VU la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe de la Cour le 23 juillet et le 2 août 1991, présentés pour Monsieur et Madame Z..., demeurant ... (Manche), par Maître Y..., avocat au Barreau de PARIS ;
M. et Mme Z... demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 mai 1991 du Tribunal administratif de CAEN en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etat soit déclaré responsable du préjudice résultant du décès en mer de leur fils et condamné au paiement d'indemnités à raison de fautes lourdes qui auraient été commises par le CROSS JOBOURG ;
2°) de dire que l'Etat est responsable du décès de Mathieu Z... et de leur allouer la somme de 50 000 F. pour chacun en réparation de leur préjudice moral et la somme de 8 206,23 F. en réparation des frais funéraires, avec intérêts depuis l'introduction de la requête ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 février 1993 :
- le rapport de M. ISAIA, conseiller,
- les observations de Maître A... se substituant à Maître CECCARRELI, avocat de M. et Mme Z...,
- et les conclusions de M. CHAMARD, commissaire du gouvernement,
Considérant que le 3 juillet 1985, à 16 heures, heure légale, Mathieu Z... et Franck B..., respectivement âgés de 19 et 22 ans, ont quitté le port du Becquet à bord d'un bateau à voile de six mètres, dénommé "Thalassa", en vue de rallier l'anse du Brick, située à 2,4 milles à l'est, puis de revenir au Becquet ; que, constatant vers 20 heures que le bateau n'était pas retourné au port, M. Bruno Z..., père de Mathieu Z..., après avoir lui-même effectué des recherches le long de la côte, a informé par téléphone, vers 21 heures, les sémaphores du Homet et du X... Levy de cette circonstance, à 21 h. 36 le CROSS Jobourg, puis renouvelé son appel à ce dernier vers 22 heures ; que les recherches maritimes ont commencé le 4 juillet à 0 h. 30 et se sont poursuivies sans succès ; que le bateau "Thalassa" a été découvert vide de ses occupants par un navire de pêche en début de matinée ; que les corps de Mathieu Z... et de Franck B... ont été retrouvés dans la journée du 5 juillet 1985 ;
Considérant que M. et Mme Z... demandent à la Cour de déclarer l'Etat responsable du préjudice résultant du décès de leur fils et de le condamner au paiement d'indemnités, à raison des fautes lourdes qui auraient été commises par le CROSS Jobourg et résultant de la mise en oeuvre tardive des moyens de sauvetage et de l'insuffisance de formation de l'officier de permanence chargé d'organiser les secours ;
Considérant que si l'Etat a l'obligation de prendre les mesures appropriées en vue d'assurer la sauvegarde de la vie des personnes qui sont en péril en mer, sa responsabilité ne peut être engagée à ce titre, en considération des moyens dont il dispose et compte tenu des difficultés et des aléas de son intervention, qu'en cas de faute lourde ;
Considérant que, si les requérants soutiennent que le CROSS Jobourg n'a fait appareiller la vedette "La Coriandre" que le 4 juillet à 0 h. 04, alors que les recherches auraient dû commencer la veille au soir à 21 h. 30 ou au plus tard à 22 h., lors du second appel téléphonique de M. Z..., il résulte de l'instruction que le CROSS Jobourg avait été informé à 22 h. 05 par le sémaphore du Homet qu'un bateau pouvant être celui des jeunes gens avait été repéré se dirigeant vers la côte à la rame ; que cet événement, qui intervenait au cours d'une phase d'incertitude pendant laquelle rien n'indiquait que le bateau recherché ait été en situation de détresse, était de nature à différer au moins momentanément l'ordre d'appareillage de la vedette de sauvetage ; qu'à la suite de l'appel téléphonique de M. Z... intervenu à 23 h. 44, l'officier de permanence, après avoir informé le sémaphore du Homet que le bateau qui avait été repéré n'était pas le "Thalassa", a donné à 0 h. 05 l'ordre d'appareiller à la vedette "La Coriandre", qui a pris effectivement la mer à 0 h. 30, a fait dérouter à 0 h. 06 le patrouilleur de la gendarmerie "Géranium" afin qu'il participe aux recherches et a demandé la mise en alerte de l'hélicoptère de secours ; qu'ainsi, les mesures prises par l'officier de permanence à partir de 23 h. 44 ont été décidées au moment où elles s'avéraient nécessaires et n'ont pas eu un caractère tardif ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le service de sauvetage n'était pas tenu de vérifier par lui-même si le bateau qui se dirigeait vers la côte et qui avait été décrit comme correspondant au bateau recherché était effectivement celui-ci ; que le délai qui s'est écoulé entre l'ordre d'appareiller et la mise en route effective du bateau de sauvetage ne saurait être considéré comme anormal au regard des dispositions à prendre pour rendre opérationnels un navire et son équipage pour une patrouille de nuit, même préalablement mis en état d'alerte ; qu'il ne saurait être reproché à l'officier de permanence de ne pas avoir fait décoller l'hélicoptère dès lors qu'il faisait déjà nuit au moment où la mise en oeuvre des secours s'est imposée ; que les recherches menées en mer par la vedette "La Coriandre" et le patrouilleur "Géranium", et sur terre par la gendarmerie se sont poursuivies toute la nuit ; qu'il résulte du compte rendu d'opérations de la société Héli Services que si le CROSS Jobourg a demandé la mise en alerte de l'appareil à 0 h. 30 et donné l'ordre de décollage à 6 heures, soit exactement au moment du lever du soleil, l'hélicoptère appartenant à ladite société n'a effectivement pris l'air qu'à 7 h. 55 ; que, toutefois, le pilote de cet appareil n'est pas parvenu à repérer l'embarcation recherchée ; qu'il est constant que compte tenu de la température de l'eau de mer, la durée de survie des passagers du "Thalassa" en cas de chavirage du bateau ne dépassait pas quatre à cinq heures ; qu'en outre, selon le rapport du médecin légiste, dont aucune pièce du dossier ne permet de mettre en doute les constatations, le décès des deux jeunes gens est survenu le 3 juillet entre 18 heures et 23 heures ; que par suite, l'existence d'un lien direct de cause à effet entre le décès de Mathieu Z... et le décollage tardif de l'hélicoptère n'est pas établie ; que si l'instruction permanente n° 12 du Préfet Maritime de la première région maritime, dispose, dans son édition de 1982, que "selon le type d'événement et la phase d'urgence les actions initiales à mener
doivent être rapides et exhaustives", il appartient au service de sauvetage en mer d'apprécier dans chaque cas l'importance et la nature des moyens à mettre en oeuvre ; qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'au cours de la nuit du 3 au 4 juillet 1985 l'officier de permanence, qui était affecté au CROSS Jobourg depuis près d'un an, aurait fait preuve d'incompétence et méconnu les conditions d'application de l'instruction susvisée ; qu'ainsi, il ne résulte pas des circonstances de l'espèce que le CROSS Jobourg aurait commis à l'occasion des opérations de secours destinées à retrouver le voilier "Thalassa" et ses occupants, une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme Z... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de CAEN a rejeté leur demande ;
Article 1er - La requête de M. et Mme Z... est rejetée.
Article 2 - Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Z... et au Secrétaire d'Etat à la mer.