Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 4 octobre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision prise le 11 mars 2020 par les autorités consulaires françaises à Alger (Algérie) refusant de lui délivrer un visa de long séjour.
Par un jugement no 2012027 du 31 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. A... un visa de long séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- c'est à tort que le jugement attaqué a considéré que la décision contestée était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- à titre subsidiaire, le motif tiré de l'absence de nécessité d'un séjour permanent en France doit être substitué aux motifs de la décision contestée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2022, M. A..., représenté par Me Le Gloan, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'État la somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A..., ressortissant algérien né le 1er janvier 1963 à Ouadhias (Algérie), a présenté une demande de visa de long séjour auprès des autorités consulaires françaises à Alger. Par une décision en date du 11 mars 2020, ces autorités ont refusé de lui délivrer le visa sollicité. Par une décision implicite née le 4 octobre 2020, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes, à la demande de M. A..., a annulé la décision de la commission de recours et lui a enjoint de délivrer à l'intéressé le visa sollicité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En l'absence de toute disposition conventionnelle, législative ou réglementaire déterminant les cas où un visa peut être refusé à un étranger désirant se rendre en France, et eu égard à la nature d'une telle décision, les autorités françaises disposent d'un large pouvoir d'appréciation à cet égard, et peuvent se fonder non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public mais aussi sur toute considération d'intérêt général.
3. Il ressort du mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur que, pour refuser de délivrer à M. A... le visa sollicité, la commission de recours s'est fondée, d'une part, sur le caractère complaisant de la nomination du demandeur de visa comme co-gérant de la société " Simplogistique ", révélant ainsi un risque de détournement de l'objet du visa, et, d'autre part, sur le caractère insuffisant des ressources générées par l'activité de l'entreprise dont il assume la cogérance.
4. M. A... soutient qu'il souhaite développer l'activité de la société " Simplogistique ", fondée par son fils en 2018 et spécialisée dans le transport de marchandises, dont il détient 40 % des parts sociales et pour laquelle il exerce les fonctions de co-gérant depuis le 22 octobre 2019. Il ressort des pièces du dossier que cette société a réalisé un chiffre d'affaire de 129 104 euros en 2019 et de 302 945 euros en 2020, et qu'elle a dégagé, après rémunération de ses salariés et ses co-gérants, un bénéfice de 9 374 euros et de 14 095 euros au titre de ces deux derniers exercices. En outre, M. A... justifie avoir été rémunéré, pour l'exercice de son activité de co-gérant, à hauteur de 11 000 euros au titre des deux derniers mois de l'année 2019 et de 1 500 euros par mois en moyenne sur la période allant du 1er janvier 2020 à la date de la décision attaquée, le 4 octobre 2020. Dès lors, M. A... démontre, par les pièces qu'il produit, que la société dont il assume la co-gérance dispose d'une capacité financière suffisante pour lui verser des revenus permettant de lui procurer des moyens d'existence suffisants lors de son séjour en France. Par ailleurs, si le ministre de l'intérieur fait valoir que M. A... a déclaré exercer la profession d'agriculteur lors de ses précédentes demandes de visa entre 2016 et mai 2019, qu'il ne justifie d'aucune formation ou expérience en matière de gestion, management ou transport et déménagement et que sa nomination en qualité de co-gérant de l'entreprise créée par son fils a eu lieu de façon opportune trois mois avant sa demande de visa, ces circonstances ne sont pas suffisantes pour démontrer le caractère complaisant de sa nomination en qualité de co-gérant de la société " Simplogistique ", de création récente. De même, la circonstance que l'entreprise ait versé plusieurs mois de rémunération ainsi qu'un bonus important à M. A... alors qu'il n'avait pas quitté l'Algérie ne permet pas, en l'espèce, de considérer que l'emploi offert au demandeur par son fils aurait un caractère fictif, et donc qu'il existerait un risque de détournement de l'objet du visa. Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en refusant, pour les motifs cités au point 3, de délivrer un visa de long séjour à M. A....
5. Néanmoins, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur fait valoir, dans sa requête d'appel communiquée à M. A..., un autre motif tiré de l'absence de nécessité d'un séjour permanent en France pour exercer ses fonctions de co-gérant.
7. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit, que M. A... a bénéficié d'une rémunération importante en qualité de co-gérant alors qu'il résidait en Algérie. Le ministre de l'intérieur en déduit, sans être contredit, que l'activité de co-gérance du demandeur peut être exercée de façon délocalisée, et donc que M. A... ne justifie pas de la nécessité d'un séjour permanent en France pour assurer cette co-gestion.
8. Il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur ce seul motif, qui ne prive le demandeur d'aucune garantie procédurale liée au motif substitué. Il y a donc lieu de faire droit à la substitution de motifs demandée.
9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
10. En premier lieu, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ".
11. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... ait demandé communication des motifs de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par suite, il ne peut utilement soutenir que cette décision est insuffisamment motivée.
12. En deuxième lieu, M. A... ne peut utilement soutenir que son dossier de demande de visa était complet et qu'il disposait d'une affiliation à l'assurance maladie, dès lors que ces éléments sont sans lien avec les motifs qui fondent la décision de refus de visa.
13. En dernier lieu, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée est privée de base légale.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer à M. A... un visa de long séjour.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui à l'occasion du litige soumis au juge.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 mai 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Douet, présidente de la formation de jugement,
- M. Bréchot, premier conseiller,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er juin 2022.
Le rapporteur,
F.-X. B...La présidente,
H. Douet
La greffière,
A. Lemée
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT01934