Vu la requête, enregistrée le 8 mars 2002 et complétée les 14 et 15 mars suivants, présentée pour la société AXA COURTAGE IARD, dont le siège social est ... et pour la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE, dont le siège social est ..., par Me X... ; la société AXA COURTAGE IARD et la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 9 janvier 2002 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à verser à la société Axa Global Risks, dans les droits de laquelle la société AXA COURTAGE IARD est subrogée, une somme de 1 829 388, 21 euros en remboursement des dommages causés à son assurée, la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE, aux droits de laquelle elle est subrogée, à la suite de dégradations commises au préjudice de cette dernière en juin et juillet 1997 et à ladite société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE (NMPP) une somme de 77 345, 01 euros correspondant au montant de la franchise contractuelle restée à sa charge ;
2°) de condamner l'Etat à payer aux sociétés requérantes lesdites sommes en principal, lesquelles devront porter intérêts au taux légal avec capitalisation ;
3°) de condamner l'Etat à payer aux sociétés requérantes, chacune la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 mai 2006 :
- le rapport de M. Boulanger, rapporteur,
- les observations de Me de Y... pour les sociétés AXA FRANCE IARD et NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE,
- et les conclusions de Mme Folscheid, commissaire du gouvernement ;
Sur le principe de la responsabilité :
S'agissant des évènements qui se sont déroulés du 17 au 20 juin, du 24 au 26 juin, le 4 juillet et du 7 au 9 juillet 1997 :
En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : « l'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE, qui assure la distribution des journaux et magazines sur le territoire français par l'intermédiaire de divers prestataires et transporteurs, a mis en place en 1994 un plan quadriennal prévoyant notamment le regroupement en une équipe unique des équipes opérant au sein de ses deux établissements situés à Rungis et à Saint-Denis ; qu'une section syndicale de l'entreprise ayant appelé à la grève, des actions violentes ont été menées sporadiquement du 17 au 20 juin, du 24 au 26 juin, le 4 juillet et du 7 au 9 juillet 1997, par des groupes d'ouvriers en grève, d'abord réunis sur leurs lieux de travail, qui ont ensuite investi les locaux d'imprimeurs ou de prestataires de services et de transporteurs travaillant pour le compte de la société exposante ; qu'ils y ont commis des dégradations, ont détruit des journaux et magazines ou empêché leur impression ;
Considérant qu'eu égard notamment à leur caractère prémédité, et alors même qu'elles auraient été perpétrées dans le cadre d'une action concertée et avec le concours de plusieurs personnes, ces détériorations volontaires n'ont pas été commises par un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 ; qu'il suit de là que la société AXA FRANCE IARD, subrogée aux droits de son assurée, la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE et celle-ci pour son propre compte, ne sont pas fondées à soutenir que la responsabilité de l'Etat se trouverait engagée à leur égard sur le fondement de l'article L. 2216 ;3 du code général des collectivités territoriales ;
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat pour faute lourde et sans faute :
Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, il ne ressort pas de l'instruction que les forces de police aient commis une faute en omettant de prendre les mesures de prévention et de répression nécessaires au maintien de l'ordre public ; que l'autorité administrative dispose en effet d'un pouvoir d'appréciation et peut considérer que son intervention spontanée risquerait d'entraîner un risque de trouble à l'ordre public plus grave que celui résultant de son abstention ; qu'en raison de la marge d'appréciation dont elle dispose et de la mission d'intérêt général qui lui incombe, l'autorité administrative, dont la société requérante qui ne produit en ce sens qu'une seule lettre du 2 juillet 1997 adressée au préfet du Val-de-Marne n'établit pas qu'elle aurait été saisie par elle de demandes réitérées d'intervention des forces de police, n'a commis aucune faute lourde dans l'usage de ses pouvoirs de police en s'abstenant d'intervenir spontanément sur la période considérée ;
Considérant, en deuxième lieu, que lorsque les conditions d'application de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ne sont pas réunies, la responsabilité de l'Etat peut être engagée sur le fondement des principes généraux de la responsabilité sans faute si le dommage dont l'indemnisation est demandée présente un caractère anormal et spécial et s'il existe une relation directe de cause à effet entre le fonctionnement des services de police et le dommage invoqué ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que, dans les circonstances ci-dessus rappelées de l'affaire, un lien direct de causalité existerait entre le fonctionnement des services de police et les faits survenus durant la période considérée ; qu'il suit de là que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander la condamnation de l'Etat à les indemniser des dommages qui seraient résultés pour elles d'une prétendue inaction des services de police ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés exposantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande d'indemnisation, au titre de ces évènements ;
S'agissant des évènements qui se sont déroulés sur les sites de Rungis et de Saint ;Denis à compter du 4 juillet 1997 :
Considérant que du 4 au 16 juillet 1997, les établissements de Rungis et de Saint-Denis ont été occupés par le personnel gréviste qui a empêché l'accès aux locaux et la mise en route des centres et qui, le 9 juillet 1997, a déversé sur la voie publique des palettes de publications qui étaient stockées dans les bâtiments ; que les accès aux locaux où étaient bloquées environ 250 palettes de publications périodiques n'ont été libérés par les grévistes que le 16 juillet 1997, en exécution d'une ordonnance de référé rendue la veille par le Tribunal de grande instance de Créteil ; que le fait d'occuper les locaux de travail caractérise, ainsi qu'il a été dit, un état de force ouverte et constitue un délit ; que, dans ces conditions, la société AXA FRANCE IARD, subrogée aux droits de son assurée, la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE et celle-ci pour son propre compte, sont fondées à demander réparation des dommages résultant de cette occupation des locaux de travail à l'Etat, sur le fondement des dispositions sus reproduites de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, lesquelles, ne distinguant pas entre les causes de la formation de l'attroupement ou du rassemblement, est applicable à des ouvriers grévistes qui occupent les locaux de leur travail ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, les sociétés exposantes sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande d'indemnisation des préjudices subis en raison de ces derniers évènements ;
Considérant qu'il convient dans le cadre de l'effet dévolutif d'examiner les moyens relatifs au préjudice invoqué ;
Sur le préjudice :
Considérant que le montant des dommages dont font état les sociétés requérantes, s'élevant, pour les seuls évènements au titre desquels la responsabilité de l'Etat se trouve engagée ainsi qu'il a été vu ci-dessus, à la somme totale arrondie de 1 077 470 euros, remboursés par la société AXA FRANCE IARD à la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE, son assurée, sous déduction de la franchise contractuelle restée à la charge de cette dernière, a été déterminé par une expertise aux opérations de laquelle ni le préfet du Val-de-Marne ni celui de la Seine-Saint-Denis n'ont été représentés et dont les conclusions n'ont d'ailleurs pas été versées au dossier par les sociétés requérantes ; que cette expertise non contradictoire, réalisée à l'initiative des sociétés exposantes, n'est en tout état de cause pas opposable à l'Etat, la circonstance que le préfet de Seine-Saint-Denis, seul convié à participer aux réunions d'expertise s'étant tenues les 1er et 14 octobre 1997, n'ait pas répondu à l'invitation qui lui avait ainsi été faite ne pouvant empêcher le ministre de l'intérieur d'en contester le contenu ; que la cour ne trouve pas, en l'état du dossier, les éléments lui permettant de déterminer précisément le montant des dommages dont les sociétés exposantes sont en droit de demander réparation au titre de l'occupation et du blocage des lieux de travail de Rungis et de Saint-Denis à compter du 4 juillet 1997 et jusqu'au 16 juillet suivant ; qu'il y a lieu, par suite, avant de statuer sur les droits à indemnité des sociétés requérantes, d'ordonner une mesure d'expertise aux fins de déterminer le montant du préjudice subi directement et indirectement par la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE, à raison de la seule occupation et du blocage de l'accès à ses établissements de Rungis et de Saint-Denis, pour la période du 4 au 16 juillet 1997, en tenant compte du montant du préjudice matériel dû à la perte de périodiques et de journaux détruits ou rendus impropres à la vente, des dégradations éventuellement commises à l'intérieur comme à l'extérieur des locaux et de la perte du bénéfice qui aurait pu être généré, le cas échéant, par la vente des périodiques et des journaux qui ont été détruits ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 9 janvier 2002 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de condamnation de l'Etat à indemniser la société AXA FRANCE IARD et la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE du préjudice né des évènements qui se sont déroulés sur les sites de Rungis et de Saint-Denis du 4 au 16 juillet 1997.
Article 2 : L'Etat est déclaré responsable des conséquences dommageables des évènements visés dans l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Il sera, avant de statuer sur la demande d'indemnité de la société AXA FRANCE IARD et de la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE, procédé à une expertise aux fins précisées ci-dessus, par un expert désigné par le Président de la cour.
Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621 ;2 à R. 621 ;14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé au greffe de la cour dans le délai de trois mois suivant la prestation de serment.
Article 5 : Les frais d'expertise seront avancés par l'Etat.
Article 6 : Tous les droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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NN 02PA00881