La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/03/1994 | FRANCE | N°92PA01008

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1e chambre, 01 mars 1994, 92PA01008


VU la requête, enregistrée le 21 août 1992 au greffe de la cour, présentée pour Mme X, demeurant route de Gouddes, 41700 Choussy, agissant tant en son nom propre qu'au nom de ses enfants mineurs Paul et Pierre, par Me BERNARD, avocat à la cour ; Mme X demande à la cour d'annuler le jugement n° 9101710/4 du 13 mai 1992 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a limité l'indemnité mise à la charge de l'Etat à 300.000 F en réparation du préjudice subi du fait de la contamination de son mari par le virus de l'immuno-déficience humaine et de son décès le 6 octobre 1989 ;> VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la santé publiqu...

VU la requête, enregistrée le 21 août 1992 au greffe de la cour, présentée pour Mme X, demeurant route de Gouddes, 41700 Choussy, agissant tant en son nom propre qu'au nom de ses enfants mineurs Paul et Pierre, par Me BERNARD, avocat à la cour ; Mme X demande à la cour d'annuler le jugement n° 9101710/4 du 13 mai 1992 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a limité l'indemnité mise à la charge de l'Etat à 300.000 F en réparation du préjudice subi du fait de la contamination de son mari par le virus de l'immuno-déficience humaine et de son décès le 6 octobre 1989 ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU le décret n° 54-65 du 16 janvier 1954 modifié ; VU la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
VU le décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 modifié ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 février 1994 :
- le rapport de Mme LACKMANN,
- et les conclusions de M. DACRE-WRIGHT, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que la requête de Mme X doit être regardée comme tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser, d'une part, au titre du préjudice spécifique de contamination par le virus de l'immunodéficience humaine de son époux M. X, décédé le 6 octobre 1989, et d'autre part, au titre de son préjudice personnel et de celui de ses enfants mineurs ;
Sur la responsabilité :
Considérant que les articles L.666 et suivants du code de la santé publique dans leur rédaction en vigueur à la date du jugement attaqué et les dispositions du décret du 16 janvier 1954 modifié pris pour leur application ont déterminé les conditions dans lesquelles peuvent être opérés le prélèvement du sang humain et la préparation, la conservation et la délivrance des produits dérivés du sang humain et ont confié à des établissements de transfusion sanguine non lucratifs, placés sous contrôle de l'Etat, l'exécution des missions ainsi définies ; que notamment les attributions des centres de transfusion sont énumérées par le décret susmentionné ; que la composition de leur conseil d'administration est fixée par ledit décret, et que le directeur de chaque centre est agréé par le ministre ; que l'organisation générale de la transfusion sanguine est assurée, dans chaque département, où il ne peut exister en principe qu'un centre de transfusion, sous l'autorité du préfet par le directeur départemental de la santé ; qu'enfin le ministre de la santé est seul chargé, aux termes de l'article L.666, de réglementer les conditions de prélèvement et l'utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés ; qu'ainsi, eu égard tant à l'étendue des pouvoirs que ces dispositions confèrent aux services de l'Etat en ce qui concerne l'organisation générale du service public de la transfusion sanguine, le contrôle des établissements qui sont chargés de son exécution et l'édiction des règles propres à assurer la qualité du sang humain, de son plasma et de ses dérivés, qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués, la responsabilité de l'Etat peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice desdites attributions ; que, par suite, l'Etat n'est pas fondé à soutenir que sa responsabilité ne pouvait être engagée qu'en cas de faute lourde ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le risque de contamination par le virus de l'immunodéficience humaine par la voie de la transfusion sanguine était tenu pour établi par la communauté scientifique dès novembre 1983 et que l'efficacité du procédé du chauffage pour inactiver le virus était reconnue au sein de cette communauté dès octobre 1984, tandis qu'il était admis, à cette époque, qu'au moins 10 % des personnes séropositives contractent le syndrome de l'immunodéficience acquise dans les cinq ans et que l'issue de cette maladie est fatale dans au moins 70 % des cas ; que ces faits ont été consignés le 22 novembre 1984 par le docteur Brunet, épidémiologiste à la direction générale de la santé, dans un rapport soumis à la commission consultative de la transfusion sanguine ; qu'eu égard au caractère contradictoire et incertain des informations antérieurement disponibles tant sur l'évolution de la maladie que sur les techniques susceptibles d'être utilisées pour en éviter la transmission, il ne peut être reproché à l'administration de n'avoir pas pris avant cette date de mesures propres à limiter les risques de contami-nation par transfusion sanguine, notamment en interdisant la délivrance des produits sanguins non chauffés, en informant les hémophiles et leurs médecins des risques encourus, ou en mettant en place des tests de dépistage du virus sur les dons de sang et une sélection des dons ; qu'en revanche, il appartenait à l'autorité administrative, informée à ladite date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l'existence d'un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d'y parer par l'utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d'interdire, sans attendre d'avoir la certitude que tous les lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux, comme elle pouvait le faire par arrêté ministériel pris sur le fondement de l'article L.669 du code de la santé publique ; qu'une telle mesure n'a été prise que par une circulaire dont il n'est pas établi qu'elle ait été diffusée avant le 20 octobre 1985 ; que cette carence fautive de l'administration est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ;
Considérant que l'Etat ne peut s'exonérer de la responsabilité ainsi encourue en invoquant des fautes commises dans la prescription et la délivrance des produits sanguins contaminés par les établissements de transfusion sanguine ; qu'il appartient seulement à l'Etat d'exercer, s'il s'y croit fondé, une action récursoire à l'encontre d'un centre de transfusion sanguine sur la base de fautes imputables à celui-ci et ayant concouru à la réalisation du dommage ; qu'il suit de là que la responsabilité de l'Etat est intégralement engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la séropositivité de M. X qui, à la date du 5 octobre 1984, n'était pas porteur d'anticorps révélant l'existence du virus d'immunodéficience humaine, a été révélée le 5 juillet 1985 et qu'il n'est pas contesté qu'il a subi des transfusions de produits sanguins non chauffés le 16 mai 1985 ; que, dès lors, le ministre de la santé et de l'action humanitaire n'est pas fondé à soutenir par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée en raison des conséquences dommageables de cette transfusion ;
Sur la réparation :
En ce qui concerne le préjudice personnel subi par Mme X et ses enfants :
Considérant qu'en fixant à 200.000 F et 50.000 F les indemnités dues par l'Etat à Mme X et à chacun de ses enfants, le tribunal administratif n'a pas fait une insuffisante évaluation du préjudice personnel qu'ils ont subi en raison du décès de M. Edouard X ;
En ce qui concerne le préjudice spécifique de contamination de M. X :
Considérant que les conclusions de Mme X tendant à être indemnisée, à titre successoral, du préjudice spécifique de contamination subi par son conjoint sont nouvelles en appel et donc irrecevables ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a limité à 300.000 F l'indemnité qui lui est due au titre du préjudice personnel subi par elle-même et ses deux enfants ;
Sur l'application des dispositions de l'arti-cle L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que l'article L.8-1 précité dispose : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens" ; que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à Mme X la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Sur la subrogation de l'Etat :
Considérant qu'il y a lieu de subroger l'Etat dans les droits de Mme X à l'encontre de toute personne reconnue coauteur du dommage ;
Article 1er : L'Etat est subrogé dans les droits de Mme X à l'encontre de toute personne reconnue coauteur du dommage.
Article 2 : Le jugement n° 9101710/4 du 13 mai 1992 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La requête de Mme X et les conclusions incidentes du ministre de la santé et de l'action humanitaire sont rejetées.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1e chambre
Numéro d'arrêt : 92PA01008
Date de la décision : 01/03/1994
Type d'affaire : Administrative

Analyses

POLICE ADMINISTRATIVE - POLICES SPECIALES - POLICE SANITAIRE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE.

SANTE PUBLIQUE - UTILISATION THERAPEUTIQUE DE PRODUITS D'ORIGINE HUMAINE.


Références :

Code de la santé publique L666, L669
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1
Décret 54-65 du 16 janvier 1954


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme LACKMANN
Rapporteur public ?: M. DACRE-WRIGHT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1994-03-01;92pa01008 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award