Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme H... C... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Montpellier à verser à Mme C... des sommes de 82 500 euros et de 35 750 euros, respectivement en sa qualité d'ayant-droit de sa fille défunte et en son nom propre, et à M. D..., en son nom propre, une somme de 22 500 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable d'indemnisation.
Par un jugement n° 1506423 du 5 février 2019, le tribunal administratif de Montpellier, après avoir désigné un expert avant dire droit le 7 mars 2017, a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistré le 5 avril 2019 et le 21 janvier 2020, Mme C... et M. D..., représentés par Me I..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner le CHRU de Montpellier à les indemniser des préjudices subis à raison de la prise en charge médicale de Mme C... ayant conduit, selon eux, au décès de leur enfant, en leur versant, en leur qualité d'ayant-droit, la somme de 90 000 euros au titre de la perte de chance de survie et des souffrances endurées, et en versant à Mme C... la somme totale de 52 000 euros, en réparation de son préjudice d'affection et des souffrances endurées, et à M. D... la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice d'affection ;
3°) à titre subsidiaire, de mettre ces mêmes sommes à la charge de l'Office national des infections nosocomiales, des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM) au titre de la solidarité nationale ;
4°) de mettre à la charge du CHRU de Montpellier ou de l'ONIAM, selon le cas, la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Ils soutiennent que :
- selon le docteur Rimailho, expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, le diagnostic de l'hématome rétro-placentaire qu'a présenté leur fille et qui est à l'origine de son décès aurait dû être établi dès le 14 décembre 2010, au plus tard le 17 décembre 2010, et conduire l'équipe médicale à prendre la décision d'une césarienne ;
- à titre subsidiaire, cet accident médical remplit les conditions pour être indemnisé au titre de la solidarité nationale, compte-tenu de la faible fréquence du risque d'hématome rétro-placentaire et de ses conséquences autrement plus graves que celles auxquelles était exposée la victime en l'absence d'erreur de diagnostic, laquelle doit être regardée comme un acte de soin au sens du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
- le préjudice moral de leur fille, résultant de la conscience d'une espérance de vie réduite, sera indemnisé par l'octroi d'une somme de 10 000 euros, tandis qu'il y a lieu de leur verser la somme de 80 000 euros en réparation des souffrances qu'elle a endurées ;
- les souffrances endurées par Mme C..., évaluées à 1 sur une échelle de 0 à 7, seront évaluées à la somme de 2 000 euros ;
- leur préjudice d'affection, liée à la perte de leur enfant, sera réparé par le versement des sommes de 50 000 euros et 30 000 euros, respectivement au profit de Mme C... et de M. D....
Par un mémoire en défense enregistré le 4 juin 2019, l'ONIAM, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête et ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de tout succombant sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les préjudices invoqués ne sont nullement imputables à un accident médical au sens du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, mais à une erreur de diagnostic qui ne saurait engager que la responsabilité du CHRU de Montpellier.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2020, le CHRU de Montpellier, représenté par Me F..., demande au tribunal :
1°) de rejeter la requête de Mme C... et M. D... en tant qu'elle est dirigée à son encontre ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a mis à sa charge les frais de la seconde expertise diligentée par le tribunal administratif.
Il fait valoir que :
- les avis médicaux récents remettent en cause les conclusions du docteur Rimailho et indiquent que le tableau clinique que présentait Mme C... au moment de son admission le 14 décembre 2010 était celui d'un risque d'accouchement prématuré et d'une pré-éclampsie modérée, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de pratiquer une césarienne mais simplement d'administrer un traitement tocolytique ;
- à titre subsidiaire, leurs demandes indemnitaires sont excessives ;
- en l'absence de circonstances particulières justifiant que les dépens de l'instance soient laissés à sa charge, les premiers juges auraient dû laisser les frais d'expertise à la charge de l'Etat, compte-tenu de l'admission des requérants au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault qui n'a pas produit d'observation ;
Mme C... et M. D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par décision du 21 juin 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me I..., représentant Mme C... et M. D....
Considérant ce qui suit :
1. Le 18 décembre 2010, Mme C... a accouché par césarienne au CHRU de Montpellier d'une enfant en état mort apparente, qui est décédée le 2 janvier 2011. Par ordonnance du 6 avril 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, saisi par Mme C... et M. D..., père de l'enfant défunt, a désigné un expert afin de se prononcer sur la prise en charge médicale de Mme C... au CHRU de Montpellier. Par leur requête susvisée, Mme C... et M. D... relèvent appel du jugement du 5 février 2019 par lequel le tribunal administratif, après avoir désigné un nouvel expert avant dire droit, a rejeté leur demande tendant à la condamnation du CHRU de Montpellier, ou à titre subsidiaire de l'ONIAM, à les indemniser de leurs préjudices.
Sur la responsabilité du CHRU :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ".
3. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise du docteur Rimailho et du professeur Rudigoz, que le décès de la fille des requérants résulte d'une grave ischémie cérébrale provoquée par un hématome rétro-placentaire, à l'origine d'une décompensation de toutes les fonctions vitales.
4. En premier lieu, selon le docteur Rimailho le tableau médical que présentait Mme C... lors de son arrivée au CHRU de Montpellier, évocateur d'une pré-éclampsie grave, aurait dû orienter l'équipe médicale, dès les premières heures, vers le diagnostic d'hématome rétro-placentaire et la conduire à pratiquer une césarienne au plus tard le 17 décembre 2010. Il résulte toutefois des autres pièces versées à l'instruction, en particulier du rapport d'expertise du professeur Rudigoz, que les signes cliniques de Mme C..., dont les taux de créatinine, de plaquettes sanguines, d'enzymes hépatiques et d'acides uriques étaient normaux, n'évoquaient qu'une pré-éclampsie modérée, laquelle n'est associée à un hématome rétro-placentaire que dans 1% des cas. En l'absence de tout signe de souffrance foetale visible sur les échographies réalisées lors de l'admission de la patiente, les métrorragies qu'elle présentait devaient donc davantage faire craindre une menace d'accouchement prématurée. Si l'hypothèse d'un hématome rétro-placentaire, d'ailleurs évoquée par l'équipe médicale, ne pouvait être écartée, une césarienne n'était impérieusement requise, compte-tenu du jeune âge du foetus, qu'à compter du moment où cette incertitude diagnostique pouvait être levée avec certitude, soit le 18 décembre 2010 à 8h30, lorsqu'un rythme cardiaque foetal anormal a été observé. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le CHRU de Montpellier a pu, sans commettre d'erreur de diagnostic ou d'erreur médicale, ne pratiquer une césarienne que le 18 décembre 2010 à 8h57.
5. En second lieu, c'est également à juste titre que les premiers juges, après avoir relevé que les préjudices invoqués ne résultaient d'aucun acte médical de prévention, de diagnostic ou de soins, ont estimé que les requérants ne pouvaient en solliciter la réparation au titre de la solidarité nationale.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... et M. D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes indemnitaires présentées contre le CHRU de Montpellier et l'ONIAM.
Sur les frais de l'expertise diligentée par le tribunal administratif de Montpellier :
7. En estimant que des circonstances particulières, au sens des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, justifiaient en l'espèce que les frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 5 560 euros soient mis à la charge non de l'Etat, au titre de l'aide juridictionnelle au bénéfice de laquelle ont été admis les requérants, mais du CHRU de Montpellier, qui n'avait pas la qualité de partie perdante, le tribunal administratif a fait une inexacte application de ces dispositions. Le CHRU de Montpellier est fondé, dès lors, à demander que les frais de cette expertise soient mis à la charge de l'Etat.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHRU de Montpellier ou de l'ONIAM, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement de la somme que demandent les requérants au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ces derniers le versement de la somme que sollicite l'ONIAM à ce même titre.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... et de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 5 560 euros sont mis à la charge de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Les conclusions de l'ONIAM présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... C..., à M. A... D..., au CHRU de Montpellier, à l'Office national des infections nosocomiales, des accidents médicaux et des affections iatrogènes et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Alfonsi, président,
- Mme G..., présidente-assesseure,
- M. B..., conseiller,
Lu en audience publique, le 22 juillet 2020.
N° 19MA01596 4