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06/12/2019 | FRANCE | N°17NT03871

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 06 décembre 2019, 17NT03871


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes à lui verser la somme de 22 694,64 euros en remboursement des prestations qu'elle a versées au profit de Mme E....

Par un jugement n°1600694 du 23 novembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 décembre 2017, 5

juin 2019, 18 juin 2019 et 3 juillet 2019 la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes à lui verser la somme de 22 694,64 euros en remboursement des prestations qu'elle a versées au profit de Mme E....

Par un jugement n°1600694 du 23 novembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 décembre 2017, 5 juin 2019, 18 juin 2019 et 3 juillet 2019 la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, représentée par Me A... C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 novembre 2017 ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Rennes à lui verser la somme de 22 694,64 euros en remboursement des prestations versées au profit de Mme E..., ainsi qu'une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Rennes la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la fin de non-recevoir tirée de l'absence de réclamation indemnitaire préalable doit être écartée, une demande ayant été adressée au CHU de Rennes le 25 avril 2016 ;

- elle justifie de la compétence du signataire des mémoires ;

- elle est fondée à exercer un recours subrogatoire à l'encontre du CHU de Rennes du fait de la faute commise par cet établissement dans la prise en charge de Mme E..., une compresse ayant été oubliée dans le corps de la patiente ;

- elle a été conduite à verser 22 694,94 euros de prestations, dont le détail est attesté par le médecin conseil.

Par des mémoires en défense enregistrés les 28 mai et 24 juin 2019 le centre hospitalier universitaire de Rennes, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête de la CPAM d'Ille-et-Vilaine.

Il soutient que :

- la demande présentée par la caisse devant le tribunal était irrecevable dès lors qu'il n'est pas établi que le signataire du mémoire portant demande indemnitaire préalable avait reçu délégation de signature ;

- les moyens soulevés par la CPAM d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H...,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'une grossesse fin 2007, Mme E..., alors âgée de 31 ans, a développé un fibrome ainsi qu'une hernie sub-ombilicale dont les premiers symptômes sont apparus en 2009. Une intervention chirurgicale a été réalisée le 27 juillet 2009 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes pour y remédier. Toutefois l'intéressée ayant présenté le 17 août suivant les signes d'une infection, elle s'est rendue au service des urgences du CHU de Rennes où un prélèvement bactériologique ainsi qu'une radiographie ont été réalisés, lesquels ont démontré respectivement la présence d'un staphylocoque doré et d'un textilome, complication post-opératoire ayant pour origine la présence d'un corps étranger composé de compresse ou champ chirurgicaux laissés au niveau du foyer opératoire. Le 21 août 2009, une nouvelle intervention a été pratiquée, au cours de laquelle le textilome a été retiré. Le 26 mai 2010, Mme E... a saisi, en référé, le tribunal administratif de Rennes aux fins d'ordonner une expertise médicale. L'expert désigné par une ordonnance du 12 juillet 2010 a déposé son rapport le 19 avril 2011. Mme E... a alors transigé avec l'assureur du centre hospitalier. Le 4 février 2016 la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine a demandé au tribunal de condamner le CHU de Rennes à lui verser la somme de 22 694,64 euros en remboursement des prestations versées au profit de Mme E.... Par un jugement du 23 novembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la caisse comme étant irrecevable à défaut de liaison du contentieux. La CPAM d'Ille-et-Vilaine relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, selon l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable à la date d'introduction de la demande : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée " Aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. Les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d'un délai de deux mois à compter du jour de l'expiration de la période mentionnée au premier alinéa. Néanmoins, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient dans ce délai de deux mois, elle fait à nouveau courir le délai du pourvoi. La date du dépôt de la réclamation à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête. ".

3. La CPAM d'Ille-et-Vilaine justifie en appel, par la production du bordereau d'accusé de réception de la lettre recommandée qu'elle a adressée au CHU de Rennes le 25 avril 2016 et qui a été reçue par l'établissement le 27 avril 2016, avoir formé en cours de première instance une réclamation préalable auprès du CHU de Rennes, laquelle a fait naitre une décision implicite de rejet le 27 juin 2016. Ainsi, le recours indemnitaire dont la CPAM d'Ille-et-Vilaine a saisi le tribunal le 4 février 2016 s'est-il trouvé régularisé par l'intervention pendant l'instance de la décision implicite de rejet de la demande formée devant l'administration par la CPAM.

4. En second lieu, en vertu de l'article R. 122-3 du code de la sécurité sociale, le directeur d'une caisse primaire d'assurance maladie est chargé d'assurer le fonctionnement de l'organisme sous le contrôle du conseil d'administration. En outre l'article D. 253-6 de ce code prévoit qu'il peut déléguer, à titre permanent, sa signature au directeur adjoint de la caisse ou à un ou plusieurs agents de l'organisme. Il résulte de l'instruction que M. G..., rédacteur juridique, disposait d'une délégation de signature en date du 19 janvier 2015 consentie par la directrice de la caisse en vue de signer, outre les recours portés devant les tribunaux de première instance, notamment " les correspondances et documents directement liés au dossiers traités à l'exception de celles répondant à des questions de principe et celles destinées aux autorités de tutelle ou aux pouvoirs publics ". Eu égard à la formulation de cette délégation, M. G... était compétent pour signer la réclamation préalable formée devant le CHU de Rennes le 25 avril 2016. Si ce dernier soutient que cette délégation n'a pas été publiée, aucune des dispositions du code de la sécurité sociale, ni aucun principe ne subordonnent l'entrée en vigueur d'une telle délégation de signature à l'accomplissement d'une mesure de publicité, alors même que les actes signés par délégation constituent des actes administratifs. Par suite, M. G... était compétent pour signer la réclamation préalable formée par la CPAM.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la CPAM comme étant irrecevable. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le tribunal par la CPAM d'Ille-et-Vilaine.

Sur la responsabilité du CHU de Rennes :

6. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

7. L'oubli d'une compresse lors de l'intervention chirurgicale pratiquée le 27 juillet 2009 a constitué une faute de nature à engager la responsabilité du CHU de Rennes.

Sur les droits de la CPAM d'Ille-et-Vilaine :

8. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que la présence de la compresse oubliée a provoqué une infection nécessitant une nouvelle intervention chirurgicale le 21 août 2009 pour la retirer et une hospitalisation de Mme E... du 21 août 2009 au 1er septembre 2009.

9. La CPAM d'Ille-et-Vilaine a produit une attestation d'imputabilité du 2 mars 2013 établie par le médecin conseil de cet organisme qui, sur la base des éléments retenus dans le rapport d'expertise du 19 avril 2011, a précisément identifié et retenu les frais relevant du recours de la caisse qui sont entièrement imputables aux conséquences de la faute commise lors de l'intervention chirurgicale du 27 juillet 2009. A ce titre, le médecin conseil a distingué, dans l'état des débours de la caisse, les frais médicaux et pharmaceutiques exposés pour la période du 18 août 2009 au 11 septembre 2009 pour un montant de 113,13 euros ainsi que le coût afférent à l'hospitalisation de Mme E... du 21 août 2009 au 1er septembre 2009 pour un montant de 16 056 euros. Il a ensuite précisé le montant des indemnités journalières versées à Mme E... du 27 août 2009 au 28 février 2010, jusqu'à la consolidation de son état de santé, pour un montant global de 6 432,15 euros. Enfin, il a chiffré le coût des soins post-consolidation à 93,36 euros. Si le CHU de Rennes soutient qu'une partie de la somme globale de 22 694,64 euros ainsi exposée par la CPAM d'Ille-et-Vilaine ne serait pas en lien avec l'intervention chirurgicale du 21 août 2009 mais avec l'embolie pulmonaire dont a été victime Mme E... le 27 août 2009 puis la phlébite diagnostiquée le 3 septembre 2009, les éléments précis contenus dans l'état des débours ainsi que l'attestation d'imputabilité établie par le médecin conseil de la CPAM corroborent les conclusions de l'expert. Ce dernier précise dans son rapport que les complications dont a souffert Mme E..., notamment son embolie pulmonaire, sont en lien direct et certain avec l'oubli fautif d'une compresse lors de l'intervention chirurgicale pratiquée le 27 juillet 2009. Enfin, si l'expert a indiqué qu'il n'y avait pas de relation certaine entre la phlébite diagnostiquée le 3 septembre 2009 et l'oubli de la compresse, les frais d'hospitalisation supportés par la caisse concernent, en tout état de cause, une période antérieure à l'apparition de cette pathologie.

10. Il résulte de ce qui précède que le CHU de Rennes doit être condamné à verser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine la somme de 22 694,64 euros au titre des débours que cette dernière a exposés pour son assurée Mme E....

Sur les frais liés à l'instance :

11. En premier lieu, selon le neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée. ". Par ailleurs, l'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2018 dispose que : " Les montants maximum et minimum de l'indemnité forfaitaire de gestion visés aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 1 080 euros et à 107 euros au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2019 ".

12. En vertu des dispositions précitées de l'arrêté du 27 décembre 2018, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Rennes le versement à la CPAM d'Ille-et-Vilaine de la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions précitées.

13. En deuxième lieu, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros par l'ordonnance du 28 avril 2011 du président du tribunal administratif de Rennes, à la charge du CHU de Rennes.

14. En troisième et dernier lieu, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Rennes la somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la CPAM d'Ille-et-Vilaine.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1600694 du tribunal administratif de Rennes du 23 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier universitaire est condamné à verser la somme de 22 694,64 euros à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine au titre des débours exposés dans le cadre de la prise en charge fautive de Mme E....

Article 3 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 200 euros sont mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Rennes.

Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Rennes versera la somme de 1 080 euros à la CPAM d'Ille-et-Vilaine au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Article 5 : Le centre hospitalier universitaire de Rennes versera la somme de 1 500 euros à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, au centre hospitalier universitaire de Rennes et à Mme B... E....

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme H..., présidente-assesseure,

- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 décembre 2019.

La rapporteure

N. H...

Le président

I. Perrot

Le greffier

M. D...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°17NT03871 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT03871
Date de la décision : 06/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Nathalie TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : DI PALMA

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-12-06;17nt03871 ?
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