Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. K... G..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal des enfants B... E... et C... A... G..., M... I... G... et M... H... J... G..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 11 mars 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra Leone refusant de délivrer à Mme H... J... G..., Mme I... G... et aux enfants B... E... et C... A... G... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2107462 du 6 janvier 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 11 mars 2020 et enjoint au ministre de réexaminer la demande de visas dans le délai d'un mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 janvier 2022 sous le n°22NT00274, le ministre de l'intérieur, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 janvier 2022 ;
2°) de rejeter la demande de M. G... et autres.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit ;
- la possession de deux actes de naissance pour chacun des enfants de M. G... est de nature à remettre en cause le caractère probant de ces documents alors même que l'identité et l'état civil des intéressés tels que mentionnés sur ces documents seraient cohérents ;
- le motif de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France tiré du caractère partiel de la réunification familiale est légal et suffit à lui seul à justifier cette décision.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2022, M. K... G..., agissant en son nom propre et pour le compte de l'enfant Aïssa B.B. G..., Mme I... G..., M. B... E... G... et Mme H... J... G..., représentés par Me Pollono concluent :
- au rejet de la requête ;
- à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités ou, à défaut, de réexaminer la demande de visas dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
- à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à leur conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la requête d'appel ne critique pas le jugement et est par suite irrecevable ;
- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
M. G... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Me Neve, substituant Me Pollono, représentant M. et Mmes G....
Considérant ce qui suit :
1. M. K... G..., ressortissant guinéen, a obtenu la reconnaissance de la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 13 octobre 2015. Le 21 août 2019 des demandes de visas sont déposées auprès de l'autorité consulaire française à Conakry pour Mme H... J... G... et les enfants I..., B... E... et C... B.B. Par une décision du 11 mars 2020, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France confirme le refus de visa opposé par les autorités consulaires. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement n° 2107462 du 6 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 11 mars 2020 et enjoint de réexaminer, dans le délai d'un mois, la demande de visas déposée pour Mme H... G..., Mme I... G..., M. B... E... G..., désormais majeurs et la jeune C... A...B G....
Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête :
2. Conformément aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, la requête du ministre de l'intérieur contient l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge, qui tendent à l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par conséquent, la fin de non-recevoir opposée par les requérants, tirée de ce que le ministre de l'intérieur ne critique pas la matérialité des faits constatés par les premiers juges, doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable, désormais codifié aux articles L. 561-2 et suivants du même code : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable, désormais codifié à l'article L. 434-1 du même code : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. "
4. Pour rejeter le recours formé devant elle, la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que les actes de naissance produits pour les enfants I..., B... E... et C... A... G... ne correspondent pas à ceux fournis aux autorités guinéennes lors de la demande d'établissement du passeport biométrique et, d'autre part, du caractère partiel de la réunification familiale, aucune demande n'ayant été déposée pour l'enfant Abdoul L... G..., né en 2011.
5. Il est constant qu'aucune demande de visa n'a été déposée pour le jeune F... L... G..., né le 3 juillet 2011. M. G... a signalé, dans le formulaire de demande de réunification familiale, que l'enfant résidait chez ses grands-parents depuis sa naissance et a mentionné, sans explications circonstanciées, qu'il ne pouvait " le récupérer ". Il ressort par ailleurs de l'attestation du grand-père de l'enfant qu'il " tâche de veiller sur lui et [s]'assure qu'il ait une bonne santé ". Ces éléments ne constituent pas des motifs tenant à l'intérêt des enfants, de nature à justifier le regroupement familial partiel. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif, qui suffisait à lui seul à justifier la décision attaquée.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a, pour annuler la décision en litige, retenu le moyen tiré de l'inexacte application des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. G... et autres tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.
8. En premier lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes de la décision attaquée que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne se serait pas livrée à un examen particulier de la demande de visas ou se serait sentie en situation de compétence liée.
9. En deuxième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et, en tout état de cause de l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent être écartés pour les motifs énoncés au point 5 et le moyen tiré de la méconnaissance des articles 9 et 10 de cette même convention ne peut être utilement invoqué à l'appui de conclusions tendant à l'annulation d'une décision individuelle ou réglementaire dès lors que ces stipulations ne produisent pas d'effet direct à l'égard des particuliers.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
11. La décision contestée n'a pas pour objet, en elle-même, d'interdire la réunification familiale souhaitée par les requérants qui ont la possibilité de déposer un dossier pour l'ensemble des enfants âgés au plus de dix-neuf ans. Par suite, ils ne sont pas fondés à soutenir que la décision contestée porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 11 mars 2020.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui annule le jugement du tribunal administratif de Nantes et qui rejette la demande de M. G... et autres, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions des intéressés tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de faire droit aux demandes de visa long séjour ou de réexaminer leur demande doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au conseil des requérants de la somme que ceux-ci demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 janvier 2022 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. G... et autres devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que leurs conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. K... G..., à Mme H... J... G..., à Mme I... G... et à M. B... E... G....
Délibéré après l'audience du 7 juin 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2022.
La rapporteure,
H. D...
Le président,
A. PÉREZ
La greffière,
A. LEMEE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00274