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10/01/2020 | FRANCE | N°18NT01950

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 10 janvier 2020, 18NT01950


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... et Mme H... A... épouse F... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner la société " Réseau de transport d'électricité " (RTE) à leur verser la somme de 113 000 euros, ou subsidiairement de 108 000 euros, en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi, à raison de la perte de valeur vénale de leur propriété, du fait de la construction de la ligne à très haute tension " Cotentin-Maine ".

Par un jugement n° 1610849 du 27 mars 2018, le tribunal administrati

f de Nantes a condamné la société RTE à verser à M. et Mme F... la somme de 108 000 e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... et Mme H... A... épouse F... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner la société " Réseau de transport d'électricité " (RTE) à leur verser la somme de 113 000 euros, ou subsidiairement de 108 000 euros, en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi, à raison de la perte de valeur vénale de leur propriété, du fait de la construction de la ligne à très haute tension " Cotentin-Maine ".

Par un jugement n° 1610849 du 27 mars 2018, le tribunal administratif de Nantes a condamné la société RTE à verser à M. et Mme F... la somme de 108 000 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 15 mai et 3 octobre 2018, la société " Réseau de transport d'électricité " (RTE), représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 mars 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. et Mme F... ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme F... le versement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le dispositif d'indemnisation du préjudice visuel résultant de l'ouvrage en cause prévoit deux options, l'option 1 consistant dans le paiement immédiat d'une indemnité forfaitaire tandis que l'option 2 consiste dans la compensation de la moins-value constatée lors de la vente à un tiers du bien, du fait de la gêne visuelle due à l'ouvrage, sous réserve que la transaction soit effectuée dans des conditions normales ;

- M. et Mme F..., qui ont fait le choix de l'option 2, ont fondé leur demande sur deux fondements juridiques distincts et alternatifs à savoir, d'une part, celui relatif la responsabilité pour dommage d'ouvrage public, qui ressortit de la compétence de la juridiction administrative et d'autre part, celui découlant du non-respect d'engagements dont les requérants soutiennent qu'ils avaient été pris par la société RTE à l'égard des riverains de la ligne à haute tension litigieuse, qui ressortit de la compétence du juge judiciaire ;

- le raisonnement du tribunal administratif de Nantes, qui retient le second fondement juridique d'engagement de la responsabilité juridique de la société RTE, est erroné dès lors, d'une part, qu'aucun contrat n'a été conclu entre elle-même et les époux F..., une promesse ne valant pas contrat et, d'autre part, qu'à le supposer existant, le contrat ne constitue pas une transaction ayant pour objet le règlement ou la prévention d'un litige pour le jugement duquel le juge administratif aurait été compétent au fond et ne saurait dès lors être qualifié de contrat administratif ;

- dans la limite de ses compétences, le tribunal aurait dû se borner à apprécier si les circonstances de l'espèce justifiaient une indemnisation sur le fondement de la responsabilité du fait des ouvrages publics, c'est-à-dire si le préjudice invoqué revêtait un caractère anormal et spécial ;

- si l'on accepte de se placer sur le terrain des engagements contractuels, ce qui permet de ne pas rechercher l'existence d'un préjudice anormal et spécial, la demande ne peut qu'être rejetée dès lors que les époux F... n'ont pas respecté les règles procédurales fixées par ces engagements ; en vendant leur bien sans accord préalable sur le prix et en ne lui adressant pas de lettre d'acceptation de l'option 1, M. et Mme F... n'ont pas respecté les conditions d'indemnisation amiable et ont délibérément rejeté toute proposition amiable ;

- il appartiendra à la cour d'examiner la question soit par la voie de l'évocation, si elle annule le jugement pour erreur sur la compétence, soit par la voie de l'effet dévolutif, si elle estime que le tribunal a reconnu à raison sa compétence mais a mal qualifié les faits de l'espèce en identifiant une faute " contractuelle " imputable à la société RTE ;

- l'anormalité du préjudice subi par les époux F... n'est pas démontrée et sa spécialité n'est pas même évoquée ; seule est avérée une inertie à la vente qui a conduit à un prix faible du fait des seules particularités du marché immobilier de la zone et non de la présence de la ligne à haute tension, les requérants ne justifiant pas des raisons qui les ont conduits à retarder la vente de leur bien en en surestimant le prix ;

- la moins-value enregistrée n'est pas le résultat de la présence de la ligne mais de la carence des époux F....

Par des mémoires en défense enregistrés les 8 août 2018 et 29 septembre 2019, M. B... F... et Mme H... A..., épouse F..., représentés par Me J..., concluent :

1°) au rejet la requête de la société RTE ;

2°) à ce que soit mis à la charge de la société RTE le versement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la juridiction administrative est compétente pour connaître de l'action en responsabilité reposant sur les engagements contractuels de RTE ; en tout état de cause, la saisine de la juridiction administrative est justifiée par le caractère attractif de la notion de dommages de travaux publics ;

- c'est à juste titre que le tribunal administratif de Nantes a retenu que les courriers échangés entre les parties scellaient les termes d'une transaction et que les engagements de RTE visant à l'indemnisation des riverains ont une valeur contractuelle ;

- ils ont retourné une lettre d'acceptation de la seconde option et recherché activement un acquéreur ;

- la société RTE, qui n'a pas répondu à leur courrier du 10 avril 2014, leur a imposé un calendrier impossible à tenir en leur signifiant à tort un délai expirant le 1er janvier 2015 et en leur imposant une nouvelle condition tenant à l'engagement " d'une négociation sérieuse " avant cette date ;

- le prix de vente de 55 000 euros n'était pas sous-estimé ;

- ils se sont efforcés de vendre leur bien à un meilleur prix mais n'ont que progressivement diminué le prix de vente qu'ils demandaient ; RTE a acquis des maisons dans la bande des 100 mètres à Buais (Manche) et Levare (Mayenne) pour des montants de 115 000 et 125 000 euros mais des surfaces habitables moitié moindres ;

- RTE aurait dû justifier, par des données objectives, du bien-fondé du refus opposé à la vente de leur bien ;

- à titre subsidiaire, ils sont fondés à rechercher la responsabilité sans faute de la société RTE pour dommage de travaux publics.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., substituant Me E..., avocat de la société RTE et de Me Marie-Doutressoule, avocat de M. et Mme F....

Une note en délibéré présentée pour la société RTE a été enregistrée le 11 décembre 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du contrat de service public pour la gestion du réseau public de transport d'électricité conclu le 24 octobre 2005 avec l'Etat, la société " Réseau de transport d'électricité " (RTE), société anonyme filiale d'Electricité de France (EDF) et gestionnaire du réseau de transport d'électricité français, a entrepris en 2010 la construction d'une ligne électrique à très haute tension entre les villes d'Oudon (Loire-Atlantique) et Taute (Manche), ligne dite " Cotentin-Maine ", projet qui a été déclaré d'utilité publique par un arrêté du ministre de l'écologie du 25 juin 2010. En vertu des protocoles conclus entre l'Etat et EDF le 25 août 1992, reconduits les 22 mai 1997 et 30 janvier 2002, qui visent notamment à réparer les préjudices visuels subis par les riverains du fait de l'implantation de nouveaux ouvrages de distribution d'énergie électrique, un dispositif a été mis en place au titre duquel devait être instituée, par arrêté préfectoral, une commission départementale d'évaluation amiable du préjudice visuel, chargée d'évaluer les dommages occasionnés, par la comparaison de la valeur des habitations avant et après l'installation de l'ouvrage, et de favoriser la conclusion de transactions amiables entre EDF et les riverains de la ligne. La société RTE s'est engagée à indemniser les préjudices résultant pour les riverains de l'installation de la ligne " Cotentin-Maine ". Ceux-ci se sont vus offrir une alternative consistant, soit dans le versement immédiat d'une indemnité forfaitaire destinée à les dédommager du préjudice visuel subi (option 1), soit, pour les riverains désireux de vendre leur bien et qui en faisaient la demande, dans le remboursement de la différence entre la valeur vénale de la propriété évaluée par la commission avant la construction de l'ouvrage et le prix de vente à intervenir de la propriété dans un délai de 18 mois (option 2). Pour l'évaluation du préjudice visuel causé aux riverains de la ligne " Cotentin-Maine ", une commission interdépartementale d'évaluation amiable du préjudice visuel a été créée par un arrêté inter-préfectoral du 15 juin 2011. Cette commission d'évaluation a effectué le 4 décembre 2012 une visite de la maison dont M. et Mme F... étaient propriétaires, en indivision avec la mère de M. F..., ce bien étant situé à environ 170 mètres de la ligne, au lieu-dit " La Grande Métairie " sur le territoire de la commune de Fougerolles-du-Plessis, dans le département de la Mayenne. A l'issue de cette visite la commission a chiffré à la somme forfaitaire de 25 000 euros le préjudice visuel subi et a par ailleurs estimé la valeur vénale du bien des époux F..., en l'absence de ligne électrique, à 168 000 euros.

2. Par courrier du 1er juillet 2013, la société RTE a proposé aux époux F... de choisir entre le versement d'une indemnité forfaitaire et le versement, à la suite de la vente de leur bien dans des conditions normales à un tiers dans les dix-huit mois à compter du 16 septembre 2013, date limite de retour de la lettre d'acceptation jointe au courrier, d'une indemnité représentative de la perte de valeur imputable à l'ouvrage public et correspondant à la différence entre la valeur estimée par la commission d'évaluation et le prix de vente réel du bien. M. et Mme F... ont accepté cette seconde option par courrier du 3 septembre 2013. Ayant signé le 13 octobre 2014 un compromis de vente de leur bien au prix de 55 000 euros, ils ont demandé à être indemnisés de la perte de valeur vénale de leur bien à concurrence de l'estimation arrêtée par la commission interdépartementale d'évaluation amiable du préjudice visuel. La société RTE leur ayant opposé un refus par un courrier du 20 novembre 2014, ils ont en définitive vendu leur bien le 16 février 2015, au prix net vendeur de 60 000 euros, dont 5 000 euros correspondant à la valeur de la cuisine. La société RTE refusant de les indemniser de la différence entre le prix de vente et l'estimation faite par la commission d'indemnisation en application de l'option 2, au motif que la vente avait été réalisée dans des conditions anormales, M. et Mme F... lui ont adressé une demande indemnitaire préalable par un courrier du 3 avril 2015 sollicitant le versement de cette indemnité différentielle soit la somme de 113 000 euros, demande demeurée sans réponse.

3. Par un jugement du 27 mars 2018, le tribunal administratif de Nantes a condamné la société RTE à verser à M. et Mme F... la somme de 108 000 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2015. La société RTE relève appel de ce jugement.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

4. Il est constant que, dans le cadre du dispositif mis en place afin de réparer les préjudices visuels subis par les riverains du fait de l'implantation de la ligne à très haute tension " Cotentin-Maine ", la société RTE a, par courrier du 1er juillet 2013, offert aux époux F... une alternative consistant, soit dans le versement immédiat d'une indemnité forfaitaire d'un montant de 25 000 euros (option 1), soit dans le versement ultérieur d'une indemnité différentielle entre la valeur vénale de leur propriété, estimée par la commission d'évaluation à 168 000 euros, et le prix effectivement reçu pour la vente de leur bien (option 2). Il est également constant que M. et Mme F... ont exprimé leur choix en faveur de l'option 2 par une " lettre d'acceptation d'indemnisation " du 3 septembre suivant. De l'échange de ces courriers est née une convention dont l'objet est de réparer le préjudice résultant pour M. et Mme F... de l'implantation d'un ouvrage public de transport d'électricité à proximité de leur propriété et de mettre fin à un litige, né de l'implantation d'un ouvrage public et opposant le maître de l'ouvrage à un tiers à cet ouvrage, litige qui aurait pu donner lieu à une action relevant de la compétence du juge administratif. Par suite, le contentieux relatif à l'exécution d'une telle convention relève de la compétence de la juridiction administrative.

Sur la responsabilité contractuelle de la société RTE :

5. Il résulte de l'instruction que, ayant signé un compromis de vente de leur bien au prix de 55 000 euros, les époux F... ont, avant de signer un engagement ferme et définitif, informé la société RTE de cette offre d'acquisition, intervenue avant la date-limite du 16 mars 2015, ainsi qu'ils s'y étaient engagés par courrier du 3 septembre 2013. Il est par ailleurs constant que, alors que la société RTE leur a fait savoir par courrier du 20 novembre 2014 qu'elle refusait de les indemniser au motif que le prix de 55 000 euros était " très anormalement bas au regard du préjudice ", les époux F... ont finalement vendu leur bien par acte notarié du 16 février 2015, au prix net vendeur de 60 000 euros. Pour justifier implicitement le refus d'indemnisation opposé aux époux F..., la société RTE qui soutient que ces derniers ont manqué de diligence dans la vente de leur propriété, ne produit toutefois à l'appui de ses allégations aucune donnée objective susceptible d'établir que la vente du bien litigieux aurait été réalisée dans des conditions anormales. En outre, la société requérante ne conteste pas sérieusement les termes de l'attestation établie par un notaire le 25 avril 2016 faisant état de l'impact de l'installation de la ligne à très haute tension sur le marché immobilier ainsi que de la tendance baissière du marché depuis 2010 en raison d'un ralentissement de l'activité économique et de la désaffection de la clientèle anglaise. Par ailleurs, la société RTE ne conteste pas davantage de manière pertinente les conclusions du rapport d'expertise amiable du 21 novembre 2016 selon lesquelles la différence entre la valeur vénale, estimée par la commission à 168 000 euros, et le prix de vente du bien s'explique, à hauteur de 28 000 euros par la période d'immobilisation survenue dans l'attente de la réalisation de la ligne, à hauteur de 55 000 euros par les inconvénients liés au voisinage de la ligne et à hauteur de 25 000 euros par la contrainte de réaliser la vente de manière précipitée pour respecter le délai imposé par RTE.

6. Il résulte de ce qui précède que la société RTE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a estimé qu'elle avait manqué à ses obligations contractuelles et l'a condamnée à verser aux époux F... la somme de 108 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2015, somme correspondant à la différence entre la valeur vénale du bien en cause et son prix de vente de 60 000 euros, laquelle inclut la valorisation de la cuisine à hauteur de 5 000 euros.

Sur les frais d'instance :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme F..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société RTE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a en revanche lieu de mettre à la charge de la société RTE le versement à M. et Mme F... de la somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société RTE est rejetée.

Article 2 : La société RTE versera à M. et Mme F... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société " Réseau de transport d'électricité " (RTE), à M. B... F... et à Mme H... A... épouse F....

Délibéré après l'audience du 5 décembre 2019 à laquelle siégeaient :

- Mme I..., présidente-assesseure,

- M. Mony, premier conseiller,

- Mme G..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 janvier 2020.

Le rapporteur

M. G...La présidente

N. I...Le greffier

M. D...

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 18NT019502

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01950
Date de la décision : 10/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur ?: Mme Muriel LE BARBIER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET FOLEY HOAG AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-01-10;18nt01950 ?
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