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29/09/2017 | FRANCE | N°16MA01903

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 29 septembre 2017, 16MA01903


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... G...a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 20 janvier 2014 par laquelle l'inspectrice du travail de la 2ème section d'inspection de l'unité territoriale des Alpes-Maritimes a autorisé la SAS Chacok Développement à la licencier pour motif économique.

Par un jugement n° 1401255 du 1er mars 2016, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 mai 2016 et le 2

8 avril 2017, Mme G..., représentée par Me E..., de l'AARPI ESSERE Avocats, demande à la Cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... G...a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 20 janvier 2014 par laquelle l'inspectrice du travail de la 2ème section d'inspection de l'unité territoriale des Alpes-Maritimes a autorisé la SAS Chacok Développement à la licencier pour motif économique.

Par un jugement n° 1401255 du 1er mars 2016, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 mai 2016 et le 28 avril 2017, Mme G..., représentée par Me E..., de l'AARPI ESSERE Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er mars 2016 ;

2°) d'annuler la décision du 20 janvier 2014 de l'inspectrice du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'inspectrice du travail aurait dû apprécier la réalité des difficultés économiques non pas à l'échelle du groupe Chacok mais à celle de la seule SAS Chacok Développement ;

- la réalité de ces difficultés n'est pas établie ;

- l'employeur ne s'est pas acquitté loyalement de son obligation de reclassement ;

- son licenciement est en lien avec son mandat syndical.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 août 2016 et le 2 juin 2017, la SAS Chacok Développement, Me F..., en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde et Me B..., en sa qualité de mandataire judiciaire jusqu'à la fin de la procédure de vérification des créances, représentés par Me A... de la SCP Brunet A...Gravelle, concluent au rejet de la requête et demandent, en outre, que Mme G... verse à la société Chacok Développement une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un mémoire, présenté par la ministre du travail, enregistré le 4 juillet 2017, n'a pas été communiqué.

Un mémoire, présenté par Mme G..., enregistré le 6 juillet 2017, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me E... représentant Mme G..., et de Me H..., représentant la SAS Chacok Développement et autres.

1. Considérant que Mme G... était employée en qualité de modéliste par la SAS Chacok Développement et était détentrice d'un mandat de délégué du personnel titulaire ; qu'à la suite du refus, opposé par l'intéressée, d'accepter la modification de son contrat de travail proposée par son employeur ainsi que les propositions de reclassement qu'il lui a faites, celui-ci a engagé une procédure de licenciement pour motif économique à son encontre ; que par décision du 20 janvier 2014, l'inspectrice du travail a autorisé la SAS Chacok Développement à la licencier pour ce motif ; que Mme G... relève appel du jugement du 1er mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

Sur la légalité de la décision du 20 janvier 2014 de l'inspectrice du travail :

2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des délégués syndicaux et des membres du comité d'entreprise, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;

S'agissant de la réalité du motif économique :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. " ; que, lorsque l'employeur sollicite une autorisation de licenciement pour motif économique fondée sur le refus du salarié d'accepter une modification de son contrat de travail, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette modification était justifiée par un motif économique ; que si la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un tel motif, c'est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le groupe Chacok, dont l'activité consiste en la conception, la fabrication et la commercialisation de vêtements et accessoires de mode féminine, comporte, d'une part, une entité, qualifiée de maison-mère, composée de trois établissements gérés par la SAS Chacok Développement, abritant, pour l'un deux, le siège social du groupe et les activités de création des modèles, une plateforme logistique pour le deuxième et un espace d'exposition pour le dernier, d'autre part, huit boutiques situées sur le territoire national et une localisée dans la principauté de Monaco ; qu'eu égard aux liens fonctionnels et économiques qui unissent ces différentes entités, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'apprécier les difficultés économiques invoquées par la SAS Chacok Développement pour justifier du licenciement de Mme G... à l'échelle du groupe Chacok, et non à l'échelle de la seule entité assurant l'activité de production, alors même que les activités de commercialisation relèveraient de conventions collectives distinctes de celle applicable au secteur de la production ; que Mme G... admet que le groupe Chacok a connu, entre 2008 et 2012, une diminution de son chiffre d'affaire de 20,3 % ; qu'en tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que les éléments financiers concernant la SAS Chacok Développement elle-même, disponibles à la date à laquelle l'inspectrice du travail a pris la décision en litige, faisaient apparaître un chiffre d'affaires en baisse de 23 % entre 2008 et 2012 ; qu'une procédure de sauvegarde concernant cette société avait été ouverte le 20 septembre 2013 par le tribunal de commerce d'Antibes ; qu'est ainsi établie la réalité du motif économique ayant conduit la SAS Chacok Développement à décider notamment la suppression de la prime de treizième mois dont bénéficiait Mme G... ; que la circonstance selon laquelle cette suppression ne représenterait qu'une économie de 2 200 euros par an n'est pas de nature à démontrer l'absence de lien avec la situation économique de l'entreprise dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que cette mesure s'inscrivait dans un plan global d'économies, comportant la suppression, pour l'ensemble des salariés de la société, de toutes les primes dites " d'usage " ;

S'agissant des obligations en matière de reclassement :

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. " ; qu'il résulte de ces dispositions que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à la recherche des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel ;

6. Considérant, en l'espèce, que l'emploi de modéliste qu'occupait Mme G..., qui a refusé la modification de son contrat de travail, n'avait pas d'équivalent au sein de la SAS Chacok Développement et qu'aucun autre emploi n'y était disponible ; qu'il ressort des pièces du dossier que l'employeur a effectué des recherches dans l'ensemble des entités du groupe Chacok au sein duquel pouvaient être réalisées des permutations entre la maison-mère et ses filiales ; que la SAS Chacok Développement a présenté à Mme G... trois propositions précises de reclassement, soit un emploi de manutentionnaire sur le site de production de Roanne, pour une durée limitée à un mois, avec une rémunération mensuelle de 1 445 euros, un emploi de vendeuse à temps partiel dans une boutique à Paris, pour une durée limitée à trois mois et demi, avec une rémunération de 1 134 euros et un emploi de vendeuse à temps plein en contrat à durée indéterminée, dans une boutique à Toulouse, avec une rémunération de 1 530 euros ; que si Mme G... soutient que l'emploi de responsable de la boutique de Toulouse, qui était vacant, aurait dû lui être proposé, l'intéressée ne justifie pas qu'elle disposait des compétences en termes de management et de gestion requises pour occuper ce type d'emploi ; que l'effort de recherche de possibilités de reclassement effectué par la SAS Chacok Développement doit, dans ces conditions, être regardé comme sérieux ; que, par suite, Mme G... n'est pas fondée à soutenir que l'inspecteur du travail aurait estimé à tort que la SAS Chacok Développement avait satisfait à son obligation en matière de reclassement ;

S'agissant du lien avec le mandat :

7. Considérant qu'au soutien de son allégation selon laquelle son licenciement est en lien avec son mandat représentatif, Mme G... fait état du conflit qui serait né, en septembre 2013, entre la direction de la SAS Chacok Développement et les membres du comité d'entreprise, dont elle faisait partie, après que celui-ci, s'alarmant du nombre important de licenciements et de ruptures conventionnelles survenus au sein de la société, aurait décidé d'assigner la société en justice aux fins de désignation d'un expert et aurait évoqué un délit d'entrave pour qualifier l'attitude de la direction en réaction à cette initiative ; que, toutefois, à supposer même établie cette situation conflictuelle, de tels faits ne sont pas de nature, par eux-seuls, à démontrer l'existence d'un lien entre l'exercice, par Mme G..., de son mandat représentatif et la procédure de licenciement pour motif économique qu'a engagé son employeur à son encontre ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 4, la décision de suppression des primes dites " d'usage ", qui est à l'origine de la décision de licencier l'intéressée, a concerné tous les salariés de la société, dans le cadre d'un plan d'économie d'ensemble ; qu'il était loisible à Mme G... d'accepter, ainsi que l'ont fait certains de ses collègues, la proposition de modification du contrat de travail de la SAS Chacok Développement ; qu'au surplus, Mme G... s'est vu proposer, en compensation de la perte de revenus qu'allait occasionner la suppression de la prime de treizième mois, une augmentation de la rémunération mensuelle brute de 2 200 à 2 640 euros ; que la requérante n'établit aucunement qu'elle aurait été victime de discrimination de la part de son employeur ; qu'enfin, Mme G... ne peut sérieusement soutenir que son licenciement anéantit toute représentation du personnel au sein de la société dès lors qu'il ressort des pièces du dossier qu'au moins un délégué du personnel y restait employé ; qu'il y a lieu, par suite, d'écarter le moyen tiré du lien avec le mandat de la requérante ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme G... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SAS Chacok Développement et autres, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, la somme demandée par Mme G..., au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du Mme G... la somme demandée par la SAS Chacok Développement et autres au même titre ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme G... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la SAS Chacok Développement et autres présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...G..., à la ministre du travail, à la SAS Chacok Développement, à Me I... F...et à Me C...B....

Délibéré après l'audience du 15 septembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 29 septembre 2017.

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N° 16MA01903

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA01903
Date de la décision : 29/09/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-02-04 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés non protégés - Licenciement pour motif économique (avant les lois du 3 juillet et du 30 décembre 1986). Réalité du motif économique.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. MAURY
Avocat(s) : SINGER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-09-29;16ma01903 ?
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