Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B...C...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner solidairement l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) et la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser la somme de 300 000 euros à titre de provision. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var, agissant au nom et pour le compte de la CPAM des Alpes-Maritimes, a demandé au juge des référés de condamner solidairement l'AP-HM et la SHAM à lui verser une provision de 92 689,24 euros au titre de ses débours.
Par une ordonnance n° 1709781 du 27 septembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a condamné solidairement l'AP-HM et la SHAM à verser à titre de provision la somme de 98 500 euros à Mme C... et celle de 95 689,24 euros à la CPAM du Var.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 11 octobre 2018 et le 5 novembre 2018, l'AP-HM et la SHAM, représentées par Me D..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 27 septembre 2018 ;
2°) statuant en référé, de rejeter les demandes présentées par Mme C... et par la CPAM du Var devant le tribunal administratif de Marseille.
Elles soutiennent que :
- l'ordonnance attaquée est insuffisamment motivée ;
- il existe un doute sérieux quant au caractère nosocomial de l'infection apparue dans les suites de l'intervention du 3 janvier 1996 ;
- l'infection présentait en tout état de cause le caractère d'une cause étrangère du fait qu'elle était inévitable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2018, Mme C..., représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- de réformer l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a limité à la somme de 98 500 euros la provision au versement de laquelle il a condamné l'AP-HM et la SHAM ;
- de condamner solidairement l'AP-HM et la SHAM à lui verser la somme complémentaire de 250 000 euros à titre de provision ;
3°) de mettre à la charge solidaire de l'AP-HM et de la SHAM la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'infection présente un caractère nosocomial ;
- l'AP-HM et la SHAM ne rapportent pas la preuve d'une cause étrangère ;
- le besoin en assistance par une tierce personne doit être indemnisé.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 31 décembre 2018, l'AP-HM et la SHAM concluent aux mêmes fins que la requête et au rejet de l'appel incident.
Elles soutiennent, en outre, que :
- la nécessité d'une aide par une tierce personne n'est pas établie pour la période antérieure à l'amputation ;
- le taux horaire ne peut excéder le montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance ;
- l'assistance par une tierce personne à compter du 31 décembre 2018 doit être réparée sous la forme d'une rente ;
- le barème issu de l'arrêté du 27 décembre 2011 modifié doit être privilégié à celui d'une revue d'analyse et de veille juridique et judiciaire.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Var, agissant au nom et pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la Cour a désigné M. Vanhullebus, président, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... a présenté à l'âge de vingt-deux ans un ostéosarcome de l'extrémité supérieure du tibia droit et de l'extrémité inférieure du fémur. Après un curetage opéré à Nice le 10 février 1987, elle a subi à l'AP-HM une intervention le 5 octobre 1993, pour curetage biopsique et comblement de la tumeur, puis le 15 décembre 1993, pour exérèse de la tumeur et reconstruction par une prothèse massive appuyée sur deux allogreffes massives. Plusieurs cures de chimiothérapie lui ont été administrées entre le 16 novembre 1993 et le 22 juillet 1994. Après deux interventions en 1994 et 1995 consécutives à des chutes, une nouvelle intervention a été pratiquée le 3 janvier 1996 pour rescellement de la prothèse totale du genou. Un lavage de la prothèse a été réalisé le 12 février 1996 après la constatation d'un écoulement infectieux au niveau du genou. En dépit de la poursuite d'une antibiothérapie, modifiée à plusieurs reprises, et de la réalisation de plusieurs interventions de 1996 à 2003, l'infection a persisté jusqu'à ce qu'une amputation en cuisse soit effectuée, le 2 mai 2014, au centre hospitalier régional universitaire de Nice. Mme C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement l'AP-HM et la SHAM à lui verser la somme de 300 000 euros à titre de provision. La CPAM du Var a demandé au juge des référés de condamner solidairement l'AP-HM et la SHAM à lui verser une provision de 92 689,24 euros au titre des débours exposés par la CPAM des Alpes-Maritimes. L'AP-HM et la SHAM font appel de l'ordonnance du 27 septembre 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille les a condamnées solidairement à verser à titre de provision la somme de 98 500 euros à Mme C... et celle de 95 689,24 euros à la CPAM du Var. Mme C... demande, par la voie de l'appel incident, la majoration de la provision qui lui a été accordée.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Le moyen invoqué par l'AP-HM et la SHAM, tiré de ce que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est insuffisamment motivée au regard des conclusions dont il était saisi, n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre au juge d'appel d'en apprécier la portée et le bien-fondé. Il suit de là que ce moyen doit être écarté.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.
En ce qui concerne la responsabilité de l'AP-HM :
4. L'introduction accidentelle d'un germe microbien dans l'organisme d'un patient lors d'une hospitalisation antérieure à l'entrée en vigueur des dispositions relatives à la réparation des infections nosocomiales issues de la loi du 4 mars 2002 révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier et engage la responsabilité de celui-ci. Il en va toutefois autrement lorsqu'il est certain que l'infection, si elle s'est déclarée à la suite d'une intervention chirurgicale, a été causée par des germes déjà présents dans l'organisme du patient avant l'hospitalisation, ou encore lorsque la preuve d'une cause étrangère est rapportée par l'établissement public de santé.
5. Le premier épisode infectieux est apparu sur le site opératoire au cours du mois suivant l'intervention pratiquée le 3 janvier 1996. Il ne ressort d'aucun élément du dossier que Mme C... aurait été porteuse d'une infection en incubation à son admission à l'AP-HM en janvier 1996. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que les complications infectieuses apparues au mois de janvier 1996 et ayant persisté jusqu'à l'amputation pratiquée le 2 mai 2014, résulteraient, ainsi que le soutiennent l'AP-HM et son assureur, de la pathologie cancéreuse initiale, en raison des effets immunodépresseurs du traitement par chimiothérapie, lequel a pris fin le 22 juillet 1994, soit environ dix-sept mois avant l'intervention pratiquée le 3 janvier 1996. Les infections répétées du site ne sont pas non plus la conséquence du traitement antirejet administré à la suite des allogreffes réalisées au cours des années 1993, 1997 et 2001. Ainsi, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport des experts désignés par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, que, compte tenu de la nature et de l'ampleur des soins effectués et du délai d'apparition de l'infection sur le site de la prothèse, il y a lieu de regarder le staphylocoque blanc comme ayant été accidentellement introduit dans l'organisme de la patiente à l'occasion de son hospitalisation au sein de l'AP-HM. L'infection en ayant résulté révèle ainsi une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier de nature à engager sa responsabilité.
6. Il résulte de ce qui a été indiqué au point précédent que l'AP-HM et la SHAM ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a qualifié cette infection de nosocomiale, a considéré que leur obligation n'était pas sérieusement contestable et les a, en conséquence, condamnées à verser une provision à Mme C....
En ce qui concerne le montant de la provision :
7. Le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.
8. Le besoin d'une assistance par une tierce personne est justifié à compter du 1er juin 2015, date de consolidation de l'état de santé de Mme C.... Ce besoin a été apprécié par les experts en fonction de la nature et de l'importance du déficit fonctionnel permanent que conserve l'intéressée à la suite de l'amputation, consécutive à l'infection nosocomiale. Il résulte de l'instruction, avec une certitude suffisante, que le besoin d'aide n'a pu être moindre au titre de la période qui a couru depuis le 4 octobre 2014, terme de l'hospitalisation rendue nécessaire par la réalisation de l'amputation, jusqu'à la date de consolidation. Mme C... justifie en appel avoir eu effectivement recours à l'assistance par une tierce personne depuis le 4 octobre 2014. En revanche, l'existence d'un tel besoin au cours de la période de dix-huit ans durant laquelle la victime a souffert de complications infectieuses ne présente pas un caractère de certitude suffisant.
9. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le besoin d'assistance, non spécialisée, par une tierce personne est évalué à 2 heures par jour. Ce besoin correspond, selon le rapport d'expertise, à une aide-ménagère à domicile, laquelle a vocation à concerner notamment le ménage du logement, l'entretien du linge, l'aide à la toilette ou la préparation des repas. Par suite, il convient de tenir compte de la prestation de compensation du handicap, qui comprend une " aide à la toilette ", dont le bénéfice a été accordé à Mme C... par une décision du 18 novembre 2014 de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du département des Alpes-Maritimes, soit la somme de 11 730 euros pour la période du 4 octobre 2014 au 28 février 2017, ainsi qu'il en est justifié en appel. L'intéressée ne démontre pas que cette prestation aurait un objet autre que l'aide dont le besoin a été apprécié par les experts. Compte tenu d'un coût horaire de 13 euros et des majorations pour dimanches, jours fériés et congés payés, la créance de Mme C... présente un caractère de certitude suffisant à hauteur de la somme de 36 000 euros au titre de la période courant du 4 octobre 2014 à la date de la présente ordonnance.
10. Il résulte de l'instruction que Mme C... ne perçoit depuis le mois de mars 2017 aucune prestation ayant vocation à compenser le besoin en aide par une tierce personne. Eu égard à l'âge de l'intéressée à la date de la présente ordonnance et au coût de cette aide, évalué selon les modalités précisées au point précédent relatives au besoin quotidien, au tarif horaire et aux majorations pour dimanches, jours fériés et congés payés, il y a lieu de fixer la provision due par l'AP-HM, au titre de l'assistance par tierce personne à compter de la date de la présente ordonnance, à la somme de 100 000 euros.
11. Il résulte de ce qui a été indiqué aux points 9 et 10 qu'il y a lieu de porter à 234 500 euros le montant de la provision due par l'AP-HM et son assureur à Mme C... et de réformer en ce sens l'ordonnance attaquée du juge des référés tribunal administratif de Marseille.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HM et de la SHAM le versement à Mme C... de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
ORDONNE
Article 1er : La requête présentée par l'AP-HM et la SHAM est rejetée.
Article 2 : La provision de 98 500 euros que l'AP-HM et la SHAM ont été condamnées solidairement à verser à Mme C... par l'ordonnance du 27 septembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est portée à 234 500 euros.
Article 3 : L'ordonnance du 27 septembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est réformée en ce qu'elle de contraire à la présente ordonnance.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par Mme C... par la voie de l'appel incident est rejeté.
Article 5 : L'AP-HM et la SHAM verseront solidairement à Mme C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, à la Société hospitalière d'assurances mutuelles, à Mme B...C..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Var et à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.
Fait à Marseille, le 11 mars 2019.
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N°18MA04459