Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...E...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier de Manosque à lui payer la somme de 18 100 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à la suite d'une intervention chirurgicale réalisée le 19 décembre 2011.
Par un jugement n° 1303447 du 15 décembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 février 2015 et 24 février 2015, M. E..., représenté par MeD..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 décembre 2014 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Manosque à lui payer la somme de 18 100 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Manosque la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'a pas été informé des risques de complications de l'intervention chirurgicale subie le 19 décembre 2011 ni de l'échec de l'intervention initiale ;
- le suivi médical a été insuffisant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2015, le centre hospitalier de Manosque conclut au rejet de la requête et des conclusions de la caisse de mutualité sociale agricole Alpes-Vaucluse et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de M. E... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- l'intervention était urgente et nécessaire et M. E...ne démontre pas qu'il l'aurait refusée s'il avait été informé des risques de complications ;
- il n'est pas démontré que le praticien était en mesure de diagnostiquer l'existence des complications lors de la consultation du 24 janvier 2012 ;
- le défaut de suivi médical n'est responsable de la raideur du poignet qu'à hauteur de 10 % ;
- certains des préjudices invoqués par le requérant ne sont pas en lien avec les fautes invoquées et d'autres sont surévalués ;
- l'expert n'a retenu aucun déficit fonctionnel permanent.
Par un mémoire, enregistré le 2 août 2016, la caisse de mutualité sociale agricole (MSA) Alpes-Vaucluse demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Manosque à lui payer la somme de 11 383,90 euros ainsi que celle de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Manosque la somme de 700 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il existe un défaut d'information sur les risques de l'intervention et sur l'échec de la première intervention ;
- le suivi médical a été insuffisant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 21 décembre 2015 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,
- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique,
- et les observations de Me B...représentant M. E...et de Me A...représentant la Mutualité sociale agricole Alpes-Vaucluse.
1. Considérant que M. E...a subi une fracture du poignet gauche en chutant de sa hauteur le 19 décembre 2011 ; qu'il a été pris en charge et opéré le jour même au centre hospitalier de Manosque, où une ostéosynthèse par broches percutanées a été réalisée ; qu'il s'est rendu le 24 janvier 2012 dans ce même hôpital pour une visite de contrôle, au cours de laquelle une radiographie a été réalisée et le matériel enlevé ; que son poignet manquant de mobilité, il a consulté un praticien, lequel l'a informé de l'existence d'un cal vicieux et de la consolidation en mauvaise position de la fracture ; qu'une intervention de reprise a été pratiquée le 19 avril 2012 ; que M. E... reste atteint de séquelles constituées par un enraidissement du poignet et une diminution de la force de préhension ; que le requérant relève appel du jugement du 15 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande de condamnation du centre hospitalier de Manosque à lui verser une indemnité de 18 100 euros en réparation des préjudices subis ;
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen " ; qu'un manquement des médecins à leur obligation d'information n'engage la responsabilité de l'hôpital que dans la mesure où il a privé le patient de la possibilité de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée ; que c'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que l'existence d'une perte de chance peut être écartée ;
3. Considérant que le centre hospitalier ne rapporte pas la preuve que M. E...a été informé des risques de déplacement secondaire liés à une intervention d'ostéosynthèse par broches ; que l'urgence de procéder à une intervention n'était pas telle qu'elle aurait dispensé le praticien de son obligation d'information ; qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, qu'eu égard à la fréquence des risques de déplacement secondaire liés à ce type d'intervention, pouvant atteindre 20 % des cas de fractures traitées par broches, le défaut d'information revêt un caractère fautif ; qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que si l'intervention devait être pratiquée dans un bref délai, il existait une alternative thérapeutique, plus couramment utilisée, consistant en une ostéosynthèse par plaques vissées ; qu'il suit de là que M. E...a perdu une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé, dont il convient de fixer le taux, dans les circonstances de l'espèce, à 50 % ; qu'il n'y a pas lieu d'examiner les autres fautes tirées du défaut d'information de l'échec de l'intervention initiale et du défaut de suivi, sans lesquelles une seconde opération chirurgicale aurait été en tout état de cause nécessaire, dès lors que la faute retenue emporte meilleure réparation ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;
En ce qui concerne les préjudices :
Quant aux préjudices patrimoniaux :
5. Considérant que la MSA n'allègue ni ne démontre que la technique mise en oeuvre a généré un surcroît de dépenses de santé par rapport à celle qui aurait pu être choisie ; que doivent ainsi être admis en lien avec la faute les seuls frais d'hospitalisation concernant l'intervention de reprise du 19 avril 2012, pour un montant de 896,46 euros ; que s'agissant des indemnités journalières versées à M.E..., il résulte de l'instruction que deux mois d'incapacité de travail sont en lien avec l'état initial du patient ; qu'il convient donc d'évaluer le montant des indemnités journalières en lien avec la faute à la somme de 4 490 euros, correspondant à la période du 24 février 2012 au 28 juillet 2012 ;
Quant aux préjudices extrapatrimoniaux :
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux avant consolidation :
6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. E...a subi une période de déficit fonctionnel temporaire total de cinq jours durant la deuxième hospitalisation et une période de déficit fonctionnel temporaire partiel de six semaines aux taux de 33 % à la suite de la seco²nde intervention, de 20 % du 6 juin au 30 juillet 2012 et de 10 % du 31 juillet au 12 octobre 2012 ; que le patient aurait eu une chance de se soustraire à ces périodes de déficit liées à la seconde intervention chirurgicale en l'absence de défaut d'information sur les risques de l'intervention ; qu'il y a lieu de réparer ce préjudice par la somme de 700 euros ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que, du fait de la seconde intervention, M. E...a perdu une chance de ne pas endurer des souffrances évaluées à 3 sur une échelle de 7, qui doivent être réparées par la somme de 3 000 euros ;
8. Considérant, en troisième et dernier lieu, que la demande d'indemnisation du préjudice esthétique temporaire subi du fait du port d'une attelle, qui aurait été subi en l'absence de faute, doit être rejetée ;
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux après consolidation :
9. Considérant, en premier lieu, que M. E...demeure atteint d'un déficit fonctionnel permanent fixé par l'expert au taux de 6 % en ne tenant compte que des conséquences de la faute commise ; que ce préjudice étant en lien avec la faute, il y a lieu de le réparer par la somme de 5 300 euros ;
10. Considérant, en second lieu, que le requérant a subi un préjudice esthétique permanent du fait de l'existence d'une cicatrice consécutive au prélèvement d'un greffon au niveau de la crête iliaque pour la réalisation, le 19 avril 2012, d'une reconstruction par ostéotomie et greffe osseuse ; que la somme de 500 euros réparera le préjudice correspondant, évalué à 0,5 sur une échelle de 7 ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de Manosque doit être condamné à payer à la MSA la somme de 2 693 euros et à M. E...la somme de 4 750 euros après application du taux de perte de chance ;
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
12. Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 21 décembre 2015 : " Les montants maximum et minimum de l'indemnité forfaitaire de gestion visés aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 1 047 euros et à 104 euros à compter du 1er janvier 2016 " ; qu'en application de ces dispositions, la MSA a droit à la somme de 897 euros au titre de cette indemnité ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.E..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le centre hospitalier de Manosque demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du centre hospitalier les sommes de 2 000 euros et 700 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés respectivement par M. E...et par la MSA ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 15 décembre 2014 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Manosque est condamné à payer à M. E...la somme de 4 750 euros et à la MSA Alpes-Vaucluse la somme de 2 693 euros et la somme de 897 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. E... et la MSA Alpes-Vaucluse est rejeté.
Article 4 : Le centre hospitalier de Manosque versera à M. E...et à la MSA Alpes-Vaucluse les sommes respectives de 2 000 euros et 700 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier de Manosque présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...E..., à la MSA Alpes-Vaucluse et au centre hospitalier de Manosque.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2016, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président,
- M. Laso, président-assesseur,
- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.
Lu en audience publique, le 17 octobre 2016.
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N° 15MA00607