Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... B...ont demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler les arrêtés du 12 juin 2018 par lesquels le préfet du Gard leur a enjoint de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de leur destination.
Par un jugement n° 1802001, 1802002 du 31 juillet 2018, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête, enregistrée le 29 août 2018 sous le n° 18MA04080, M. et Mme B..., représentés par Me D..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 juillet 2018 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler les arrêtés du 12 juin 2018 du préfet du Gard ;
3°) d'enjoindre au préfet du Gard de réexaminer leur situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de les munir d'une autorisation de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à leur conseil qui s'engage à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Ils soutiennent que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- le préfet du Gard s'est cru à tort en situation de compétence liée ;
- leur droit d'être entendu avant que ne soit prise la mesure litigieuse a été méconnu ;
- leur demande n'a pas fait l'objet d'un examen réel et complet ;
- l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant a été méconnu ;
- l'arrêté litigieux méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté fixant le pays de destination méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2018, le préfet du Gard conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme B... ne sont pas fondés.
II - Par une requête, enregistrée le 29 août 2018 sous le n° 18MA04081, et un mémoire enregistré le 15 novembre 2018, M. et Mme B..., représentés par Me D..., demandent à la Cour :
1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement du 31 juillet 2018 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'enjoindre au préfet du Gard de réexaminer leur situation et de leur délivrer des autorisations provisoires de séjour avec droit au travail dans l'attente de la décision de fond.
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à leur conseil qui s'engage à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Ils soutiennent que :
- l'exécution du jugement de première instance entraînerait des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens invoqués sont sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2018, le préfet du Gard conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme B... ne sont pas fondés.
Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille a constaté la caducité des demandes d'aide juridictionnelle de M. et Mme B...par quatre décisions du 14 décembre 2018. Quatre nouvelles demandes d'aide juridictionnelle ont été formulées, après convocation à l'audience, le 14 janvier 2019 pour M. et MmeB....
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la charte des droits fondamentaux ;
- la convention relative aux droits de l'enfant ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique les rapports de Mme Paix.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n°s18MA04080 et 18MA04081 présentées pour M. et Mme B... sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.
2. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 31 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande d'annulation des arrêtés du 12 juin 2018 par lesquels le préfet du Gard leur a enjoint de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de leur destination.
Sur les conclusions dirigées contre les arrêtés en tant qu'ils obligent M. et Mme B... à quitter le territoire français :
3. En premier lieu, les arrêtés du 12 juin 2018 concernant chacun des époux B...énoncent les raisons pour lesquelles ils font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Ils précisent les textes sur lesquels s'est fondé le préfet du Gard et les circonstances de fait justifiant l'obligation qui leur est faite de quitter le territoire français. Ils sont, contrairement à ce que soutiennent les requérants, suffisamment motivés.
4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et, en particulier, des mentions de la décision attaquée, que le préfet du Gard a procédé à l'examen particulier de la situation personnelle de M. et Mme B... avant de les enjoindre de quitter le territoire français. Il ne résulte pas de la lecture des arrêtés en litige qu'il se serait estimé à tort en situation de compétence liée, sans examiner la situation particulière des intéressés.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Le moyen tiré de sa violation par une autorité d'un Etat membre ne peut, en conséquence, être utilement invoqué.
6. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
7. M. et Mme B..., en sollicitant leur admission au séjour sur le territoire français au titre de l'asile, ne pouvaient ignorer qu'en cas de rejet de leur demande d'asile, ils seraient susceptibles de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Il ressort des pièces du dossier ni qu'ils aient sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux, ni qu'ils aient été empêchés de présenter spontanément des observations avant que ne soient prises les décisions en litige ni même, au demeurant, qu'ils aient disposé d'autres éléments pertinents tenant à leur situation personnelle que ceux déjà indiqués au préfet du Gard, susceptibles d'influencer le sens des décisions attaquées. Ainsi, ils ne sont fondés à soutenir ni qu'ils auraient été privés du droit d'être entendu, ni que les droits de la défense auraient été méconnus.
8. En quatrième lieu, le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant prévoit que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un refus de séjour, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Les décisions litigieuses n'ont ni pour effet ni pour objet de séparer M. et Mme B... de leurs enfants. S'agissant de la santé de l'une des enfants des requérants, il ressort des pièces du dossier que la jeune C...B..., née en 2011, a été traitée entre novembre 2013 et juillet 2014 en Italie pour un rétinoblastome. Elle a suivi un traitement par chimiothérapie, thermo-chimiothérapie, cryothérapie, chimiothérapie intra-artériolaire et énucléation de l'oeil droit. Les certificats médicaux établis par les médecins des centres hospitaliers universitaires de Nîmes et de Montpellier établissent que l'enfant doit faire l'objet tous les six mois, d'une surveillance en milieu hospitalier pour prévenir un risque de récidive du cancer à l'autre oeil, et pour l'adaptation de la prothèse oculaire qui lui a été posée. Cependant, à l'exception d'un certificat médical établi le 27 juin 2018, par un praticien généraliste, ces éléments ne permettent pas d'affirmer que le suivi médical de la jeune C...ne pourrait pas être effectué dans son pays d'origine. Le préfet du Gard relève, à cet égard, que l'hôpital Hygeia de Tirana prend en charge le diagnostic, le traitement et le suivi des patients atteints de cancer et dispose d'une clinique ophtalmologique allemande spécialisée pour les yeux. De même, le centre hospitalier Mère Teresa à Tirana est équipé d'un appareil de type Linac, pour les radiothérapies, et un second appareil de ce type va y être installé. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'enfant suive actuellement un traitement. Dans ces conditions, et dès lors que la surveillance médicale de l'enfant peut être poursuivie dans le pays d'origine, les décisions d'obligation de quitter le territoire français imposées à ses parents ne portent pas atteinte à l'intérêt supérieur de la jeune C...B.... Le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant doit, par suite, être écarté.
10. En cinquième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
11. M. et Mme B... sont entrés en France en 2016 après avoir vécu jusqu'à l'âge de trente-cinq et quarante-trois ans dans leur pays d'origine. Leurs quatre enfants, peuvent, eu égard à leur âge, reprendre et poursuivre leur scolarité en Albanie, où la cellule familiale peut se reconstituer. Dans ces conditions, les arrêtés portant obligation de quitter le territoire français pris à l'encontre de M. et Mme B... ne portent pas une atteinte disproportionnée à leur droit à une vie privée et familiale. Pour les mêmes raisons, ils ne sont pas entachés d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle.
Sur les conclusions dirigées contre les arrêtés en tant qu'ils fixent le pays de destination de M. et Mme B... :
12. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile : " L'étranger qui est obligé de quitter le territoire français ou qui doit être reconduit à la frontière est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la commission des recours des réfugiés lui a reconnu le statut de réfugié ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
13. M. et Mme B... indiquent qu'ils ont subi des persécutions en Albanie. Les demandes d'asiles formées par les intéressés ont été rejetées, à deux reprises, par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides puis par la Cour nationale du droit d'asile, en dernier lieu, par deux ordonnances du 18 mai 2018. Dans ces conditions, les pièces qu'ils produisent, sans préciser, au demeurant, si elles avaient été soumises à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides puis à la Cour nationale du droit d'asile ou, le cas échéant, les raisons pour lesquelles elles ne l'auraient pas été, ne sauraient suffire à établir que leur vie serait menacée dans leur pays d'origine, ou qu'ils y seraient exposés à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le préfet du Gard n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile.
14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement :
15. Le présent arrêt statue sur la demande d'annulation du jugement du 31 juillet 2018 du tribunal administratif de Nîmes. Les conclusions tendant au sursis à exécution de ce jugement sont, par suite, devenues sans objet.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
16. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Il y a lieu de rejeter les conclusions formées en ce sens par M. et Mme B....
Sur les frais liés aux litiges :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme B... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18MA04081 de M. et Mme B....
Article 2 : La requête n° 18MA04080 de M. et Mme B... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Gard.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2019, où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente,
- Mme Paix, présidente assesseure,
- M. Haïli, premier conseiller.
Lu en audience publique le 7 février 2019.
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N°18MA04080, N°18MA04081