Vu la requête, enregistrée le 10 mai 2004, présentée pour la SOCIETE
HISPANO SUIZA, dont le siège social est 18 boulevard Louis Seguin à Colombes
Cédex (92707), par MeB... ; La SOCIETE HISPANO SUIZA demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0216429/3 en date du 3 mars 2004 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé, à la demande de M. A...C..., la décision du
15 octobre 2002 par laquelle le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité a confirmé sur recours hiérarchique la décision du 21 mai 2002 de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement pour insuffisance professionnelle ;
2°) de rejeter la demande de première instance ;
3°) de lui allouer la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La SOCIETE HISPANO SUIZA fait valoir que M. C...embauché le
3 septembre 2001 pour exercer les fonctions de rédacteur technique n'avait pas les compétences techniques de base nécessaires à l'accomplissement de cette tâche, comme cela s'est révélé à partir de novembre 2001 ; qu'il a refusé de suivre une formation en cours du soir au CNAM ; qu'il a été désigné comme membre du CHSCT postérieurement à sa convocation à l'entretien préalable, suite à la démission d'un autre membre ; que l'enquête contradictoire menée par l'IT comme par le ministre après recours hiérarchique a confirmé cette insuffisance professionnelle ; que le tribunal a commis une erreur de fait en estimant que les tâches confiées avaient évolué, ce que M. C...n'avait d'ailleurs pas soutenu, et que l'insuffisance professionnelle n'était pas établie ; qu'en effet tous les rédacteurs techniques ont -comme M. C...qui s'est révélé incapable de le faire- la charge de proposer des gammes de réparation ; que M. C...ne saurait utilement soutenir qu'il ignorait la dimension technique du poste, laquelle n'a pas évolué lors de ces deux candidatures, en 2000 et 2001 ; que s'agissant de l'obligation de formation, qui a d'ailleurs été proposée à M. C...en dehors de ses heures de travail, elle ne s'impose à l'employeur que si le salarié devait s'adapter à l'emploi détenu, et non comme en l'espèce pour une formation technologique longue indispensable pour tenir le poste ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 27 juillet 2004, présenté pour M. A...C...par la SCP Ochs Lechevalier, tendant : 1°) au rejet de la requête ; 2°) à la condamnation de la SOCIETE HISPANO SUIZA à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. C...fait valoir qu'aucune remarque ne lui a été adressée pendant la période d'essai ; que c'est après une première élection au CHSCT contestée par la direction qu'il a été convoqué en vue du licenciement ; que le comité d'entreprise a émis un avis défavorable à l'unanimité ; que si les fonctions confiées ne sont pas différentes de celles figurant sur la fiche de poste ou de celles confiées aux autres rédacteurs, elles sont progressivement devenues différentes de celles confiées à l'embauche et particulièrement pendant la période d'essai, ce qu'il a signalé le moment venu ; que les tâches techniques figurant dans la fiche de poste étaient en effet alors confiées à une société sous-traitante ; qu'ainsi à l'embauche la société n'avait pas exigé de compétences en mécanique ; qu'il avait adressé en 2000 une candidature spontanée mettant en avant son profil commercial et que c'est la SOCIETE HISPANO SUIZA qui l'a recontacté en 2001, sans ignorer qu'il ne disposait pas du DUT avec spécialisation en documents techniques tel que précisé dans la fiche de poste de rédacteur mais d'un DUT en gestion ; qu'on lui avait laissé entendre qu'on l'embauchait pour gérer les relations avec les clients et les fournisseurs et particulièrement, compte tenu de ses compétences en anglais, la firme Rolls Royce ; qu'il n'a jamais caché son incompétence en mécanique et a néanmoins été embauché ; que si la SOCIETE HISPANO SUIZA souhaitait faire évoluer ses fonctions du pilotage de la sous-traitance vers les tâches elles-même de rédacteur technique, il fallait lui assurer une formation complémentaire de mise à niveau pendant les horaires de travail ;
Vu le mémoire, enregistré le 22 novembre 2004, présenté par le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, tendant à l'annulation du jugement du 4 mai 2003, aux mêmes motifs qu'exposés dans son mémoire en défense devant le Tribunal administratif de Paris ; le ministre fait valoir notamment qu'il n'est démontré aucune réelle évolution des missions entre le recrutement et le licenciement, notamment en ce qui concerne la fin d'une sous-traitance ; que l'insuffisance professionnelle étant établie et l'effort de formation trop important (plus d'un an à temps plein) pour pouvoir être demandé à la SOCIETE HISPANO SUIZA et aucun lien n'apparaissant avec le mandat, le licenciement devait être autorisé, sans préjudice d'une action de M. C...devant le juge judiciaire du fait de la légèreté de son employeur qui n'a pas suffisamment vérifié ses compétences ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 2 février 2005, présenté pour la SOCIETE HISPANO SUIZA, tendant aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et faisant valoir en outre que l'évaluation des compétences de M. C...réalisée suite à sa réintégration dans l'entreprise a révélé qu'il n'avait même pas le niveau requis à l'entrée en BTS maintenance et productique, alors que le poste de rédacteur suppose ce diplôme ou un DUT ; que d'ailleurs il a bénéficié de congés de formation portant sur d'autres matières ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 juin 2006 :
- le rapport de Mme Pellissier, rapporteur,
- les observations de MeB..., pour la SOCIETE HISPANO SUIZA,
- et les conclusions de Mme Folscheid, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. C...a été embauché le 3 septembre 2001 comme " rédacteur technique " par la SOCIETE HISPANO SUIZA et a été élu le 8 mars 2002 membre du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail, après avoir dès le 22 février 2002 été convoqué à un entretien préalable à un licenciement pour insuffisance professionnelle ; que par décision du 21 mai 2002, l'inspecteur du travail a autorisé la SOCIETE HISPANO SUIZA à procéder au licenciement pour insuffisance professionnelle de M.C... ; que cette décision a été confirmée le 15 octobre 2002 par le ministre sur recours hiérarchique de M.C... ; que la SOCIETE HISPANO SUIZA fait appel du jugement du 4 mars 2004 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé ces autorisations ;
Considérant qu'en vertu des articles L. 236-11 et L. 436-1 du code du travail, les salariés membres des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'insuffisance professionnelle, il appartient à l'inspection du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette insuffisance est telle qu'elle justifie le licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont le salarié est investi ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.C..., titulaire d'un DUT de gestion, ne possède pas, malgré les expériences de " rédacteur technique " portées à son curriculum vitae et sa réussite aux tests d'embauche, les connaissances techniques de base exigées des " rédacteurs techniques " de la SOCIETE HISPANO SUIZA et ne peut remplir environ la moitié des missions liées à un tel poste, rappelées par la fiche de poste éditée par la société et dont il n'est pas contesté qu'elles sont celles qu'assument les autres " rédacteurs techniques " ; que quelles que soient les assurances qui lui auraient été données lors de son embauche compte tenu de son manque de formation initiale technique que n'ignoraient pas les recruteurs, il n'a pas été dressé de description différente du poste de rédacteur technique qui lui était confié ; qu'ainsi, contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal administratif de Paris, il ne ressort pas des pièces du dossier que la définition du poste de M. C...aurait significativement évolué en cours de contrat, même si certaines tâches techniques relevant du poste étaient sous-traitées au moment de son recrutement, ce qui a retardé la constatation des insuffisances du salarié qui n'a eu à les exécuter qu'à la fin de la période d'essai de deux mois et a d'ailleurs signalé les difficultés qu'elles lui posaient dès le 6 novembre 2001 ; que l'insuffisance professionnelle n'étant pas due à une modification des missions dévolues au salarié, l'entreprise, qui l'a d'ailleurs encouragé à suivre une formation en dehors des heures de travail, n'était pas tenue de lui proposer une formation d'adaptation à l'emploi durant les heures de travail ni un poste plus conforme à ses capacités et ses aspirations ; qu'ainsi la SOCIETE HISPANO SUIZA est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement litigieux, le Tribunal administratif de Paris a annulé les autorisations de licenciement précitées au motif que l'insuffisance professionnelle, du fait de l'évolution du poste et de l'absence de proposition de formation professionnelle, n'était pas établie ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement du Tribunal administratif de Paris doit être annulé et la demande de M.C..., ainsi que ses conclusions d'appel tendant à la condamnation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de la SOCIETE HISPANO SUIZA, qui n'est pas la partie perdante, rejetées ; que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire bénéficier la SOCIETE HISPANO SUIZA, en application de ces dispositions, du remboursement des frais de procédure qu'elle a exposés tant en première instance qu'en appel ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 4 mars 2004 est annulé.
Article 2 : La demande de M. C...et ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 sont rejetées.
Article 3 : Les demandes de première instance et d'appel de la SOCIETE HISPANO SUIZA tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE HISPANO SUIZA, à M. A...C...et au ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2006 à laquelle siégeaient :
Mme Cartal, président,
Mme Pierart, président assesseur,
Mme Pellissier, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 5 juillet 2006.
Le rapporteur,
S. PELLISSIERLe président,
A-F. CARTAL
Le greffier,
E. SARRAZIN
La République mande et ordonne au ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 04PA01644