Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Sagena a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner in solidum les sociétés Charles Queyras Constructions, SP21, Polybatic et Afitest à lui verser une indemnité de 4 007 275,59 euros en réparation des dommages subis par le département des Bouches-du-Rhône dans le cadre de l'exécution du chantier de construction du collège de Plan-de-Cuques, majorée des intérêts moratoires à compter du 17 décembre 2012.
Par un jugement n° 1305670 du 5 avril 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 6 juin 2017, la société SMA, venant aux droits de la société Sagena, représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner in solidum la société SP21, la société Afitest, aux droits de laquelle est venue la société Dekra Industrial, la société Charles Queyras Constructions, aujourd'hui dénommée Guil Durance, et la société Polybatic à lui verser la somme de 4 007 275,59 euros, assortie des intérêts capitalisés à compter du 17 décembre 2012, à titre principal, sur le fondement de la responsabilité décennale, à titre subsidiaire, sur un fondement contractuel ;
3°) de mettre à la charge des sociétés SP21, Dekra Industrial, Guil Durance et Polybatic une somme de 10 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le procès-verbal établi dans le cadre de la résiliation du marché de la société Charles Queyras Constructions vaut réception de l'ouvrage ;
- les désordres qui ont affecté le lycée ont rendu cet ouvrage impropre à sa destination et en ont affecté la solidité ;
- les désordres résultent des fautes commises par les locateurs d'ouvrage au niveau de la conception, du suivi, de l'exécution et du contrôle de leur solidité.
Par des mémoires " en défense et en intervention volontaire ", enregistrés les 9 octobre 2017 et 20 février 2018, la compagnie d'assurances Axa France Iard, assureur de la société Polybatic, représentée par MeC..., conclut à ce que la société Guil Durance la relève et la garantisse de toute condamnation prononcée à son encontre et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Sagena au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative;
Elle soutient que :
- elle est recevable à intervenir dans le cadre du présent litige ;
- l'action de la société Sagena contre la société Polybatic est prescrite ;
- l'action de la société Sagena est irrecevable au regard de l'existence d'une clause de non recours stipulée au contrat tous risques chantier ;
- la réception de l'ouvrage n'a pas été réalisée dès lors que la procédure de résiliation du marché de la société Charles Queyras Constructions a été censurée par arrêts de la cour administrative d'appel et du conseil d'Etat ;
- les désordres étaient connus du département avant le dépôt du rapport d'expertise, et ont été réservés lors de la réception précédant la résiliation ;
- la société Sagena ne peut actionner les constructeurs sur le fondement de la responsabilité contractuelle ;
- la société SPE, maître d'ouvrage délégué, a commis des fautes dans la gestion du chantier ;
- la demande de condamnation in solidum à son égard n'est pas justifiée ;
- elle est intervenue en qualité de sous-traitante de la société Charles Queyras Constructions pour la réalisation des études de béton armé qui étaient soumis au contrôle de la cellule de synthèse, composée de M.E..., de la société BET 21 et du bureau de contrôle Afitest .
Par un mémoire enregistré le 16 février 2018, la société Dekra Industrial, venant aux droits de la société Afitest, représentée par la société d'avocats Sanguinede et associés, conclut à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que les sociétés SP21, Polybatic, Guil Durance la relèvent et la garantissent de toute condamnation, enfin à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de tout succombant au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le mémoire en intervention volontaire de la société Sagena présenté à l'appui des conclusions irrecevables du département a été requalifié à tort par le tribunal administratif en requête autonome, et est irrecevable ;
- l'action en responsabilité de la société Sagena, par voie de subrogation, est prescrite depuis le 28 août 2011 ;
- la société Sagena ne peut détenir plus de droits que le département, subrogeant, dont les demandes ont été définitivement rejetées à l'encontre des locateurs d'ouvrage ;
- la résiliation du marché de la société Charles Queyras Constructions a été annulée et ne peut valoir réception des travaux ;
- les désordres ont fait l'objet de réserves ;
- elle n'a commis aucune faute contractuelle et l'action est prescrite.
Par une ordonnance du 6 février 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 février 2018.
Par une lettre du 4 septembre 2018, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la solution de l'affaire était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office tiré de ce que les conclusions de la société SMA fondées sur la responsabilité contractuelle des locateurs d'ouvrage sont nouvelles en appel, et par suite irrecevables.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code des assurances ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G...Steinmetz-Schies, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Renaud Thiele, rapporteur public ;
- les observations de Me B...substituant MeA..., représentant la société SMA, et celles de MeF..., substituant MeD..., représentant la société Dekra Industrial.
Considérant ce qui suit :
1. En 1999, le département des Bouches-du-Rhône a confié la construction d'un collège, situé sur le territoire de la commune de Plan-de-Cuques, au bureau d'études SP 21, maître d'oeuvre, à la société Afitest, contrôleur technique, et à diverses entreprises, parmi lesquelles la société Charles Queyras Constructions, titulaire du lot " gros-oeuvre ", dont la société Polybatic était la sous-traitante. Le département a constaté de nombreuses malfaçons en cours de réalisation des travaux et a décidé de résilier, le 31 octobre 2001, le marché de travaux conclu avec la société Charles Queyras Constructions. A sa demande, le président du tribunal administratif de Marseille a, le 28 août 2001, désigné un expert, lequel a remis son rapport le 11 juin 2007. Par une requête n° 0902171, le département des Bouches-du-Rhône a demandé au tribunal administratif la condamnation solidaire des sociétés SP 21, Afitest et Appia 13, titulaire du lot " voies et réseaux divers ", à lui verser la somme de 8 334 258,61 euros en réparation des conséquences dommageables des malfaçons affectant l'ouvrage. Dans le cadre de cette instance, qui a abouti à un jugement de rejet du 18 mars 2014 confirmé par un arrêt de la Cour administrative d'appel de Marseille du 28 décembre 2015, devenu définitif, la société Sagena, assureur dommage-ouvrage du département des Bouches-du-Rhône, qui avait été condamnée à verser à ce dernier, en cette qualité, une somme de 3 312 753 euros toutes taxes comprises par un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 15 novembre 2012, avait présenté, en avril 2013, une intervention volontaire que le tribunal a qualifié de demande autonome et qu'il a ainsi enregistré comme requête distincte, sous le n° 1305670, tendant à la condamnation des sociétés SP21, Afitest, Polybatic et Guil-Durance au versement d'une indemnité de 4 007 275,59 euros. Par un jugement du 5 avril 2017, dont la société SMA, venant aux droits de la société Sagena, relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.
Sur la recevabilité de l'intervention de la société Axa France Iard :
2. Dans les litiges de plein contentieux, sont seules recevables à former une intervention les personnes qui se prévalent d'un droit auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier. La société Axa France Iard, assureur de la société Polybatic, société en liquidation judiciaire, ne se prévaut pas, en cette seule qualité, d'un droit de cette nature. Dès lors, son intervention n'est pas recevable.
Sur la régularité du jugement :
3. Si la société Dekra industrial soutient que les premiers juges ne pouvaient qualifier le mémoire de la société SMA, présentée sous forme de mémoire en intervention volontaire dans l'instance engagée par le département des Bouches-du-Rhône, en demande contentieuse autonome, il résulte de l'instruction que la société SMA était subrogée dans les droits du département des Bouches-du-Rhône. Dans ces circonstances, les premiers juges n'ont pas entaché leur jugement d'irrégularité en opérant une telle requalification et en créant pour cette raison une requête distincte.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des assurances, l'assurance de dommages, souscrite pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs par toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, fait réaliser des travaux de bâtiment, garantit " (...) en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1 du code civil ". Aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances, " l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur ". Il résulte de ces dispositions que l'assurance de dommages est une assurance de choses bénéficiant au maître de l'ouvrage et aux propriétaires successifs ou à ceux qui sont subrogés dans leurs droits et que l'assureur qui a pris en charge la réparation de dommages ayant affecté l'ouvrage de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1 du code civil se trouve subrogé dans les droits et actions du propriétaire à l'encontre des constructeurs ;
5. La société Sagena, assureur du département des Bouches-du-Rhône, a été condamnée par un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 15 novembre 2012 à lui verser la somme de 3 312 753 euros toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal à compter du 18 novembre 2003 et anatocisme, en application des stipulations du contrat d'assurance dommage-ouvrage qu'il avait conclu avec elle. La société Sagena a exécuté cette condamnation et s'est trouvée de ce fait, titulaire d'une action subrogatoire fondée sur les droits de la victime à l'égard des constructeurs ayant participé à l'opération de construction en cause. Toutefois, l'assureur ainsi subrogé ne peut avoir, vis-à-vis de la personne publique, plus de droits qu'elle.
6. En premier lieu, la société SMA fonde sa demande sur les principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, donc sur la garantie décennale des constructeurs. Or, le délai de cette garantie court à compter de la réception des travaux.
7. L'article 46 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux, auquel se référait en l'espèce le marché de la société Charles Queyras Constructions, prévoit que, " en cas de résiliation, il est procédé, l'entrepreneur ou ses ayant droit, tuteur, curateur ou syndic, dûment convoqués, aux constatations relatives aux ouvrages et parties d'ouvrages exécutés, à l'inventaire des matériaux approvisionnés, ainsi qu'à l'inventaire descriptif du matériel et des installations de chantier. Il est dressé procès-verbal de ces opérations. L'établissement de ce procès-verbal emporte réception des ouvrages et parties d'ouvrages exécutés avec effet de la date d'effet de la résiliation ". D'une part, la décision de résiliation du marché de la société Charles Queyras Constructions a été censurée par la décision du conseil d'Etat statuant au contentieux n° 349840-349911 du 15 novembre 2012, énonçant qu'elle avait été prise par une autorité incompétente, et que, par suite, le surcoût résultant de la passation d'un marché de substitution ne pouvait être mis à la charge de la société Guil Durance. D'autre part, il résulte de l'instruction que le procès-verbal imposé par l'article 46 précité du cahier des clauses administratives générales n'a jamais été établi, et que les désordres en cause, dus à une qualité de béton insuffisante, qui ont justifié la résiliation du marché en novembre 2001, étaient apparents car constatés dès février 2001, tant par le maître d'oeuvre que par le bureau d'études Cemerex. Dès lors, en l'absence de réception des travaux exécutés par les entreprises intervenues sur le chantier, le département des Bouches-du-Rhône n'aurait pas été fondé à mettre en jeu la garantie décennale des constructeurs. Il s'ensuit que la société SMA, subrogée dans ses droits, n'est pas davantage fondée à demander la condamnation des constructeurs sur ce fondement, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen tiré de la prescription de l'action.
8. En deuxième lieu, si la société SMA soutient que les désordres dont elle demande réparation sont imputables à des fautes de nature, selon elle, à engager la responsabilité contractuelle des locuteurs, elle se fonde à cet égard sur une cause juridique distincte de celle de la demande qu'elle a présentée contre eux devant le tribunal administratif, qui était uniquement fondée sur la garantie décennale. Ses conclusions ont ainsi le caractère d'une demande nouvelle en appel. Elles doivent en conséquence être rejetées comme irrecevables, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'exception de prescription opposée par la société Dekra Industrial.
9. Il résulte de ce tout ce qui précède que la société SMA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande et n'est pas recevable à en modifier devant la Cour le fondement juridique.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge des sociétés défenderesses, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, au titre des frais exposés par la société SMA et non compris dans les dépens. Il y a lieu au contraire de mettre à la charge de cette société une somme de deux mille euros à verser à la société Dekra Industrial au titre de ces mêmes dispositions. Enfin, les conclusions à ce titre par la société Axa Iard ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : L'intervention de la société Axa France Iard n'est pas admise.
Article 2 : La requête de la société SMA est rejetée.
Article 3 : La société SMA versera une somme de 2 000 euros à la société Dekra Industrial au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société SMA venant aux droit de la Société Sagena, à la société Dekra Industrial venant aux droit de la Société Affitest, à la société SP21, à la société Guil Durance venant aux droits de la Société Queyras, à la société Polybatic et à la société AXA France Iard
Copie en sera adressée au département des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2018, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- Mme G...Steinmetz-Schies, président-assesseur,
- M. Allan Gautron, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2018.
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N° 17MA02294