(1ère Chambre)
VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 24 mars 1995, présentée par le MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PECHE ; le ministre demande à la cour ;
1 ) d'annuler le jugement n 9213867/3 du 28 décembre 1994 par lequel le tribunal administratif de Paris a ordonné un supplément d'instruction aux fins de faire produire par la société Honfood les justificatifs des préjudices qu'elle a subis ;
2) de rejeter la demande présentée par la société Honfood devant le tribunal administratif de Paris ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la loi n 83-8 du 7 janvier 1983 ;
VU le code rural, notamment ses articles 258, 259 et 262 ;
VU le décret n 71-636 du 21 juillet 1971 modifié ;
VU les arrêtés ministériels du 21 décembre 1979, du 20 novembre 1980 et du 16 octobre 1986 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 janvier 1997 :
- le rapport de M. DACRE-WRIGHT, conseiller,
- et les conclusions de Mme PHEMOLANT, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que la société Honfood, société belge, a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à l'indemniser du préjudice résultant des conditions dans lesquelles des foies gras importés par elle de Hongrie et exportés en France ont été interceptés par des manifestants dans le sud-ouest de la France et ont fait l'objet d'inspections sanitaires systématiques entre le mois de novembre 1990 et le mois de mars 1991 ; que, par le jugement attaqué, le tribunal, après avoir écarté toute responsabilité de l'Etat du fait des manifestations, a estimé que cette responsabilité était engagée envers la société à raison du détournement de pouvoir constitué tant par les conditions dans lesquelles les contrôles sanitaires avaient été mis en oeuvre que par les circonstances de leur exécution, puis a ordonné un supplément d'instruction afin de permettre à la société de justifier les conséquences effectives de chacun des contrôles incriminés ;
Sur l'appel principal :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 21 juillet 1971, pris pour l'application des articles 258, 259 et 262 du code rural et relatif à l'inspection sanitaire et qualitative des animaux vivants et des denrées animales ou d'origine animale : "Sont soumis aux dispositions du présent décret : ... III - les denrées d'origine animale ...", et qu'aux termes de l'article 15 du même décret : "A leur entrée en France, les denrées mentionnnées à l'article 1er du présent décret ... doivent faire l'objet d'une inspection sanitaire et qualitative par les agents des services vétérinaires et des autres services habilités à cet effet" ; que l'arrêté ministériel du 16 octobre 1986 susvisé, pris pour application de l'article 3 du même décret, précise d'une part, en son article 1er, qu'il s'applique notamment aux "foies de volailles frais, réfrigérés, congelés ..." et, d'autre part, en son article 2, que : "l'importation des denrées ... d'origine animale visées à l'article 1er est subordonnée à une inspection sanitaire et qualitative favorable, effectuée dans un bureau de douane ..." ; qu'il résulte de ces dispositions combinées que toute importation en France de foies gras de volailles doit faire l'objet de contrôles sanitaires sur l'opportunité desquels l'administration ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation ; que, par suite, même si la décision de renforcer les inspections sanitaires des chargements de foies gras importés a été prise en novembre 1990, à une époque où les fabricants de foies gras français et leurs organisations syndicales s'efforçaient, en particulier en interceptant ces chargements, d'obtenir un arrêt ou une réduction importante des importations, et où la Communauté européenne avait refusé d'accorder à la France le bénéfice d'une clause de sauvegarde sollicitée à raison de ces mécontentements, ladite décision ne peut être interprétée comme une volonté des pouvoirs publics de contourner le refus communautaire ni constituer un détournement de pouvoir dès lors qu'il a simplement été exigé ainsi des services concernés la stricte application des prescriptions légales précitées, sans que puisse y faire obstacle la circonstance, alléguée par la société Honfood, que ses produits avaient déjà fait l'objet d'un contrôle sanitaire aux frontières communautaires ; qu'il suit de là que le ministre appelant est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, pour décider que la responsabilité de l'Etat était engagée envers cette société, ont retenu le motif tiré d'un détournement de pouvoir commis par l'administration ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par la société Honfood tant devant la cour que devant le tribunal administratif ;
Considérant que si la société Honfood soutient que la responsabilité de l'Etat est engagée envers elle sur le fondement de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 en raison des actions menées à l'encontre de ses marchandises par des manifestants opposés à l'importation de foies gras étrangers, il y a lieu de rejeter ce moyen par adoption du motif du jugement attaqué sur ce point ;
Considérant que si la société soutient également que la responsabilité de l'Etat est engagée à son égard sur le fondement de la violation du principe de l'égalité devant les charges publiques et produit à cette fin une pièce faisant état d'une "dérogation" accordée à une société de transport pour "livrer la marchandise", cette pièce n'établit pas, à elle seule, en raison de son manque de précision, l'existence d'un traitement différent par l'administration d'importateurs se trouvant dans la même situtation, alors que le ministre démontre qu'à cette époque les contrôles ont été effectués de façon systématique et ont, d'ailleurs, révélé le caractère impropre à la consommation de foies gras provenant de six pays étrangers dont la Hongrie ; que le moyen doit, ainsi, être écarté ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit précédemment les inspections sanitaires de foies gras importés sont obligatoires ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les contrôles pratiqués sur les produits de la société Honfood étaient injustifiés lorsque leurs résultats se sont avérés négatifs, doit être écarté ;
Considérant que le moyen tiré par cette société de ce que des foies gras français présentaient un caractère impropre à la consommation est inopérant en raison du caractère légalement justifié des contrôles pratiqués sur les foies gras importés ;
Considérant que si ladite société soutient que les inspections sanitaires de ses marchandises ont duré un temps excessif, elle ne le démontre pas ; que le moyen tiré par elle du caractère fautif, pour cette raison, de ces inspections, doit donc être écarté ;
Considérant, enfin, que la société Honfood fait valoir, d'une part, que, le 24 décembre 1990, un camion transportant 5.389 kg de marchandises lui appartenant a été renvoyé en Belgique par le service vétérinaire de Périgueux sans qu'aucun contrôle n'ait été effectué et qu'en conséquence la marchandise a dû être congelée, le 26 décembre suivant, à son retour en Belgique, et, d'autre part, qu'à deux reprises des chargements ont été refoulés à la frontière alors que les contrôles se sont avérés négatifs ; que ces affirmations, à l'appui desquelles la société Honfood ne produit aucune pièce probante, sont contestées par l'administration ; que, par suite, les faits invoqués ne peuvent être regardés comme établis et ne sauraient, par voie de conséquence, démontrer l'existence de fautes commises par l'administration à son détriment ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PECHE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris, après avoir estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée envers la société Honfood, a ordonné un supplément d'instruction aux fins de production par elle des pièces de nature à établir l'ampleur de son préjudice ;
Sur l'appel incident :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Honfood tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 10.839.600 F doivent être rejetées ;
Sur l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que la société Honfood succombe dans la présente instance ; que sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme au titre des frais qu'elle a exposés doit, en conséquence, être rejetée ;
Article 1er : Le jugement n 9213867/3 du 28 décembre 1994 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Honfood devant le tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions incidentes sont rejetées.