Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 23 janvier 1998, présentée pour M. Jean X..., demeurant au ..., par Me ROUSSEAU, avocat au barreau de Nantes ;
M. X... demande que la Cour :
1 ) annule le jugement n 96-2006 du 20 novembre 1997 par lequel le Tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 novembre 1995 du préfet de Maine-et-Loire prorogeant jusqu'au 20 novembre 1996, son permis de conduire des véhicules du groupe léger et suspendant jusqu'au 28 septembre 1997, son permis de conduire des véhicules du groupe lourd, ainsi que de la décision du ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme, notifiée par une lettre en date du 15 avril 1996, rejetant le recours hiérarchique formé contre la décision du préfet ;
2 ) annule pour excès de pouvoir la décision du préfet de Maine-et-Loire du 21 novembre 1995 et celle du ministre rejetant ledit recours hiérarchique ;
3 ) enjoigne au ministre, sur le fondement des articles L.8-2 et L.8-3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, une décision lui permettant de retrouver le bénéfice d'un permis de conduire des véhicules de toutes catégories ou, à titre subsidiaire, de prendre, dans le même délai, une nouvelle décision après reprise de l'instruction, sous astreinte de 200 F par jour de retard ;
4 ) condamne l'Etat à lui verser une somme de 8 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu les code de la route ;
Vu la loi n 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Vu la loi n 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;
Vu l'arrêté ministériel du 31 juillet 1975 fixant les conditions d'établissement, de délivrance et de validité des permis de conduire ;
Vu l'arrêté ministériel du 4 octobre 1988 fixant la liste des incapacités physiques incompatibles avec l'obtention ou le maintien du permis de conduire ainsi que des affections susceptibles de donner lieu à la délivrance de permis de conduire de durée de validité limitée ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13
janvier 2000 :
- le rapport de M. LEMAI, président,
- les observations de Me ROUSSEAU, avocat de M. Jean X...,
- et les conclusions de Mme COËNT-BOCHARD, commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre la décision notifiée par la lettre en date du 15 avril 1996 du préfet de Maine-et-Loire :
Considérant que si M. Jean X... n'établit pas avoir adressé au ministre chargé des transports un recours hiérarchique, il ressort des pièces du dossier qu'il a contesté auprès du préfet de Maine-et-Loire par une lettre reçue à la préfecture le 27 novembre 1995, l'arrêté préfectoral du 21 novembre 1995 prorogeant jusqu'au 20 novembre 1996, son permis de conduire des véhicules du groupe léger et suspendant jusqu'au 28 septembre 1997, son permis de conduire des véhicules du groupe lourd ; que l'absence de réponse à cette lettre a fait naître le 27 mars 1996 une décision implicite de rejet du recours gracieux ; que la lettre du préfet de Maine-et-Loire du 15 avril 1996 informant M. X..., que le médecin, vice-président de la commission permanente des incapacités physiques, avait constaté le bien fondé de l'avis des commissions médicales après avoir examiné son dossier médical, communiqué au ministre le 14 décembre 1995, doit être regardée comme une décision explicite de rejet du même recours gracieux intervenue dans le délai de deux mois après la naissance de la décision implicite ; que les conclusions de M. X... sont dirigées, non contre la lettre en date du 20 février 1996 par laquelle le préfet a été informé de la position prise par le médecin, vice-président de la commission permanente des incapacités physiques, mais contre ladite lettre du 15 avril 1996, dont la date de réception ne ressort pas des pièces du dossier et qui, comme il vient d'être dit, constitue une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, contrairement à ce que soutient le ministre ;
Sur la légalité des décisions attaquées :
Considérant qu'aux termes de l'article 6 bis de la loi du 17 juillet 1978 : "Les personnes qui le demandent ont droit à la communication, par les administrations mentionnées à l'article 2, des documents de caractère nominatif les concernant, sans que des motifs tirés du secret médical, portant exclusivement sur des faits qui leur sont personnels, puissent leur être opposés. - Toutefois les informations à caractère médical ne peuvent être communiquées à l'intéressé que par l'intermédiaire d'un médecin qu'il désigne à cet effet." ; qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 : "Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. - A cet effet doivent être motivées les décisions qui : - restreignent l'exercice des libertés publiques ou, d'une manière générale, constituent une mesure de police ; ..." ; qu'aux termes de l'article R.128 du code de la route : "Postérieurement à la délivrance du permis, le préfet peut prescrire un examen médical dans le cas où les informations en sa possession lui permettent d'estimer que l'état physique du titulaire du permis peut être incompatible avec le maintien de ce permis de conduire ... ; sur le vu du certificat médical, le préfet prononce, s'il y a lieu, soit la restriction de validité, la suspension ou l'annulation du permis de conduire ..." ;
Considérant que les décisions par lesquelles les préfets, en application des dispositions précitées de l'article R.128 du code de la route, suspendent ou prorogent pour une durée limitée pour des motifs médicaux la validité d'un permis de conduire, constituent des mesures de police ; que, dès lors, elles doivent être motivées en application des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ; que si les dispositions précitées de l'article 6 bis de la loi du 17 juillet 1978 et le principe du secret médical peuvent justifier que le dossier médical au vu duquel la décision a été prise ne soit communiqué au requérant que par l'intermédiaire du médecin de son choix, ces dispositions n'ont pas pour objet et pour effet de dispenser le préfet de motiver sa décision en indiquant les raisons de droit et de fait qui la justifient ;
Considérant que si l'arrêté susmentionné du 21 novembre 1995 du préfet de Maine-et-Loire vise l'avis de la commission médicale d'appel, laquelle, comme l'établit l'administration, avait fait connaître à l'intéressé les raisons d'ordre médical de sa décision d'inaptitude, il ne s'en approprie pas les motifs ; qu'ainsi, en prenant cet arrêté, le préfet de Maine-et-Loire, qui n'était pas tenu de suivre l'avis de la commission médicale, n'a pas respecté les exigences des dispositions précitées de la loi du 11 juillet 1979 ; que la décision de rejet du recours gracieux, notifiée par la lettre en date du 15 avril 1996, est entachée du même vice de forme ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet de Maine-et-Loire du 21 novembre 1995 ainsi que de la décision rejetant le recours gracieux formé contre cet arrêté ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application des dispositions des articles L.8-2 et L.8-3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure, assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution, par le même jugement ou le même arrêt. - Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public doit à nouveau prendre une décision après une nouvelle instruction, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit par le même jugement ou le même arrêt que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé." ; qu'aux termes de l'article L.8-3 du même code : "Saisi de conclusions en ce sens, le tribunal ou la cour peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application de l'article L.8-2 d'une astreinte qu'il prononce dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l'article L.8-4 et dont il fixe la date d'effet." ;
Considérant, en premier lieu, que l'exécution du présent arrêt qui annule les mesures de suspension et de limitation de la validité du permis de conduire de M. X... pour un vice de forme n'implique pas nécessairement la reconstitution de l'entière validité de ce permis ;
Considérant, il est vrai, qu'à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation desdites mesures pour excès de pouvoir, M. X... a également soutenu que le préfet aurait fait une fausse application des dispositions de l'arrêté ministériel du 4 octobre 1988 fixant la liste des incapacités physiques incompatibles avec le maintien du permis de conduire ; que ce motif d'annulation, s'il était fondé, serait susceptible de justifier une injonction tendant à la reconstitution de l'entière validité du permis sous réserve des changements intervenus dans la situation de fait et de droit entre les dates des décisions attaquées et la date du présent arrêt ;
Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise médicale sollicitée, que M. X... n'est pas fondé à soutenir que les décisions attaquées ne seraient pas justifiées au regard des troubles physiques dont il est atteint ; que, par suite, les conclusions principales de M. X... tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de prendre une décision lui permettant de retrouver le bénéfice d'un permis de conduire des véhicules de toutes catégories n'entrent pas dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article L.8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et ne sont donc pas recevables ;
Considérant, en second lieu, qu'alors même que M. X... a fait l'objet le 7 janvier 1997, conformément à la réglementation, d'un nouvel examen par la commission médicale départementale d'appel, l'exécution du présent arrêt implique que l'administration prenne une nouvelle décision après une nouvelle instruction; qu'en conséquence, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de prendre une nouvelle décision sur la validité du permis de conduire de M. X... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel de condamner l'Etat à payer à M. X... une somme de 6 000 F au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nantes du 20 novembre 1997, l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 21 novembre 1995 et la décision, notifiée par la lettre du 15 avril 1996, de rejet du recours formé contre cet arrêté sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire de prendre une nouvelle décision sur la validité du permis de conduire de M. Jean X... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. Jean X... une somme de six mille francs (6 000 F) au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Jean X... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean X... et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.