VU l'ordonnance en date du 20 mars 1996, enregistrée au greffe de la cour le 29 mai 1996, par laquelle le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour, en application de l'article R.80 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la requête présentée pour M. B. ;
VU la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 26 janvier 1996, et le mémoire complémentaire, enregistré le 20 mai 1996, présentés pour M. B., demeurant ..., par Me X., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; M. B. demande que le Conseil d'Etat :
1 ) annule le jugement n s 9005619-9005618-9005615-9005616-9005617-9005614-9005497 et 9005496/4 du 9 décembre 1994 du tribunal administratif de Paris en tant que ce jugement a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du 16 mai 1982 l'envoyant d'urgence à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, de la décision du 16 septembre 1989 le plaçant d'office au centre hospitalier spécialisé de Y, de la décision d'admission au centre hospitalier spécialisé de Y, de l'acte du responsable de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris le séquestrant vingt-quatre heures, de l'arrêté de placement d'office du 16 septembre 1989 et de l'acte par lequel le directeur du centre hospitalier spécialisé de W. l'a admis et l'a maintenu dans cet établissement du 15 au 21 novembre 1989 ;
2 ) annule lesdites décisions ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
VU le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ouvert à la signature à New-York le 19 décembre 1966 ;
VU la loi du 11 juillet 1979 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 juin 1998 :
- le rapport de M. RATOULY, président,
- les observations de Me X, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour M. B. et celles de la SCP Z. avocat, pour le centre hospitalier spécialisé de Y,
- et les conclusions de Mme HEERS, commissaire du Gouvernement ;
Sur l'intervention du groupe information asiles :
Considérant que, malgré l'invitation qui a été faite à M. L. le 29 janvier 1998 par le greffier en chef de la cour de faire parvenir à cette dernière une copie du mémoire en intervention du groupe information asiles signée par le président de l'association, celle-ci n'a pas régularisé son intervention ; que, par suite, l'intervention du groupe information asiles n'est pas recevable ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision du 16 mai 1982 du commissaire principal de police ordonnant le transfert de M. B. à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris :
Considérant qu'aux termes de l'article L.344 du code de la santé publique dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : "En cas de danger imminent, attesté par le certificat d'un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police à Paris et les maires dans les autres communes, ordonneront, à l'égard des personnes atteintes d'aliénation mentale, toutes les mesures provisoires nécessaires, à la charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au préfet, qui statuera sans délai" ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 11 juillet 1979 : " ... doivent être motivées les décisions qui restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police" et que, selon l'article 3 de la même loi, la motivation ainsi exigée "doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision" ;
Considérant que le procès-verbal établi le 16 mai 1982 par le commissaire principal de police, chef adjoint de la 2ème brigade territoriale, qui décide, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L.344 du code de la santé publique, le transfert pour examen médical de M. B. à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, indique que l'intéressé a été examiné par un médecin qui a constaté qu'apparaissaient des troubles psychologiques patents et précise dans quelles conditions M. B. s'était précipité sur le Chef de l'Etat ; que le procès-verbal vise l'article L.344 du code de la santé publique et ajoute que le requérant est dangereux pour lui-même et pour autrui ; qu'ainsi, la décision contestée satisfait, en tout état de cause, aux exigences des dispositions précitées de la loi du 11 juillet 1979 ;
Considérant que la circonstance que ledit procès-verbal fasse état d'une procédure établie contre M. B. à la suite de menaces verbales qu'il avait proférées à l'encontre du Chef de l'Etat et comporte la mention "conformément aux prescriptions de Monsieur le Procureur de la République" n'est pas de nature à établir que le commissaire principal de police n'a pas agi dans le cadre des dispositions de l'article L.344 du code de la santé publique ;
Considérant, enfin, qu'il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire d'apprécier la nécessité des mesures prises sur le fondement des dispositions de l'article L.344 du code de la santé publique ; que, par suite, M. B. ne saurait utilement mettre en cause devant la juridiction administrative le bien-fondé des motifs au vu desquels la décision du commissaire principal de police est intervenue ;
Sur les conclusions dirigées contre la mesure d'admission à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police :
Considérant qu'en admettant M. B. à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris et en l'y maintenant vingt-quatre heures, le chef de ce service s'est borné à exécuter l'ordre donné le 16 septembre 1989 par le commissaire de police de V. sur le fondement de l'article L.344 précité du code de la santé publique et n'a pris par lui-même aucune décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que les conclusions susvisées sont donc irrecevables ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 16 septembre 1989 du préfet du Val-de-Marne et les mesures prises pour son application :
En ce qui concerne l'arrêté préfectoral :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dont la ratification a été autorisée par la loi du 31 décembre 1973 et qui a été publiée au Journal officiel par décret du 3 mai 1974 : "1- Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : ...e) s'il s'agit de la détention régulière ... d'un aliéné ... 2- Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle." et qu'aux termes de l'article 9 du Pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques dont la ratification a été autorisée par la loi du 25 juin 1980 et qui a été publiée au Journal officiel par décret du 29 janvier 1981 : "1- Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraires. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. 2- Tout individu arrêté, sera informé au moment de son arrestation, des raisons de son arrestation ..." ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L.343 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi du 30 juin 1838 : "A Paris, le préfet de police et, dans les autres départements, les préfets ordonneront d'office le placement, dans un établissement d'aliénés, de toute personne interdite ou non interdite, dont l'état d'aliénation compromettrait l'ordre public ou la sûreté des personnes. Les ordres des préfets seront motivés et devront énoncer les circonstances qui les auront rendus nécessaires." ;
Considérant que les conventions internationales précitées, lesquelles sont l'une et l'autre applicables aux personnes privées de liberté en raison de leur état mental, font obligation à l'autorité administrative, investie par l'article L.343 précité du code de la santé publique du pouvoir d'ordonner le placement d'office d'une personne en état d'aliénation, de porter à la connaissance de celle-ci les motifs de cette mesure ; qu'en l'absence de toute disposition en ce sens dans l'article L.343, il appartenait à l'autorité administrative, pour satisfaire à cette obligation, de recourir aux moyens appropriés à l'état de la personne concernée ; qu'il n'est ni établi, ni même allégué, que l'état de M. B. le 16 septembre 1989 ou les jours suivants eût rendu vain ou impossible l'accomplissement de cette formalité ; qu'ainsi en s'abstenant, dans son arrêté du 16 septembre 1989, d'imposer que les motifs de la mesure qu'il prescrivait à l'encontre de M. B. fussent portés à la connaissance de ce dernier, le préfet a entaché ledit arrêté d'un vice qui, eu égard aux termes des conventions internationales précitées, est de nature à entraîner son annulation ;
En ce qui concerne les mesures d'exécution de l'arrêté préfectoral :
Considérant qu'en autorisant la sortie de M. B. afin que celui-ci pût être interné au centre hospitalier de Y., le responsable de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris s'est borné à exécuter l'arrêté en date du 16 septembre 1989 par lequel le préfet du Val-de-Marne a prescrit, sur le fondement de l'article L.343 du code de la santé publique, le placement d'office de M. B. à Villejuif et n'a pas pris lui-même de décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; qu'en admettant M. B. dans son établissement du 15 au 21 novembre 1989, avant de le transférer à Y. d'où il s'était enfui, le directeur du centre hospitalier de P. s'est également borné à exécuter l'arrêté susmentionné du préfet du Val-de-Marne et n'a pris aucune décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que les mesures qui ont été ainsi prises ne perdent pas leur caractère d'actes ne faisant pas grief du fait que, postérieurement à la date de leur intervention, l'arrêté prononçant le placement d'office est annulé par le juge administratif ; qu'ainsi les conclusions dirigées contre ces prétendues décisions sont irrecevables ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B. n'est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué qu'en tant que ce dernier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Val-de-Marne en date du 16 septembre 1989 ordonnant son placement d'office au centre hospitalier spécialisé de Y. ;
Sur les conclusions relatives aux frais irrépétibles de première instance :
Considérant que, contrairement à ce que soutient M. B., il n'a pas demandé, en première instance, la condamnation de la commune de B. à lui rembourser ses frais irrépétibles ; que, par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur ce point ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etat à payer à M. B. la somme de 15.000 F ;
Article 1er : L'intervention du groupe information asiles n'est pas admise.
Article 2 : L'arrêté en date du 16 septembre 1989 du préfet du Val-de-Marne ordonnant le placement d'office de M. B. au centre hospitalier spécialisé de Y. est annulé.
Article 3 : Le jugement du 9 décembre 1994 du tribunal administratif de Paris est, dans cette mesure, annulé.
Article 4 : L'Etat est condamné à payer à M. B. la somme de 15.000 F en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B. est rejeté.