Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2008, 2009 et 2010.
Par un jugement n° 1606793 du 5 octobre 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Par une requête, enregistrée le 13 décembre 2018, et un mémoire en réplique, enregistré le 17 janvier 2020, M. A..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige et des pénalités y afférentes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la procédure de contrôle inopiné mise en oeuvre par le service à l'égard de la SNC Pharmacie de La Salle en application de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales a été détournée et a en réalité consisté en un commencement de la vérification de comptabilité sans que les garanties attachées à la mise en oeuvre de cette dernière procédure n'aient été respectées ; le champ du contrôle inopiné a été précisé par la réponse ministérielle E... n° 97576 du 4 avril 2017 ;
- la charge de la preuve incombe à l'administration, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal en se fondant sur les dispositions de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales ;
- c'est à tort que l'administration fiscale a écarté comme non probante sa comptabilité ;
- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaire est erronée et il propose une méthode alternative plus proche de la réalité ;
- les dispositions de l'alinéa 7 de l'article 158 du code général des impôts ne lui sont pas applicables s'agissant de bénéfices industriels et commerciaux ;
- l'administration n'apporte pas la preuve d'agissements de nature à l'égarer et par suite du bien-fondé des majorations de 80 % qui lui ont été infligées ; elle a méconnu le principe de personnalité des peines.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Courbon, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., qui exploite une officine de pharmacie à Marseille, la société en nom collectif (SNC) Pharmacie de La Salle, a fait l'objet d'un contrôle inopiné le 5 avril 2011 suivi d'une vérification de comptabilité portant sur la période comprise entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2009, prolongée en matière de taxe sur la valeur ajoutée jusqu'au 28 février 2011. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale, après avoir écarté la comptabilité de la SNC et procédé à la reconstitution des recettes omises, par proposition de rectification du 23 septembre 2011 selon la procédure contradictoire, lui a notifié des rectifications portant sur la taxe sur la valeur ajoutée due au titre de la période du 1er janvier 2008 au 28 février 2011, assorties de la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses prévue à l'article 1729 du code général des impôts. Dans le prolongement de cette vérification, l'administration fiscale, par deux propositions de rectification des 26 et 27 septembre 2011 selon la procédure contradictoire, a notifié à M. A... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2008, 2009 et 2010. Par jugement du 5 octobre 2018, le tribunal administratif de Marseille, a rejeté la demande présentée par M. A... tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2008, 2009 et 2010. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " (...) une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. / (...) En cas de contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de l'exploitation ou de l'existence et de l'état des documents comptables, l'avis de vérification de comptabilité est remis au début des opérations de constatations matérielles. L'examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil. ".
3. M. A... soutient que la vérification de comptabilité de la pharmacie a débuté lors du contrôle inopiné, le privant ainsi de la possibilité de se faire assister par un conseil. Il fait valoir que les inspecteurs ont effectué des recherches de fichier dans l'historique des commandes afin de vérifier si le fichier " a futil.d " avait été effacé. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des mentions du compte rendu d'intervention relatant les constatations matérielles effectuées le 5 avril 2011 dans le cadre de la procédure de contrôle inopiné, lequel a été contresigné par M. A..., gérant de la société, que l'administration fiscale s'est bornée à relever l'absence de commande d'effacement du fichier " a futil.d " dans l'historique des dernières commandes passées et que cette opération, qui ne constitue pas un traitement informatique, n'a eu ni pour objet ni pour effet de permettre au service de procéder à l'analyse critique du fichier en cause. Ainsi, la vérification de comptabilité ne peut être regardée comme ayant débuté le 5 avril 2011. Dès lors, le moyen tiré de ce que la procédure d'imposition suivie aurait été viciée en ce que les opérations effectuées par le vérificateur ont excédé ce qu'il lui était permis d'accomplir dans le cadre d'un contrôle inopiné et ont ainsi constitué le début d'une vérification de comptabilité, doit être écarté.
4. En second lieu, à supposer même que M. A... ait entendu invoquer l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, il ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir des énonciations de la réponse ministérielle à M. E... publiée au Journal Officiel de l'Assemblée nationale du 4 avril 2017 n° 97576, qui sont exclues du champ d'application de cet article dès lors qu'elles se rapportent à la procédure d'imposition et qui sont, en tout état de cause, postérieures aux impositions en litige.
Sur le bien-fondé des impositions :
5. Pour regarder comme irrégulière et non probante la comptabilité de la SNC Pharmacie de La Salle au titre de la période vérifiée, l'administration fiscale fait valoir que cette société a obtenu le 29 mai 2007, à la suite d'une demande formulée en ce sens, le mot de passe nécessaire pour activer sur le logiciel Alliance + qu'elle utilise une fonctionnalité permettant d'altérer la fiabilité et l'exhaustivité des informations reprises dans les écritures comptables et se prévaut de l'importance du nombre des ruptures constatées dans la numérotation séquentielle des données de facturation et de règlement, corroborées par des discordances significatives entre les quantités facturées et l'historique des produits.
6. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a pris connaissance de pièces d'une procédure pénale dans l'exercice de son droit de communication, se rapportant à une autre officine de pharmacie et comportant notamment un rapport d'expert précisant que le logiciel de gestion Alliance + " dispose de fonctionnalités permettant à l'utilisateur de supprimer de l'historique de la caisse en cours un certain nombre d'opérations. L'accès à cette fonction est subordonné à la saisie d'un mot de passe dans un écran accessible après un laborieux parcours dans les menus et sous-menus de l'application. Il en résulte la suppression pure et simple des sommes correspondantes de la caisse en cours. Les opérations étant affectées par un numéro chronologique, aucun traitement n'est opéré pour rétablir une suite incrémentielle correcte dans ces données et le déroulement du détail de chaque vente laisse apparaître des interruptions dans cette suite de numéros. (...) Une fonction a été prévue pour permettre à l'utilisateur de lister les données qu'il a ainsi " traitées ". Elle s'appuie sur un fichier qualifié de " mouchard ", totalement intégré au programme (...). A notre sens, il en résulte que les fonctionnalités " traitement écritures règlements " et " traitement écritures factures " disponibles nativement dans le logiciel Alliance + ne peuvent avoir pour finalité que de permettre à l'exploitant de faire disparaître une partie des recettes en espèces de l'officine. Les précautions nécessaires ont été prises par le programmeur pour que ces traitements ne puissent pas concerner des opérations commerciales engageant des tiers et ne perturbent pas les fonctions automatisées de gestion des stocks de marchandise. Une commande système simple, non intégrée au programme, permet de faire disparaître toute trace de ces manipulations par la suppression totale du fichier qui en tient la liste (...) ". Ce rapport indiquait également que les encaissements supprimés ne peuvent porter que sur des paiements en espèces hors " tiers payant ", le logiciel empêchant la suppression des encaissements par chèque, par carte bancaire ou avec " tiers payant ". Enfin, les pièces de procédure pénale communiquées comportaient la liste, saisie par l'autorité judiciaire, des pharmacies ayant sollicité le mot de passe permettant d'accéder à la commande de suppression des opérations de caisse correspondant à certaines ventes payées en espèces.
7. Il résulte également de l'instruction que la SNC Pharmacie de La Salle a obtenu, le 29 mai 2007, le mot de passe permettant de supprimer certains paiements en espèces de l'historique de la caisse. L'analyse des résultats obtenus par l'administration fiscale après traitements informatiques a mis en évidence des ruptures de séquence dans la numérotation des factures à hauteur de 6 590 factures manquantes pour l'exercice clos en 2008, 5 112 pour l'exercice clos en 2009, 5 700 pour l'exercice clos en 2010 ainsi que 834 pour la période courant du 1er avril 2010 au 31 janvier 2011. En outre, lors des opérations de contrôle, l'administration a constaté l'absence du fichier " a futil.d " qui aurait permis de consulter la trace des interventions effectuées et fait valoir, sans être contredite, que ce fichier peut être supprimé par l'utilisateur au moyen d'une commande dont la mise en oeuvre peut à son tour être effacée de l'historique des commandes saisies. Enfin, le service a relevé des discordances significatives entre les quantités vendues selon le journal des ventes et les quantités vendues selon l'historique des produits (2 463 références produits pour l'exercice clos en 2008, 2 572 références produits pour l'exercice clos en 2009, 2 619 références produits pour l'exercice clos en 2010 et 1 182 références produits pour l'exercice clos en 2011). Dans ces conditions, eu égard aux nombreuses omissions et anomalies affectant la comptabilité, l'administration fiscale a pu, à bon droit, regarder celle-ci comme non probante et procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de l'officine de pharmacie.
En ce qui concerne la reconstitution des recettes de la société :
8. Pour reconstituer les recettes, le vérificateur a utilisé deux méthodes, dont il a fait la moyenne des résultats, la première s'appuyant sur une valorisation du montant des factures supprimées à partir d'un " ticket moyen ", en multipliant le nombre de règlements manquants par le montant du ticket moyen tiers payant tout mode de règlement confondu, et la seconde sur une valorisation des écarts entre les quantités facturées et les quantités déstockées.
9. Concernant la première méthode, si M. A... fait valoir que le nombre de tickets manquants retenus n'est pas pertinent en l'absence du fichier " a futil.d " ou de traces d'effacement de ce fichier, il ne justifie aucunement qu'un nombre inférieur de tickets devrait être retenu. S'il soutient également qu'il y avait lieu de retenir un ticket moyen espèces et " hors ordonnances " lors des journées sans rupture de séquence de numérotation, il ne fournit aucun élément de nature à apprécier le montant des recettes qu'il conviendrait de retenir. Ainsi, il n'apparaît pas que la première méthode de reconstitution retenue par l'administration serait sommaire ou radicalement viciée dans son principe. En outre, M. A... ne conteste pas la seconde méthode de reconstitution retenue par le service et dont les résultats sont concordants avec ceux procédant de la première méthode. Enfin, il n'établit pas que la méthode alternative qu'il propose serait plus proche de la réalité que celles retenues par l'administration fiscale.
En ce qui concerne la majoration de 1,25 prévue par les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts :
10. Aux termes du 7° de l'article 158 du code général des impôts dans sa rédaction applicable, issue de l'article 76 de la loi de finances n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 pour 2006 : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s'appliquent : 1° Aux titulaires de revenus passibles de l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d'imposition qui ne sont pas adhérents d'un centre de gestion ou association agréé défini aux articles 1649 quater C à 1649 quater H, à l'exclusion des membres d'un groupement ou d'une société mentionnés aux articles 8 à 8 quinquies et des conjoints exploitants agricoles de fonds séparés ou associés d'une même société ou groupement adhérant à l'un de ces organismes (...). ".
11. Il résulte de ces dispositions, qui sont applicables aux revenus en litige, que pour les contribuables exerçant leur activité dans le cadre d'un groupement ou d'une société visés aux articles 8 à 8 quater du code général des impôts, seule l'adhésion à un centre de gestion agréé de ce groupement ou de cette société, quelle que soit la forme de celle-ci, dès lors qu'elle figure au nombre des sociétés visées par les articles 8 à 8 quater du code général des impôts, est susceptible de les exonérer de la majoration de 1,25 prévue par les dispositions précitées. M. A... soutient qu'il était adhérent d'un centre de gestion agrée au titre des années d'imposition en litige et verse notamment, pour en justifier, une copie de ses déclarations fiscales mentionnant un numéro d'agrément du centre de gestion concerné. Ces pièces ne sont pas contredites par l'administration. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour déterminer le montant des impositions en litige, l'administration fiscale a appliqué le coefficient de 1,25 prévu par les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts à la base imposable retenue au titre des années 2008, 2009 et 2010. Il y a lieu, par suite, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions ayant résulté de cette majoration en base.
Sur les pénalités :
12. L'article 1729 du code général des impôts dispose que : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (...) ". L'article L. 195 A du livre des procédures fiscales précise que : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaire, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration ".
13. Il résulte de l'instruction que la SNC Pharmacie de La Salle est intervenue à plusieurs reprises dans le logiciel " Alliance + " aux fins de faire disparaître des recettes d'exploitation, après s'être fait communiquer, ainsi qu'il a été dit au point 7, le mot de passe nécessaire à cette fin. La volonté du contribuable, gérant de la SNC Pharmacie de La Salle, d'éluder l'impôt, par la mise en oeuvre de ce procédé permettant de donner à la comptabilité l'apparence de la sincérité malgré un nombre très important de manipulations, établit l'existence de procédés destinés à égarer l'administration ou rendre plus difficile le contrôle, et donc de manoeuvres frauduleuses au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts. Dès lors, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve d'un manquement délibéré de M. A.... En outre, elle ne méconnaît nullement le principe de personnalité des peines, dès lors que c'est bien le comportement personnel du contribuable qui a justifié l'application des pénalités en cause.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2008, 2009 et 2010 ayant résulté de la majoration en base de 25 % prévue au 7 de l'article 158 du code général des impôts.
15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La base d'imposition des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à la charge de M. A... au titre des années 2008, 2009 et 2010 est réduite du montant correspondant à la majoration de 25 % prévue au 7 de l'article 158 du code général des impôts.
Article 2 : M. A... est déchargé, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2008, 2009 et 2010, en conséquence de la réduction en base prononcée à l'article 1er.
Article 3 : Le jugement n° 1606793 du tribunal administratif de Marseille du 5 octobre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2020, où siégeaient :
- M. Lascar, président,
- Mme D..., présidente assesseure,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 novembre 2020.
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N° 18MA05261