VU le recours, enregistré au greffe de la cour le 4 novembre 1996, présenté par le MINISTRE DELEGUE LA COOPERATION ; le ministre demande à la cour :
1 ) de réformer le jugement du tribunal administratif de Paris n 9408062/5 en date du 9 juillet 1996 en tant, d'une part, qu'il a, dans son article 2, fixé l'indemnité due à M. X... au titre de la perte de ses revenus sans prendre en compte les revenus perçus par celui-ci lors de ses séjours au Gabon en 1991 et au Sénégal en 1992 et décidé que cette indemnité devrait être calculée en prenant en compte une progression indiciaire et en tant, d'autre part, qu'il a, dans son article 3, accordé à l'intéressé, au titre du préjudice moral, une indemnité dont le montant est surévalué ;
2 ) de dire que l'indemnité due à M. X... au titre de la perte de ses revenus doit être calculée sans prévoir de progression indiciaire, en tenant compte des revenus perçus par lui au Gabon et au Sénégal en 1991 et 1992 et que l'indemnité allouée au requérant au titre du préjudice moral doit être réduite pour tenir compte des circonstances de la radiation de l'intéressé ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la loi n 84-16 du 11 janvier 1984 ;
VU la loi n 96-452 du 26 mai 1996 ;
VU le décret n 78-571 du 25 avril 1978 ;
VU le décret n 96-1228 du 27 décembre 1996 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 14 septembre 1999 :
- le rapport de Mme MILLE, premier conseiller,
- les observations de Me Y..., avocat, pour M. X...,
- et les conclusions de Mme PHEMOLANT, commissaire du Gouvernement ;
Considérant qu'à compter du 16 octobre 1975, M. X... a bénéficié de contrats successifs à durée déterminée pour servir au Sénégal puis au Cameroun, au titre de la coopération, en qualité de pilote d'aéronef ; que le dernier de ces contrats a été résilié par une décision du 23 juillet 1987 du ministre de la coopération qui a également radié M. X... des effectifs du ministère à compter du 20 septembre 1987, au motif que les autorités camerounaises l'avaient remis à sa disposition ; que le ministre, saisi d'un recours gracieux, a confirmé ladite décision par lettre du 7 février 1994 ; que par un jugement du 9 juillet 1996, le tribunal administratif de Paris a annulé, dans un article 1er, les décisions susmentionnées des 23 juillet 1987 et 7 février 1994, a renvoyé, dans un article 2, M. X... devant l'Etat (ministère de la coopération) pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité qui lui est due pour la période du 20 septembre 1987 au 25 juin 1996 au titre de la perte de rémunération et condamné l'Etat, dans un article 3, à verser à l'intéressé la somme de 80.000 F, tous intérêts compris à la date du jugement, en réparation de son préjudice moral et des troubles subis dans ses conditions d'existence ; que le ministre, demande, à titre principal, l'annulation de ce jugement, et à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour rejetterait ses conclusions dirigées contre l'article 1er, de réformer les articles 2 et 3 en tant que l'indemnité pour perte de rémunération et l'indemnité allouée pour préjudice moral ont été surévaluées ; que par un recours incident, M. X... demande, dans le dernier état de ses écritures, que la condamnation prononcée à son profit au titre de ses pertes de revenus soit portée à 759.630,17 F, que la somme de 26.754,50 F correspondant aux frais professionnels nécessaires au maintien de sa licence de pilote lui soit remboursée, que l'indemnité due au titre de son préjudice moral soit portée à 300.000 F et que la cour fasse injonction au MINISTERE DE LA COOPERATION de régulariser sa situation auprès des caisses de retraite au titre de la période d'éviction illégale ;
Sur les conclusions du ministre dirigées contre l'article 1er du jugement attaqué :
Considérant que le MINISTRE DE LA COOPERATION, auquel ledit jugement avait été notifié le 11 octobre 1996, a saisi la cour d'une requête enregistrée le 4 novembre 1996 tendant à la réformation des articles 2 et 3 de ce jugement ; qu'eu égard aux conclusions ainsi formulées, le litige porté par le ministre devant la cour présentait le caractère d'un recours de plein contentieux, nonobstant la circonstance qu'en tête de son mémoire introductif d'instance, le ministre précisait qu'il déférait le jugement à la cour "en tous les chefs qui lui font grief" ; que par suite, les conclusions à fin d'annulation de l'article 1er du jugement attaqué présentées par le ministre le 13 mai 1997, soit après l'expiration du délai d'appel de deux mois, n'ont pu que modifier le caractère de son recours et sont dès lors irrecevables ;
Sur les conclusions du ministre et de M. X... dirigées contre l'article 2 du jugement attaqué :
En ce qui concerne la période d'indemnisation :
Considérant que si le ministre ne conteste pas que cette période a pour point de départ le 20 septembre 1987, il fait valoir qu'elle expire le 29 mai 1996, date de publication au Journal Officiel de la loi susvisée du 28 mai 1996, et non le 25 juin 1996 ; que toutefois, cette loi, qui ne remet pas en cause le droit à titularisation des agents de catégorie A mais limite seulement les corps possibles d'intégration, est sans incidence sur le droit à indemnité des agents qui bénéficient de la garantie d'emploi et ont été illégalement révoqués ;
En ce qui concerne le montant de l'indemnité due au titre de la perte de rémunération :
Sur les sommes dues au titre des pertes de traitement :
Considérant que, dans les modalités de calcul de l'indemnité due à ce titre, les premiers juges ont indiqué qu'il y avait lieu de tenir compte d'une progression de l'indice de M. X... au cours de la période en cause ; que le ministre soutient à bon droit que, dès lors que l'administration n'avait pas l'obligation de modifier les termes de son contrat en ce qui concerne le niveau de sa rémunération, le traitement net à prendre en compte est celui correspondant à l'indice nouveau majoré du dernier contrat de l'intéressé ; qu'à supposer qu'une grille indiciaire figurant dans un document interne au ministère de la coopération ait établi un lien entre groupe de rémunération et grille de classement, ce document, non publié et non légalement pris au regard des dispositions du décret susvisé du 25 avril 1978, ne saurait avoir créé des droits au profit des agents concernés ; qu'en revanche, comme le soutient par voie incidente M. X..., le traitement net susmentionné doit être calculé en tenant compte des taux de cotisations sociales en vigueur aux dates de naissance respectives des droits ;
Sur les sommes à déduire des sommes dues au titre des pertes de traitement :
Considérant qu'à partir des pièces produites par M. X..., les premiers juges ont estimé à la somme de 1.602.412,30 F le montant des allocations pour pertes d'emploi et rémunérations de toute nature perçues par lui durant la période d'éviction illégale ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, figurent parmi ces pièces les justificatifs des revenus perçus par l'intéressé à l'occasion d'activités exercées par lui en 1991 au Gabon et en 1992 au Sénégal pour des sociétés privées ; que contrairement à ce que soutient M. X... par la voie de l'appel incident, il n'y a pas lieu de déduire de la somme susmentionnée le montant des primes d'expatriation et de déplacement qui, dès lors qu'elles ont été perçues par lui l'occation de l'activité professionnelle qu'il a exercée durant ladite période, doivent venir en déduction des sommes dues ;
Sur les frais divers dont M. X... demande à être indemnisé :
Considérant, d'une part, que si M. X... sollicite par voie incidente le remboursement de visites médicales et d'heures de vol d'entraînement nécessaires à la conservation de sa licence de pilote, cette demande, qui se rattache à un chef de préjudice distinct, est présentée pour la première fois en appel et par conséquent irrecevable ;
Considérant, d'autre part, qu'à supposer que M. X... ait entendu demander que l'Etat soit condamné à lui rembourser la somme correspondant au surplus d'impôt résultant de l'imposition d'une indemnité portant sur plusieurs années de traitements, ces conclusions, en tout état de cause, se rapportent à un préjudice éventuel dont le montant n'est au demeurant pas précisé et ne peuvent donc tre accueillies ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité due par l'Etat au titre de la perte de toute rémunération au cours de la période du 20 septembre 1987 au 25 juin 1996 est égale à la différence entre, d'une part, le traitement net afférent à l'indice nouveau majoré 713 augmenté de l'indemnité de résidence au taux applicable aux fonctionnaires en service à Paris et, d'autre part, la somme de 1.602.412,30 F représentant les allocations pour perte d'emploi et les autres rémunérations perçues par l'intéressé au cours de la même période ; que la cour ne trouve pas au dossier les éléments permettant de calculer l'indemnité ainsi définie ; qu'il y a donc lieu de renvoyer M. X... devant l'administration aux fins de liquidation de la somme qui lui est due ; que M. X... a droit aux intérêts au taux légal sur cette indemnité à compter de la date de réception par l'administration de sa demande préalable du 19 janvier 1994 pour la fraction due au titre de la période du 20 septembre 1987 au 31 décembre 1993 mentionnée dans cette demande, et, pour le surplus, ainsi que les premiers juges l'ont à bon droit indiqué en prenant en considération la date à laquelle cette indemnité était demandée, à compter du 27 mars 1995 date d'enregistrement de son mémoire en réplique de première instance pour la fraction due au titre de la période du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1994, à compter du 4 juillet 1995 date d'enregistrement de son mémoire complémentaire de première instance pour la fraction due au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 1995, et à compter du 14 juin 1996 date d'enregistrement de son dernier mémoire de première instance pour la fraction due au titre de la période postérieure au 1er juillet 1995 ;
Sur les conclusions du ministre dirigées contre l'article 3 du jugement attaqué :
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. X... ait commis une faute dans l'exercice de sa mission en coopération ; qu'au contraire, les pièces figurant au dossier établissent qu'il a manifesté en permanence le souci d'obtenir le respect, par les autorités camerounaises, des consignes de sécurité fixées par la réglementation aérienne internationale ; qu'à la suite de la résiliation de son contrat, M. X... a été contraint de solliciter l'aide financière de son entourage tout en réduisant considérablement son train de vie ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient le MINISTRE DE LA COOPERATION, il a subi, du fait de son licenciement illégal, un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui doivent être réparés par l'Etat ; que toutefois, en fixant à 80.000 F le montant de cette réparation pour la période du 20 septembre 1987 au 25 juin 1996, le tribunal administratif de Paris a fait, dans les circonstances de l'espèce, une évaluation excessive ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par M. X... en lui allouant à ce titre une somme de 55.000 F, tous intérêts compris à la date du présent arrêt ; qu'il y a lieu en conséquence de réformer le jugement attaqué sur ce point ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à ce que la cour ordonne à l'Etat de régulariser sa situation auprès de la Caisse nationale d'assurance vieillesse et auprès de la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile :
Considérant que si la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître des litiges relatifs aux obligations des agents non titulaires de l'Etat vis-à-vis des organismes de sécurité sociale ou des institutions de retraite complémentaire, les conclusions susmentionnées de M. X... ne se rapportent pas à un tel litige mais tendent à la réparation d'un préjudice résultant pour lui d'un licenciement illégal par l'Etat et rel vent ainsi de la compétence de la juridiction administrative ; que, dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ces conclusions comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, d'évoquer et de statuer immédiatement sur cette demande ;
Considérant qu'il incombe à l'employeur de régulariser la situation d'un salarié vis-à-vis des organismes de protection sociale ; que dès lors, il y a lieu d'ordonner à l'Etat, dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt, de s'acquitter, auprès de la Caisse nationale d'assurance vieillesse et de la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile, des cotisations de pension de retraite correspondant aux traitements dus à M. X... au titre de la période d'éviction illégale ci-dessus indiquée ;
Sur les conclusions relatives à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. X... tendant à ce que l'Etat lui verse la somme de 15.000 F en application de ces dispositions ;
Article 1er : Le jugement n 9408062/5 du 9 juillet 1996 est annulé en tant qu'il a, dans son article 5, rejeté les conclusions de M. X... tendant à ce qu'il soit ordonné à l'Etat de régulariser sa situation auprès de la Caisse de retraite du personnel professionnel de l'aéronautique civile et auprès de la Caisse nationale d'assurance vieillesse.
Article 2 : L'indemnité que l'Etat est condamné à verser à M. X..., au titre de la perte de sa rémunération entre le 20 septembre 1987 et le 25 juin 1996, sera calculée selon les modalités définies dans les motifs du présent arrêt.
Article 3 : L'indemnité de 80.000 F tous intér ts compris que l'Etat a été condamné à verser à M. X... au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence est ramenée la somme de 55.000 F tous intérêts compris à la date du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus du jugement n 9408062/5 du 9 juillet 1996 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 5 : M. X... est renvoyé devant l'administration pour qu'il soit procédé à la liquidation de la somme qui lui est due.
Article 6 : Il est ordonné à l'Etat, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, de régulariser la situation de M. X..., au titre de la période du 20 septembre 1987 au 25 juin 1996, auprès de la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile et auprès de la Caisse nationale d'assurance vieillesse.
Article 7 : Le surplus des conclusions du recours du ministre délégué à la coopération et le surplus des conclusions incidentes de M. X... ainsi que celles tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetés.