Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Terrena a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 20 mars 2018 par laquelle le maire de Treillières a retiré sa décision du 23 novembre 2017 portant exercice du droit de préemption de la commune aux fins d'acquisition d'un bien lui appartenant situé 4 rue de Grandchamp à Treillières.
Par un jugement no 1804010 du 5 janvier 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 20 mars 2018 du maire de Treillières.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 mars 2021, 18 novembre 2021, 17 janvier 2022 et 28 janvier 2022, la commune de Treillières, représentée par la SELARL Aléo, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la société Terrena une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision contestée du 20 mars 2018, alors que la décision retirée du 23 novembre 2017 était illégale faute de motivation suffisante et en l'absence de projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant à l'un des objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, et alors que la société Terrena s'est livrée à des manœuvres frauduleuses.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 mai 2021 et 20 janvier 2022, la société Terrena, représentée par la SELARL Idéo, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la commune requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
-et les observations de Me Le Pallabre, substituant Me Leraisnable, représentant la commune de Treilllières, et les observations de Me de la Foata, représentant la société Terrena.
Considérant ce qui suit :
1. La société Terrena est propriétaire d'une parcelle cadastrée section AP no 3 d'une superficie de 3 972 mètres carrés située 4 rue de Grandchamp à Treillières. La société Terrena Grand Public, filiale de la société Terrena, exploitait une jardinerie sous l'enseigne Gamm Vert dans les locaux existant sur ce terrain, donnés à bail par la société Terrena à la société Terrena Grand Public. Les sociétés Terrena et Invivo Retail ont conclu, le 28 juillet 2017, un protocole d'accord relatif à l'acquisition par Invivo Retail de la totalité des actions composant le capital social de la société Terrena Grand Public, renommée depuis Gamm Vert Synergie Ouest, et des actifs immobiliers dans lesquels les magasins exploités par cette société étaient situés, dont celui de Treillières. Le 15 septembre 2017, la société Terrena a adressé à la commune de Treillières une déclaration d'intention d'aliéner son bien du 4 rue de Grandchamp au profit de la société Invivo Retail. Par une décision du 23 novembre 2017, le maire de Treillières a exercé le droit de préemption urbain de la commune sur cette parcelle au prix de 722 000 euros figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner. Par une décision du 20 mars 2018, le maire de Treillières a retiré sa décision du 23 novembre 2017. La commune de Treillières relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes, à la demande de la société Terrena, a annulé cette décision du 20 mars 2018.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ". En vertu de l'article L. 241-2 du même code, " un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ". Il appartient à l'administration, dans cette hypothèse, d'établir la preuve de la fraude, tant s'agissant de l'existence des faits matériels l'ayant déterminée à délivrer l'acte que de l'intention du demandeur de la tromper.
3. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée du maire de Treillières du 23 novembre 2017 : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone. / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine ". Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre du droit de préemption urbain doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
4. Pour retirer sa décision du 23 novembre 2017 portant exercice du droit de préemption de la commune, le maire de Treillières s'est fondé sur les motifs tirés, d'une part, de ce que cette décision était illégale dès lors qu'elle n'était pas suffisamment motivée et que la commune n'était, à la date de cette décision, pas en mesure de justifier de la réalité d'un projet d'aménagement conforme à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme et, d'autre part, de ce que les informations partielles apportées par la société Terrena dans la déclaration d'intention d'aliéner et le procédé conduisant à ne faire part de l'existence d'un bail commercial que postérieurement à la décision de préemption avaient été de nature à fausser l'appréciation de la commune sur les droits de l'occupant et, par suite, sur la nature même du bien préempté.
5. En premier lieu, la décision du 23 novembre 2017, qui vise la délibération du conseil municipal de Treillières du 16 septembre 2013 approuvant le plan de référence du pôle structurant Treillières-Grandchamp, indique que le terrain objet de l'aliénation " fait partie intégrante " de ce plan de référence " comme un secteur clé de développement du pôle structurant " et que ce terrain " se situe à proximité immédiate de la future zone d'aménagement concertée (ZAC) de la Belle étoile ". Elle ajoute que la communauté de communes d'Erdre et Gesvres, en collaboration avec les communes de Grandchamp-des-Fontaines et de Treillières, " a engagé des études de programmation pour assurer le développement du lieudit "la Belle étoile" " et que l'acquisition de l'immeuble objet de la déclaration d'intention d'aliéner " permettra l'aménagement d'un nouveau secteur mixte afin de développer le pôle structurant de Treillières-Grandchamp ". Cette décision comporte en annexe la délibération précitée du conseil municipal de Treillières du 16 septembre 2013 et le plan de référence du pôle structurant Treillières-Grandchamp, dont il ressort que le terrain objet de la déclaration d'intention d'aliéner a vocation à accueillir un " bâtiment mixte avec niveaux de parkings " comportant 60 places par niveau. Cette motivation permettait ainsi de connaître la nature du projet que la préemption avait pour but de mettre en œuvre.
6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de la délibération du conseil municipal de Treillières du 16 septembre 2013 approuvant le plan de référence du pôle structurant Treillières-Grandchamp, que le terrain objet de la décision de préemption est inclus dans le secteur " PMU Gare ", destiné à devenir l'épicentre du pôle structurant, à la pointe sud du lieu-dit " La Belle étoile ". Ce secteur devrait ainsi accueillir, notamment, un projet culturel intercommunal, un " pôle d'échange multimodal ", des bureaux et de l'habitat, tandis que, comme il a été dit, le terrain préempté est destiné à un bâtiment à usage mixte comportant plusieurs niveaux de parkings comportant chacun 60 places de stationnement. L'avis du service des domaines sur la valeur vénale du bien du 16 novembre 2017, également annexé à la décision du 23 novembre 2017, se réfère d'ailleurs à ce projet de création d'un pôle d'échange multimodal. Enfin, le plan local d'urbanisme applicable à la commune de Treillières comportait une orientation d'aménagement et de programmation no 6 relative à la restructuration du secteur de la Belle Etoile, destiné à accueillir notamment un " pôle urbain " d'équipements et de services, avec pour orientation que " l'installation d'une halte ou d'une gare, l'aménagement de stationnements suffisants et l'organisation des échanges multimodaux devront faire l'objet d'une attention particulière ". Dès lors, la commune de Treillières justifiait, à la date de la décision de préemption, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme.
7. En troisième lieu, la commune de Treillières soutient que les informations qui figuraient dans la déclaration d'intention d'aliéner l'ont induite en erreur sur la réalité des droits de l'occupant du terrain et que cette erreur résulte de manœuvres frauduleuses de la société Terrena, qui ne se serait prévalue de l'existence d'un bail commercial que postérieurement à la décision de préemption. Il ressort des pièces du dossier que la déclaration d'intention d'aliéner mentionnait que le terrain en cause était affecté à un usage commercial et " loué à Terena Grand Public suivant convention de mise à disposition en date du 6 novembre 2008 ". Les extraits du projet d'acte de vente de ce terrain entre la société Terrena et la société Invivo Retail, annexés à la déclaration d'intention d'aliéner, se bornaient à indiquer que chaque partie à cette convention de mise à disposition, conclue pour une durée indéterminée, pouvait " y mettre fin en respectant un préavis de six mois adressé par lettre simple ", sans mentionner qu'il s'agissait d'un bail commercial ni les conséquences indemnitaires de la rupture d'un tel bail. Il est vrai que ces informations ont pu être de nature à tromper la commune de Treillières quant à la nature réelle des droits de l'occupant du terrain, alors que le protocole d'accord conclu entre les sociétés Terrena et Invivo Retail le 28 juillet 2017, plusieurs mois avant la déclaration d'intention d'aliéner, dans le cadre de l'acquisition par Invivo Retail de la totalité des actions composant le capital social de société Terrena Grand Public, qualifiait de bail commercial la convention conclue entre la société Terrena et la société Terrena Grand Public. Pour autant, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que les mentions figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner et son annexe étaient cohérentes avec l'intitulé et les stipulations du contrat conclu entre la société Terrena et sa filiale Terrena Grand Public le 6 novembre 2008, qualifié de " convention pour la mise à disposition de biens immobiliers " et qui ne comportait aucune référence aux dispositions de l'article L. 145-1 et suivants du code de commerce, relatives aux baux commerciaux. D'autre part, en réponse à une demande adressée par la commune le 21 novembre 2017 tendant à obtenir la confirmation d'un accord sur le principe de conclure une convention d'occupation précaire du magasin postérieurement à la préemption, dans l'attente de sa relocalisation future au sein de la zone d'aménagement concerté de la Belle Étoile, la société Terrena a indiqué, par un courriel du 22 novembre 2017, que son locataire bénéficiait d'une convention de mise à disposition " régie par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce ", c'est-à-dire par les dispositions relatives aux baux commerciaux. Si la commune fait valoir que cette information lui a été délivrée tardivement, la veille de la signature par le maire de Treillières de la décision de préemption, il ressort des pièces du dossier que le délai qui lui était imparti pour exercer son droit de préemption expirait seulement le 6 décembre 2017, dès lors qu'en application de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, la visite du bien en litige le 6 novembre précédent avait eu pour effet de prolonger d'un mois ce délai à compter de cette date. Dans ces conditions, en dépit des liens entretenus entre les sociétés Terrena, Terrena Grand Public et Invivo Retail, la commune de Treillières n'établit pas les manœuvres frauduleuses qu'elle allègue à l'encontre de la société Terrena, en particulier s'agissant de l'intention de la société de la tromper.
8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 7 que la décision de préemption du 23 novembre 2017 n'était pas illégale et n'a pas été obtenue par fraude. Dès lors, c'est par une inexacte application des dispositions des articles L. 242-1 et L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration que le maire de Treillières a procédé, par l'arrêté contesté du 20 mars 2018, au retrait de la décision de préemption du 23 novembre 2017.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Treillières n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté contesté du 20 mars 2018.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Terrena, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Treillières demande au titre des frais exposés par elle à l'occasion du litige soumis au juge.
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Terrena au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Treillières est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Terrena présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Treillières et à la société Terrena.
Délibéré après l'audience du 26 avril 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 mai 2022.
Le rapporteur,
F.-X. A...
Le président,
A. Pérez
La greffière,
K. Bouron
La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT00627