VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 6 novembre 1996, présentée pour M. Amadou X..., domicilié au siège de l'Association des combattants de l'Union française (ACUF), BP 11305 à Dakar au Sénégal, par Me Y..., avocat ; M. X... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n s 9208060/3, 9500166/3, 9505088/3 à 9505096/3, 9506010/3, 9506256/3, 9509560/3 à 9509563/3, 9509565/3 à 9509580/3, 9510978/3, 9510985/3, 9517243/3 à 9517246/3, 9518560/3 à 9518566/3 et 9601032/3 du 17 juillet 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa réclamation visant à la revalorisation de sa pension militaire de retraite et de versement des arrérages qu'il estimait lui être dus, augmentés des intérêts capitalisés ;
2°) d'annuler cette décision ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
VU le Pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques, ensemble le protocole facultatif s'y rapportant ;
VU le Pacte international de New-York relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
VU le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
VU le code des pensions militaires d'invalidité et victimes de guerre ;
VU la loi n 59-1454 du 26 décembre 1959 et notamment son article 71 ;
VU la loi n n 74-1129 du 30 décembre 1974 et notamment son article 63 ;
VU la loi n 79-1102 du 21 décembre 1979 et notamment son article 14 ;
VU la loi n 81-1179 du 31 décembre 1981 et notamment son article 22 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n°87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 juin 1999 :
- le rapport de M. LEVASSEUR , premier conseiller,
- et les conclusions de Mme PHEMOLANT, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que, par le jugement attaqué en date du 17 juillet 1996, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande qui lui était présentée par M. X..., ressortissant sénégalais, tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa réclamation de revalorisation de sa pension militaire de retraite et de versement des arrérages qu'il estimait lui être dus, augmentés des intérêts capitalisés ;
Sur la recevabilité du moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées avec celles de l'article 1er du protocole additionnel :
Considérant que le moyen tiré de ce que la différence de traitement entre les ressortissants français et étrangers instituée par les dispositions législatives et réglementaires du droit interne français constitue une discrimination incompatible avec les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que lesdites dispositions législatives ne peuvent, en conséquence, être opposées au requérant, appartient à la même cause juridique que le moyen présenté dans le mémoire introductif d'instance et tiré de l'incompatibilité, pour les mêmes motifs, des mêmes dispositions législatives avec le Pacte international susvisé, relatif aux droits civils et politiques, ouvert à la signature à New-York le 19 décembre 1966 ; qu'il suit de là que le ministre n'est pas fondé à soutenir que ce moyen, soulevé pour la première fois dans un mémoire enregistré le 19 juin 1998, constitue une demande nouvelle irrecevable en appel ;
Sur la légalité du refus de revalorisation de la pension de M. X... et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959, de l'article 63 de la loi du 30 décembre 1974, de l'article 14 de la loi du 21 décembre 1979 et de l'article 22 de la loi du 31 décembre 1981, qu'à compter du 1er janvier 1975, les pensions imputées sur le budget de l'Etat dont étaient titulaires les nationaux des Etats auxquels ces textes se réfèrent ont été remplacées par des indemnités qui ne sont plus susceptibles d'être revalorisées dans les conditions prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France en application de la loi du 31 décembre 1973 et publiée au Journal officiel par décret du 3 mai 1974 : "Les Hautes Parties Contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au Titre I de la présente Convention" ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : "La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation" ; que l'article 1er du protocole additionnel à la convention stipule : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. - Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes" ;
Considérant que la validité des créances sur l'Etat français dont se prévalent des étrangers résidant hors du territoire national est soumise à la reconnaissance juridique des autorités françaises ; que, par suite, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas fondé à soutenir que lesdits étrangers ne relèveraient pas de la juridiction de la France, au sens de l'article 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pour ce qui est relatif aux pensions qui leur ont été concédées en qualité d'anciens militaires de l'armée française ;
Considérant que les pensions dont bénéficient les agents publics énumérés par l'article L.1 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction issue de la loi du 20 septembre 1948, applicable en l'espèce, sont des allocations pécuniaires personnelles et viagères auxquelles leur donnent droit les services qu'ils ont accomplis jusqu'à la cessation régulière de leurs fonctions ; qu'ainsi, une pension est un bien au sens des stipulations précitées de l'article 1er du protocole additionnel à la convention ;
Considérant qu'une distinction est discriminatoire au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est à dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas de justification raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X... a été engagé dans l'armée française à compter du 4 février 1937, qu'il a été titularisé auxiliaire de gendarmerie le 1er juillet 1947 et rayé des contrôles avec le rang de sergent chef le 1er avril 1959 ; qu'en rémunération de ces services, une pension militaire de retraite lui a été concédée à compter de ce jour au taux proportionnel en vigueur pour tous les agents de nationalité française ; que, toutefois, en application des dispositions législatives précédemment rappelées, sa pension a été ultérieurement cristallisée au 2 janvier 1975 et remplacée par une indemnité insusceptible d'être revalorisée dans les conditions prévues par le code ; qu'il résulte de l'instruction qu'alors qu'il se trouve dans une situation analogue à celle des militaires français au regard des autres critères fixés par le code des pensions civiles et militaires de l'Etat pour la liquidation des pensions, le refus de lui verser sa pension au même taux que les agents français repose exclusivement sur le constat qu'il ne possède pas la nationalité française ; qu'il résulte notamment des écritures du ministre que le montant de l'indemnité que perçoit actuellement M. X... est inférieur au tiers de la pension dont il pourrait bénéficier s'il avait acquis ou recouvré la nationalité française ; qu'une telle différence de traitement entre agents français et étrangers ne repose sur aucune justification objective et raisonnable ; qu'ainsi, M. X... est fondé à soutenir que l'application qui lui a été faite des dispositions susanalysées de la loi du 26 décembre 1959 ainsi que des dispositions législatives susmentionnées est incompatible avec les stipulations précédemment rappelées de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en conséquence, c'est à tort que le ministre de la défense lui a opposé ces dispositions législatives pour lui refuser les revalorisations qu'il sollicitait ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... est fondé à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de revalorisation de sa pension militaire de retraite ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 17 juillet 1996 et la décision implicite par laquelle le ministre de la défense a rejeté la réclamation de M. X... tendant à la revalorisation de sa pension militaire de retraite et au versement des arrérages qu'il estimait lui être dus, augmentés des intérêts capitalisés sont annulés.