Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SCI Le Régent a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune de Bastia à lui verser la somme de 429 309,58 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite des inondations survenues les 4 et 5 novembre 2011.
Par un jugement n° 1401012 du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Bastia a condamné la commune de Bastia à verser la somme de 46 344,18 euros à la SCI Le Régent.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 novembre 2016 et le 29 mai 2017, la SCI Le Régent, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement du 4 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Bastia a limité à la somme de 46 344,18 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune de Bastia en réparation du préjudice qu'elle a subi ;
2°) de porter le montant de l'indemnité due, à titre principal, à la somme de 581 618 euros ou, à titre subsidiaire, aux sommes de 429 309,58 euros et de 33 725,48 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2014 et la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Bastia une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune est responsable même sans faute des dommages causés par le réseau public d'évacuation des eaux pluviales ;
- l'affleurement schisteux et les aménagements réalisés dans les parties communes sont sans lien de causalité avec les dommages ;
- l'aménagement, dont l'auteur n'est au demeurant pas déterminé, d'un rehaussement à l'entrée des garages, ne présente pas de caractère fautif et ne peut lui être imputé ;
- la commune est seule responsable du défaut d'étanchéité de la terrasse ;
- la circonstance que des actions aient été engagées devant l'autorité judiciaire est sans incidence sur l'obligation qu'a la commune de réparer les dommages qui lui sont imputables ;
- la part de responsabilité de la commune ne peut être inférieure à 80 % ;
- son préjudice matériel correspond au coût des travaux de remise en état des locaux ;
- elle subit une perte de loyers au titre des différents locaux loués ;
- elle supporte les frais financiers de l'emprunt contracté pour l'achat des murs et pour la transformation de surfaces en locaux commerciaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2017, la commune de Bastia demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- à titre principal,
- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 4 octobre 2016 ;
- de rejeter la demande de la SCI Le Régent ;
- à titre subsidiaire,
- de réformer le jugement du 4 octobre 2016 en tant que le tribunal administratif de Bastia l'a condamnée à verser la somme de 46 344,18 euros ;
- de ramener à la somme de 13 867,27 euros hors taxes, sous déduction de l'indemnité d'assurance, le montant de l'indemnité due ;
3°) de mettre à la charge de la SCI Le Régent une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la SCI ne justifie pas avoir fait jouer les garanties d'assurance prévues par le contrat de bail ;
- le dommage est exclusivement imputable à l'état et à la situation de l'immeuble ;
- l'exhaussement de la dalle, l'absence de toute étanchéité et le défaut d'entretien de l'immeuble constituent des fautes de la victime ;
- l'évaluation des dommages aux appareils électriques doit tenir compte de leur vétusté ;
- la SCI ne peut prétendre à une indemnité au titre de l'ignifugation des fauteuils et des revêtements des sols et des murs, ces biens appartenant à la commune ;
- la SCI n'a subi aucun préjudice, tenant à la remise en état des peintures et plafonds, directement lié aux inondations au titre des locaux soumis à la délégation de service public ;
- il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire de connaître du différend relatif aux travaux de remise en état des locaux qui font l'objet d'un bail commercial ;
- les pertes de loyer ne sont pas justifiées ;
- la SCI, qui a bénéficié de l'indemnité contractuelle pour résiliation anticipée du contrat de bail, ne peut lui réclamer aucune autre indemnité au titre des pertes de loyers et des frais financiers ;
- la SCI ne justifie pas de la durée de la période d'indisponibilité de son bien, liée à la remise en état de ce dernier.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires en appel en tant qu'elles excèdent la demande de première instance.
Par un mémoire, enregistré le 15 juin 2017, la SCI Le Régent a présenté des observations en réponse à cette mesure d'information.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vanhullebus, président-rapporteur,
- et les conclusions de M. Argoud, rapporteur public.
1. La SCI Le Régent est propriétaire du lot n° 12, pour partie à usage de cinéma, de l'ensemble immobilier, soumis au statut de la copropriété, situé rues Favalelli, Saint François et César Campinchi à Bastia. La SCI a, par un bail à loyer du 3 août 2011, loué à la commune de Bastia la partie de ce lot composée de trois salles de cinéma et des locaux nécessaires à leur exploitation. Le hall du rez-de-chaussée a été donné en location, par bail commercial du 5 septembre 2011, à la SARL SIEC Le Régent, laquelle avait été chargée, par la commune, de l'exploitation du cinéma et de la réalisation de travaux, par une convention de délégation de service public, conclue le 10 août 2011, pour une durée de sept années. A la suite de l'inondation, consécutive à l'épisode pluvieux des 4 et 5 novembre 2011, du lot appartenant à la SCI, le conseil municipal de Bastia a, par délibération du 28 février 2012, prise à la demande de la SARL SIEC Le Régent, décidé de mettre fin, avec effet au 1er avril 2012, à la convention du 10 août 2011. La commune, se prévalant de la défaillance du délégataire, a également résilié, à compter du 5 septembre 2012, le bail à loyer qu'elle avait conclu avec la SCI Le Régent. Cette société, qui avait demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune à lui verser la somme de 429 309,58 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite des inondations survenues les 4 et 5 novembre 2011, fait appel du jugement du 4 octobre 2016 en tant qu'il a limité l'indemnisation à la somme de 46 344,18 euros. La commune de Bastia conclut à l'annulation de ce jugement et au rejet de la demande présentée à son encontre.
2. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages, qui doivent revêtir un caractère anormal et spécial pour ouvrir droit à réparation, résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure.
3. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Bastia, que l'inondation du lot appartenant à la SCI Le Régent est consécutive au fonctionnement défectueux du réseau communal d'évacuation des eaux pluviales, à l'égard duquel la SCI a la qualité de tiers, les eaux de ruissellement n'ayant pas été évacuées par les avaloirs bordant ou traversant les voies publiques situées en amont de la copropriété.
4. La commune ne peut utilement se prévaloir de ce que l'expert a relevé que le rehaussement de la dalle au niveau de l'entrée principale des garages de la copropriété, en empêchant les eaux de pluie qui s'y étaient dirigées d'en ressortir et en favorisant leur infiltration dans le cinéma situé au niveau inférieur, a contribué à l'inondation du lot appartenant à la société requérante, dès lors que cet aménagement, qui concerne une partie commune de la copropriété, n'est pas imputable à la SCI Le Régent. Le défaut d'étanchéité de la terrasse d'entrée de l'immeuble " Le Régent ", donnant sur les escaliers nord du théâtre, et l'adossement de cet immeuble à des roches en schiste n'ayant fait l'objet d'aucun traitement d'étanchéisation ou de coffrage, s'ils ont permis aux eaux de ruissellement de s'infiltrer dans les parties privatives dont la société requérante est propriétaire, ne lui sont pas davantage imputables. L'ensemble de ces circonstances ne caractérisent dès lors pas une faute de la victime de nature à exonérer la commune de tout ou partie de sa responsabilité.
5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que la partie du lot dont la SCI Le Régent est propriétaire et qui n'est pas comprise dans le champ de la délégation de service public, a subi, en raison du fonctionnement défectueux de l'ouvrage public communal, des désordres dont les travaux de remise en état doivent être évalués, après abattement pour vétusté, à la somme de 68 165 euros TTC. Le coût des travaux de remise en état des locaux du lot n° 12 qui étaient compris dans le champ de la délégation de service public s'élève à la somme de 43 543,12 euros TTC.
6. Les fauteuils et les revêtements muraux et de sol des trois salles du cinéma, ainsi que leurs plafonds constituent des éléments indissociables du fonds de commerce que la SARL " Le Régent " a cédé le 3 août 2011 à la commune, qui en a délégué l'exploitation à la SARL SIEC Le Régent. La société requérante ne justifie pas supporter personnellement et de manière certaine, en sa seule qualité de propriétaire du lot, le préjudice résultant de la nécessité, pour permettre l'exploitation du cinéma, de procéder à l'ignifugation des fauteuils, revêtements et plafonds dont la protection contre le feu a été altérée par les eaux de ruissellement et d'infiltration. Elle n'est dès lors pas fondée à réclamer la somme de 20 939 euros à ce titre.
7. Il résulte de l'instruction que les installations électriques du lot dont la SCI Le Régent est propriétaire ont été endommagées par les infiltrations d'eau. Le coût de la remise en état de ces équipements de la partie non comprise dans la délégation de service public, comprenant les armoires électriques générales, l'éclairage de l'entrée principale et de l'ancienne salle de cinéma et de son couloir est évalué à la somme de 18 603 euros TTC, après prise en compte de la vétusté de l'installation électrique de la salle de cinéma désaffectée du rez-de-chaussée. La société requérante justifie subir, en sa qualité de propriétaire des murs, le préjudice, d'un montant de 2 759,40 euros TTC, lié à la remise en état de l'armoire électrique de la cabine de projection de la salle de cinéma n° 1, comprise dans le périmètre des locaux à usage de cinéma dont l'exploitation avait été déléguée par la commune à la SARL SIEC Le Régent.
8. Il résulte de ce qui a été indiqué aux points 5 à 7 que la somme mise à la charge de la commune de Bastia au titre des préjudices matériels subis par la SCI s'élève à 133 070,47 euros TTC.
9. Par une décision du 6 mars 2012, prise en application des stipulations du bail conclu avec la SCI, le maire de la commune de Bastia a résilié celui-ci, avec effet au 5 septembre 2012, pour défaillance du délégataire de la mission de service public auquel l'exploitation du cinéma avait été confiée par délibération du conseil municipal du 27 juillet 2011. La circonstance que la défaillance de la SARL SIEC Le Régent, qui a conduit la commune à résilier la convention de délégation de service public par une délibération du 28 février 2012, soit consécutive notamment à l'inondation des 4 et 5 novembre 2011, ne permet pas d'établir l'existence d'un lien de causalité direct entre le dommage de travaux publics dont elle a été victime et l'absence de perception de loyers par la SCI Le Régent au titre de la période postérieure à la date d'effet de la résiliation du bail.
10. La SCI Le Régent demande la réparation du préjudice résultant de la perte de loyers consécutive à l'indisponibilité, du fait des dégâts occasionnés par l'inondation, des deux locaux, d'une surface de 150 m² environ chacun, qu'elle avait donnés en location, l'un à Mme C..., pour l'exercice d'une activité de " traiteur à emporter ou sur place, vente de pains, viennoiseries, pizza ", et l'autre à M. A..., pour l'exploitation d'un débit de boissons. Ces baux, qui prennent tous deux effet à la date du 15 novembre 2011, s'ils portent en dernière page une mention manuscrite indiquant qu'ils ont été établis respectivement le 31 août 2011 et le 8 septembre 2011, soit antérieurement au sinistre survenu les 4 et 5 novembre 2011, précisent toutefois en page 2 " que le preneur s'oblige à payer [un " pas de porte d'entrée "] au bailleur ou à son mandataire, à la signature, le : 15 novembre 2011 ". La société requérante, qui ne démontre pas de manière certaine que les deux baux commerciaux ont été conclus avant que son bien immobilier ne soit inondé, ne justifie pas, par ces seuls éléments, de la perte de loyers dont elle prétend avoir été victime.
11. La société requérante a souscrit, le 20 juillet 2009, un emprunt dont la seconde tranche, d'un montant de 320 050 euros, correspond au coût des travaux de transformation en locaux commerciaux de la partie du rez-de-chaussée qui n'était pas comprise dans la convention de délégation de service public. Elle demande à être indemnisée des frais financiers, d'un montant de 977 euros par mois, qu'elle a supportés, du 7 avril 2012 au 1er octobre 2014, faute pour elle d'avoir pu mobiliser le prêt qui lui avait été consenti, en alléguant avoir été dans l'impossibilité de faire exécuter les travaux prévus avant que ne soient réalisés ceux de remise en état de l'autre partie du lot lui appartenant qui, affectée à l'exploitation du cinéma, a été endommagée par l'inondation des 4 et 5 novembre 2011. S'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que l'organisme prêteur a accepté de proroger de cinq mois la date de versement de la seconde tranche, soit jusqu'au 7 septembre 2012, la SCI Le Régent n'établit pas que le fonctionnement défectueux du réseau d'évacuation des eaux pluviales l'a empêchée d'entreprendre les travaux de transformation de la partie du rez-de-chaussée non concernée par la délégation de service public et de faire débloquer la tranche d'emprunt destinée à les financer.
12. Il résulte de l'instruction que l'assureur de la société requérante n'a pas indemnisé celle-ci des dommages dont la réparation est mise à la charge de la commune par le présent arrêt.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Le Régent est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné la commune de Bastia à ne lui allouer que la somme de 46 344,18 euros. Il convient de porter cette somme à 133 070,47 euros TTC. La commune de Bastia n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif l'a condamnée à verser à la société requérante une indemnité en réparation des préjudices que celle-ci a subis.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCI Le Régent, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune de Bastia et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Bastia le versement à la SCI Le Régent d'une somme de 2 000 euros à ce même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 46 344,18 euros que la commune de Bastia a été condamnée à verser à la SCI Le Régent par le jugement du 4 octobre 2016 est portée à 133 070,47 euros TTC.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SCI Le Régent et les conclusions de la commune de Bastia présentées par la voie de l'appel incident et en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La commune de Bastia versera à la SCI Le Régent la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Le Régent et à la commune de Bastia.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2019, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président-rapporteur,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,
- M. Merenne, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 mars 2019.
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N° 16MA04258