Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... F... épouse J... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault à lui verser la somme globale de 30 000 euros au titre des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait, d'une part, de la décision du 2 mai 2014 par laquelle le président du conseil départemental a suspendu son agrément en qualité d'assistante maternelle et, d'autre part, du signalement effectué à l'encontre de son époux pour des faits d'agression sexuelle sur mineur.
Par un jugement no 1606165 du 23 janvier 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 février 2018, Mme A... F..., représentée par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner le département de l'Hérault à lui verser la somme globale de 30 000 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge du département, outre les entiers dépens de l'instance, la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'intérêt supérieur de la mineure alors placée sous sa garde n'empêchait pas le département de diligenter une enquête, avant toute décision, afin de s'assurer de la réalité des déclarations de cette enfant ; notamment, aucun avis médical n'a été recueilli ;
- le procureur de la République a estimé que l'infraction n'était pas suffisamment caractérisée et la jeune D... a reconnu avoir fait de fausses déclarations ;
- le département a signalé au procureur de la République des " mauvais traitements et violences sur mineur " sans préciser qu'il s'agissait d'attouchements ;
- elle n'a jamais fait l'objet de poursuites ou de signalements depuis qu'elle exerce la profession d'assistante maternelle ;
- la commission administrative paritaire a émis un avis défavorable au retrait de son agrément.
Par un mémoire en défense, enregistré 10 septembre 2019, le département de l'Hérault, représenté par Me H... et Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme F... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Les parties ont été informées le 31 octobre 2019, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la responsabilité sans faute du département de l'Hérault pourrait être engagée, sur le fondement la rupture d'égalité devant les charges publiques, à raison du préjudice anormal et spécial subi par Mme F....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles,
- le code de procédure pénale,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant le département de l'Hérault.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 2 mai 2014, le président du conseil départemental de l'Hérault a suspendu pour une durée de quatre mois l'agrément de Mme A... F..., assistante familiale, après avoir été informé des déclarations de la jeune D..., accueillie par celle-ci depuis l'année 2004, sur les faits d'agression sexuelle qu'elle soutenait avoir subis de la part de l'époux de Mme F.... La mesure de suspension a été levée, après classement sans suite du signalement adressé, le 22 avril 2014, par le département au procureur de la République. Mme F... relève appel du jugement du 23 janvier 2018 par lequel le tribunal a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de l'Hérault à lui verser une somme globale s'élevant, dans le dernier état de ses écritures, à 30 000 euros, au titre des préjudices moraux qu'elle estimait avoir subis du fait, d'une part, de la décision de suspension de son agrément et, d'autre part, du signalement adressé au procureur de la République.
Sur la mise en cause de la responsabilité du département fondée sur la mesure de suspension :
2. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. (...) L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. (...) ". L'article L. 421-6 du même code prévoit que : " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil départemental peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié (...) ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code, applicable aux assistants employés par une personne publique en vertu de l'article L. 422-1 : " En cas de suspension de l'agrément, l'assistant maternel ou l'assistant familial relevant de la présente section est suspendu de ses fonctions par l'employeur pendant une période qui ne peut excéder quatre mois. Durant cette période, l'assistant maternel ou l'assistant familial bénéficie d'une indemnité compensatrice qui ne peut être inférieure à un montant minimal fixé par décret. (...) / L'assistant maternel ou l'assistant familial suspendu de ses fonctions bénéficie, à sa demande, d'un accompagnement psychologique mis à sa disposition par son employeur pendant le temps de la suspension de ses fonctions ". L'article D. 423-3 du même code dispose que : " En cas de suspension de leur fonction en application de l'article L. 423-8 : / 1° L'assistant maternel perçoit une indemnité dont le montant mensuel ne peut être inférieur à 33 fois le montant du salaire minimum de croissance par mois ; / 2° L'assistant familial perçoit une indemnité compensatrice qui ne peut être inférieure, par mois, au montant minimum de la part correspondant à la fonction globale d'accueil définie au 1° de l'article D. 423-23 ".
3. Il résulte de l'instruction que, le 18 avril 2014, l'une des mineures accueillies par Mme F..., prénommée D..., alors âgée de 14 ans, a confié à l'assistante maternelle qui l'accueillait ce jour-là être régulièrement victime de gestes déplacés de la part de l'époux de Mme F.... Le lendemain, en présence d'éducatrices spécialisées, elle a décrit avec précision plusieurs faits d'attouchement commis par ce dernier, avant d'être entendue par la police judiciaire, accompagnée de son éducatrice référente. Quand bien même le procureur de la République a ultérieurement classé sans suite la procédure ouverte à l'encontre de l'époux de Mme F... au motif que l'infraction était " insuffisamment caractérisée ", le département de l'Hérault ne peut être regardé comme ayant commis une faute, en décidant, à titre conservatoire et dans l'urgence, sur le seul fondement de déclarations précises et concordantes, recueillies à trois reprises et en présence d'interlocuteurs spécialisés dans la protection des mineurs, d'une mineure de 14 ans, de suspendre l'agrément de Mme F..., dans les conditions prévues par les articles précités du code de l'action sociale et des familles.
4. Eu égard au caractère temporaire et conservatoire de la mesure de suspension et aux garanties qui y sont attachées aux termes des articles L. 423-8 et D. 423-3 du code de l'action sociale et des familles, une telle mesure n'apparaît pas, en principe, de nature à provoquer, pour l'assistant maternel ou familial qui en est l'objet, un préjudice anormal et spécial susceptible d'engager la responsabilité sans faute du département, quand bien même les suspicions qui l'ont légalement justifiée s'avéreraient infondées.
5. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions indemnitaires tendant à la réparation des préjudices moraux qu'elle estime imputables à la décision du 2 mai 2014 par laquelle le président du conseil départemental a suspendu son agrément en qualité d'assistante maternelle.
Sur la mise en cause de la responsabilité du département fondée sur le signalement :
6. Aux termes du second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale : " Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ".
7. Sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative. En revanche, celle-ci ne saurait, en principe, connaître de demandes tendant à la réparation d'éventuelles conséquences dommageables de l'acte par lequel une autorité administrative, un officier public ou un fonctionnaire avise, en application des dispositions précitées de l'article 40 du code de procédure pénale, le procureur de la République, dès lors que l'appréciation de cet avis n'est pas dissociable de celle que peut porter l'autorité judiciaire sur l'acte de poursuite ultérieur.
8. Ainsi, l'irrégularité du jugement attaqué en tant qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires de Mme F... tendant à la réparation des préjudices moraux qu'elle estime imputables au signalement adressé, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, par le département au procureur de la République, est susceptible d'être relevée d'office par la cour.
9. Toutefois, il y a lieu, avant d'examiner ce moyen d'ordre public, d'inviter les parties, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, à présenter leurs observations.
D E C I D E :
Article 1er : Les conclusions indemnitaires de Mme F... tendant à la réparation des préjudices moraux qu'elle estime imputables à la décision du 2 mai 2014 par laquelle le président du conseil départemental a suspendu son agrément en qualité d'assistante maternelle sont rejetées.
Article 2 : Il est ordonné, avant dire droit, un supplément d'instruction à l'effet d'inviter les parties à produire dans un délai de quinze jours, à compter de la notification du présent arrêt, leurs observations sur le moyen d'ordre public tiré de l'irrégularité du jugement no 1606165 du 23 janvier 2018 du tribunal administratif de Montpellier, en tant qu'il se prononce sur les conclusions indemnitaires de Mme F... tendant à la réparation des préjudices moraux qu'elle estime imputables au signalement adressé par le département au procureur de la République.
Article 3 : Tous droits, conclusions et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département de l'Hérault et à Mme A... F... épouse J....
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
Mme I..., présidente de la cour,
Mme K..., présidente assesseure,
M. C..., conseiller.
Lu en audience publique, le 9 janvier 2020.
2
N° 18MA00793