Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Aviva assurances a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner la commune de Bourges à lui verser la somme de 51 357,41 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 2016, en remboursement de la somme versée par elle à Mme C..., son assurée, en réparation des préjudices subis par cette dernière du fait de l'inondation de sa propriété survenue au mois de juin 2016 suite au débordement du lac artificiel d'Auron dans le Cher.
Par un jugement n° 1700546 du 23 avril 2019, le tribunal administratif d'Orléans a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 juin et 19 décembre 2019, la commune de Bourges, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 23 avril 2019 ;
2°) de rejeter la demande de la société Aviva assurances ;
3°) de mettre à la charge de la société Aviva assurances, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement de la somme de 4 000 euros au titre des frais d'instance exposés devant le tribunal administratif d'Orléans et la somme supplémentaire de 5 000 euros au titre des frais d'instance exposés en appel.
Elle soutient que :
- le lac d'Auron a été aménagé en 1977 pour un usage de base de loisirs et n'est pas un ouvrage de régulation des crues ; il ne s'agit donc pas d'un ouvrage écrêteur de crues de sorte qu'il n'a pas vocation ni à modifier le régime hydraulique à l'aval, ni à stocker des eaux de crue ;
- sa responsabilité n'est pas engagée dès lors qu'il n'est pas établi que les préjudices subis lui seraient directement et incontestablement imputables ; l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et l'inondation n'est pas établie et ne figurait pas dans le champ de la mission d'expertise amiable confiée par la société Aviva assurances au cabinet Polyexpert, lequel ne s'est à aucun moment entendu avec l'expert mandaté par la commune s'agissant des causes du sinistre ; le cabinet Polyexpert n'a jamais affirmé que des dysfonctionnements des pelles du lac seraient à l'origine de l'inondation survenue chez Mme C... ; si le chiffrage des préjudices a été établi de façon contradictoire par les cabinets Polyexpert et Saretec, la cause du sinistre n'a, selon ce dernier, pas été déterminée et les investigations complémentaires nécessaires à l'indentification de la cause de l'inondation n'ont jamais été réalisées ;
- aucun constat ni aucun élément technique ne permet de démontrer l'existence d'un dysfonctionnement à l'origine du débordement et des inondations ; rien ne permet de démontrer que le fonctionnement des vérins aurait évité le débordement de la rivière et du lac et, par voie de conséquence, les inondations survenues sur le terrain de Mme C... ;
- ainsi que le révèle la constatation de l'état de catastrophe naturelle, elle est en droit d'invoquer la force majeure comme cause exonératoire de sa responsabilité ; en tout état de cause l'état de catastrophe naturelle est avéré et le caractère exceptionnel des intempéries a été confirmé à de nombreuses reprises ;
- le dommage ne saurait être considéré comme anormal lorsque la victime s'y est exposée en connaissance de cause ; Mme C... avait connaissance de la proximité du lac d'Auron et surtout de la rivière la Rampenne et lorsqu'elle a acquis sa maison d'habitation et ne pouvait dès lors ignorer l'existence d'un risque d'inondation, qui a de surcroît fait l'objet d'une campagne d'information communale sur les risques majeurs durant l'année 2009 ; la propriété en cause est située dans le périmètre de prévention des risques d'inondation très élevé à un fort degré d'intensité ;
- les préjudices allégués sont contestables dans leur principe comme dans leur quantum ; pour donner lieu à indemnisation sur le terrain de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommage de travaux publics, le dommage allégué doit revêtir un caractère anormal et spécial ne concernant qu'un nombre limité de victimes ; tel n'est pas le cas dès lors que les inondations en cause ont affecté tout le département du Cher ainsi que le révèle l'arrêté de catastrophe naturelle ; la double circonstance qu'un épisode pluvieux ait affecté largement le territoire d'une commune et qu'il ait donné lieu à la constatation de l'état de catastrophe naturelle était de nature à exclure le caractère spécial des préjudices invoqués ;
- les autres jugements rendus par le tribunal administratif d'Orléans dans des dossiers similaires ne permettent pas de démontrer l'existence d'un lien de causalité, le tribunal ayant au demeurant adopté une motivation identique dépit des particularités de chacun de ces dossiers.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 septembre 2019 la société Aviva assurances, représentée par Me D..., conclut au rejet la requête de la commune de Bourges et à ce que soit mis à la charge de cette dernière le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité de la commune de Bourges a été confirmée par trois autres jugements du tribunal administratif d'Orléans du 23 avril 2019 dont la commune n'a pas relevé appel et qui sont revêtus de l'autorité de la chose jugée ; dans le cadre de ces affaires, la commune de Bourges avait développé les mêmes arguments que ceux dont elle se prévaut dans le cadre de la présente espèce ;
- il résulte du rapport d'expertise du cabinet Polyexpert et il ne peut être contesté que la cause du sinistre réside dans un dysfonctionnement du vérin de manoeuvre d'une des pelles de régulation du niveau du lac, consécutif à un défaut d'entretien ainsi que dans la carence des services de la commune à activer la seconde pelle de régulation ; l'intensité des pluies et la qualité peu absorbante des sols ne constituent pas des causes génératrices du sinistre mais des phénomènes aggravants ;
- il n'est pas établi que Mme C... avait connaissance d'un risque particulier au moment de l'acquisition de sa maison d'habitation ; le document d'information produit par la commune est dépourvu de valeur probante dès lors qu'on ne connaît ni la date à laquelle il a été diffusé ni quels en ont été les destinataires ;
- de fortes pluies, même si elles ont donné lieu à un arrêté de catastrophe naturelle, ne sont pas à elles seules de nature à établir l'existence d'un cas de force majeure ; le défaut de manoeuvre ou d'entretien de l'ouvrage ne peut être regardé comme extérieur à la commune ; de fortes pluies, qui se sont déjà produites dans le passé, ne peuvent être regardées comme présentant un caractère imprévisible ;
- la circonstance que d'autres riverains ont également subi des préjudices ne suffit pas à conférer au dommage un caractère de généralité le faisant échapper à la qualification de dommage anormal et spécial.
L'instruction a été close le 27 janvier 2020, par une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire a été produit par la commune le 13 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., substituant Me A..., avocat de la commune de Bourges.
Considérant ce qui suit :
1. Les 2 et 3 juin 2016, des pluies torrentielles se sont abattues notamment sur la commune de Bourges dans le Cher, entraînant une forte crue de la rivière d'Auron qui alimente le lac du même nom situé au sud-est de la commune ainsi que le débordement du cours d'eau la Rampenne et du lac artificiel d'Auron encore appelé plan d'eau du val d'Auron. L'état de catastrophe naturelle a été constaté par arrêté du 8 juin 2016. A cette occasion, le terrain appartenant à Mme B... C..., sis 85 bis rue Théophile Lamy à Bourges, a été envahi par l'eau qui a endommagé la totalité du rez-de-chaussée de la maison ainsi que la piscine. Un procès-verbal d'expertise a été établi le 19 octobre 2016, par le cabinet Polyexpert, mandaté par la société Aviva assurances, à la suite de deux réunions d'expertise organisées les 25 juillet et 5 octobre 2016 et auxquelles étaient notamment présents Mme C... ainsi qu'un expert du cabinet Saretec mandaté par la commune de Bourges, qui a lui-même établi un rapport daté du 17 novembre 2016. Par courrier du 1er décembre 2016, la société Aviva assurances a adressé à la commune de Bourges une réclamation préalable, sur le fondement de la responsabilité du fait des ouvrages publics, réclamant le versement de la somme totale de 59 037,41 euros. La commune a opposé un rejet par une décision du 20 décembre 2016. La société Aviva assurances, subrogée dans les droits de son assurée, a alors saisi le tribunal administratif d'Orléans d'un recours tendant au paiement de cette somme, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 2016. La commune de Bourges relève appel du jugement du 23 avril 2019, par lequel le tribunal administratif d'Orléans l'a condamnée à verser à la société Aviva assurances, outre une somme de 1 200 euros au titre des frais d'instance, la somme de 51 357,41 euros assortie des intérêts au taux légal au titre de l'indemnité versée à son assurée en réparation des dommages qu'elle a subis.
Sur la responsabilité de la commune de Bourges :
2. En premier lieu, l'autorité de la chose jugée par une décision rendue dans un litige de plein contentieux est subordonnée à la triple identité de parties, d'objet et de cause. Par ailleurs, dans le cadre d'actions subrogatoires telles que celles engagées par la société Aviva assurances à l'encontre de la commune de Bourges, afin d'obtenir le remboursement des sommes versées à ses assurés victimes de préjudices occasionnés par les inondations provoquées par le débordement du lac d'Auron au mois de juin 2016, cette société doit être regardée comme exerçant l'action à la place de chacune des victimes indemnisées. Par suite, si la commune de Bourges a été jugée responsable des préjudices subis par trois autres victimes par trois jugements du 23 avril 2019 du tribunal administratif d'Orléans, saisi par la société Aviva assurances en qualité de subrogée de trois autres assurés, jugements devenus définitifs faute pour la commune d'en avoir relevé appel, l'autorité de la chose ainsi jugée ne saurait être opposée à la requête d'appel présentée par la commune de Bourges dans le cadre de la présente affaire faute d'identité de parties entre ces instances, la société Aviva agissant en qualité de subrogée dans les droits de victimes différentes.
3. En second lieu, le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
4. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise amiable contradictoires établis par les cabinets Polyexpert et Saretec, que le sinistre et les préjudices subis par Mme C... trouvent leur origine dans le débordement du lac d'Auron, dont il est constant que la commune de Bourges a la garde, ce phénomène étant en partie au moins imputable à la fois au dysfonctionnement de l'une des pelles du système hydraulique de régulation du niveau du lac, avarie constatée dès le 8 mai 2016 soit moins d'un mois avant les faits et dont il n'est ni établi ni même allégué qu'il y aurait été remédié, et au choix fait par la commune, " au vu de l'évènement pluvieux " en cause, de ne pas actionner le système de régulation du niveau du lac. Contrairement à ce que soutient la commune de Bourges, il ne résulte pas de l'instruction que l'inondation dont Mme C... a été victime résulterait d'une autre cause, en particulier de la crue de la rivière La Rampenne ou de l'inondation des marais de Bourges. Dans ces conditions, les dommages subis de ce fait par Mme C... en sa qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public que constitue le lac d'Auron, qui ne sont pas inhérents à la seule présence du lac, présentent le caractère de dommages accidentels de travaux publics.
5. D'autre part, s'il est constant que l'état de catastrophe naturelle a été reconnu par un arrêté du ministre de l'intérieur du 8 juin 2016, cette circonstance ne suffit pas, à elle seule et en l'absence de tout autre élément susceptible d'établir le caractère imprévisible et irrésistible des intempéries en cause, à caractériser un cas de force majeure. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la responsabilité de la commune de Bourges était engagée.
6. Enfin, lorsqu'il est soutenu qu'une partie s'est exposée en connaissance de cause au risque dont la réalisation a causé les dommages dont elle demande réparation au titre de la présence ou du fonctionnement d'un ouvrage public, il appartient au juge d'apprécier s'il résulte de l'instruction, d'une part, que des éléments révélant l'existence d'un tel risque existaient à la date à laquelle cette partie est réputée s'y être exposée et, d'autre part, que la partie en cause avait connaissance de ces éléments et était à cette date en mesure d'en déduire qu'elle s'exposait à un tel risque, lié à la présence ou au fonctionnement d'un ouvrage public, qu'il ait été d'ores et déjà constitué ou bien raisonnablement prévisible. Si la commune de Bourges soutient que Mme C... avait connaissance de l'existence du risque d'inondation auquel sa propriété était exposée lorsqu'elle en a fait l'acquisition le 16 avril 2009, il ne résulte pas de l'instruction que cette dernière, qui ne pouvait déduire l'existence d'un tel risque de la seule proximité d'un plan d'eau et dont il n'est pas établi qu'elle aurait eu connaissance de précédents épisodes de débordement du lac, aurait été destinataire de la campagne d'information sur les risques majeurs dont la commune soutient qu'elle a été menée en 2009. Mme C... ne saurait dès lors être regardée comme ayant eu connaissance de ce qu'elle s'exposait à un risque lié à la présence ou au fonctionnement du lac d'Auron. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges n'ont pas retenu de cause exonératoire susceptible d'exonérer la commune de tout ou partie de sa responsabilité.
Sur les droits de la société Aviva assurances :
7. Aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur. (...) ".
8. D'une part, la société Aviva assurances établit s'être acquittée auprès de Mme C... d'une indemnité de 51 357,41 euros en réparation des préjudices subis par cette dernière du fait des inondations dont sa propriété a été affectée, montant dont il résulte de l'instruction qu'il correspond aux préjudices subis par Mme C... et non sérieusement contesté par la commune de Bourges, qui reconnaît au demeurant elle-même que le chiffrage desdits préjudices a été établi de façon contradictoire par les cabinets Polyexpert et Saretec.
9. D'autre part, la société Aviva assurances a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 51 357,41 euros à compter du 1er décembre 2016, date de présentation de sa demande préalable à la commune de Bourges.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Bourges n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a retenu sa responsabilité et l'a condamnée à rembourser à la société Aviva assurances la somme de 51 357,41, euros versée par cette dernière à son assurée, Mme C..., somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 2016.
Sur les frais d'instance :
11. D'une part, les dispositions de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative faisaient obstacle à ce que le tribunal administratif d'Orléans mette à la charge de la société Aviva assurances, qui n'était pas la partie perdante en première instance, la somme que demandait la commune de Bourges au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens
12. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Aviva assurances, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Bourges au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a en revanche lieu de mettre à la charge de la commune de Bourges le versement à la société Aviva assurances de la somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Bourges est rejetée.
Article 2 : La commune de Bourges versera à la société Aviva assurances la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bourges et à la société Aviva assurances.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M.Berthon, premier conseiller,
- Mme F..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 février 2021.
Le rapporteur
M. F...Le président
C. BrissonLe greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19NT024822
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