Mme D..., procédé par un expert, désigné par le président de la Cour, à une expertise avec pour mission de :
1°) examiner M. D..., prendre connaissance de son entier dossier médical et reconstituer l'histoire médicale de l'intéressé à compter de sa contamination par le virus de l'hépatite C en précisant l'ensemble des pathologies présentées, les dates, les lieux et les modalités de leur prise en charge médicale ;
2°) dire si l'état de santé de M. D... en lien avec sa contamination par le virus de l'hépatite C a entraîné un déficit fonctionnel temporaire et en préciser les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux ;
3°) préciser si l'état de santé de M. D... en lien avec sa contamination par le virus de l'hépatite C a justifié une assistance par une tierce personne et de préciser les dates de début et de fin de cette aide ainsi que sa nature et son importance en nombre d'heures par semaine ou par jour ;
4°) dire si l'état de santé de M. D... en lien avec sa contamination par le virus de l'hépatite C a entraîné des répercussions sur la vie professionnelle de l'intéressé ;
5°) préciser si l'état de santé de M. D... en lien avec sa contamination par le virus de l'hépatite C a entraîné un déficit fonctionnel permanent et dans l'affirmative en fixer le taux ;
6°) donner tous éléments utiles permettant d'évaluer les autres postes de préjudices en lien avec la contamination de M. D... par le virus de l'hépatite C tels que les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel ;
7°) préciser, le cas échéant, l'évolution de l'état de santé de M. D... en lien avec la contamination par le virus de l'hépatite C depuis la fin du traitement ayant permis la négativation de la charge virale.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : L'ONIAM versera à M. D... une somme de 15 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle.
Article 6 : Les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'ONIAM en date du 6 juin 2012 et le surplus des conclusions à fin de provision sont rejetés.
Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme B...D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et la caisse primaire d'assurance maladie du Var.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2016, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- M. Laso, président-assesseur,
- Mme E..., première conseillère,
Lu en audience publique, le 16 juin 2016.
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N°14MA04603
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