Vu la requête, enregistrée le 31 décembre 2008, présentée pour la société SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FRÉJUS, dont le siège est situé 20 rue de la Bourse à Lyon (69289 cedex), par la société d'avocats Aurelia ; la société SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FRÉJUS demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0303527/2 en date du 30 octobre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser des intérêts moratoires d'un montant de 18 073 944,93 euros (118 557 306,94 F) ainsi que les intérêts dus sur cette créance d'intérêts ;
2°) de condamner l'État à lui verser ces intérêts moratoires et les intérêts de cette créance d'intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 décembre 2010 :
- le rapport de M. Dalle, rapporteur,
- les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public,
- les observations de Me Desmourieux, pour la SOCIETE FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FREJUS,
- et connaissance prise de la note en délibéré, enregistrée le 21 décembre 2010, présentée pour la SOCIETE FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FREJUS ;
Considérant que par un arrêt du 12 septembre 2000 (aff. C-276/97, Commission c/ France), la Cour de justice des Communautés européennes a jugé non conforme aux articles 2 et 4 de la sixième directive TVA du Conseil du 17 mai 1977 modifiée l'absence d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée des péages perçus en contrepartie de l'utilisation d'ouvrages de circulation routière, lorsque ce service n'est pas fourni par un organisme de droit public agissant en qualité d'autorité publique ; qu'à la suite de cette décision, la loi de finances rectificative n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 a soumis les péages à la taxe sur la valeur ajoutée, à l'exception de ceux perçus par des personnes morales de droit public agissant en qualité d'autorités publiques, et autorisé les exploitants concernés à déduire de la taxe due au titre de leurs opérations la taxe grevant les dépenses supportées pour la réalisation de cette activité ; qu'afin de permettre auxdits exploitants de reconstituer leur situation au regard du nouveau régime de taxe sur la valeur ajoutée, le paragraphe VII de l'article 2 de la loi susmentionnée a prévu que : Les exploitants d'ouvrages de circulation routière dont les péages sont soumis à la taxe sur la valeur ajoutée peuvent formuler des réclamations contentieuses tendant à l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant, le cas échéant, grevé à titre définitif les travaux de construction et de grosses réparations qu'ils ont réalisés à compter du 1er janvier 1996 au titre d'ouvrages mis en service avant le 12 septembre 2000. Le montant restitué est égal à l'excédent de la taxe sur la valeur ajoutée qui a ainsi grevé les travaux sur la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux péages qui n'a pas été acquittée du 1er janvier 1996 au 11 septembre 2000 ; qu'en application de ce texte, la SOCIETE FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FREJUS a déposé le 4 juillet 2001 une réclamation dans laquelle elle demandait la restitution d'un excédent de taxe de 885 623 478 F (135 012 429 euros) ; que l'administration a admis cette demande par décision du 18 octobre 2001 ; que la somme en cause a été créditée sur le compte bancaire de la société le 25 octobre 2001 ; que, par ailleurs, par lettre du 10 janvier 2003 faisant suite à une demande de la société en date du 22 novembre 2001, l'administration a indiqué à celle-ci que la somme de 885 623 478 F (135 012 429 euros) serait assortie d'intérêts moratoires dont le point de départ serait constitué par la date de présentation de la demande de restitution du crédit de TVA, soit le 4 juillet 2001, le point d'arrivée étant la date à laquelle les sommes restituées ont été effectivement versées à la société, soit le 25 octobre 2001 ; que ces intérêts, d'un montant de 1 789 364,72 euros (11 737 463,14 F), ont été versés le 30 janvier 2003 à la société ; qu'estimant avoir droit à des intérêts d'un montant plus important, qu'elle évalue à 19 863 309,65 euros (130 294 770,08 F), la SOCIETE FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FREJUS a saisi le Tribunal administratif de Paris ; qu'elle relève appel par la présente requête du jugement du 30 octobre 2008 par lequel le tribunal a rejeté sa demande ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la présente affaire : Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt légal. Les intérêts courent du jour du paiement (...) ;
Considérant que la requérante soutient que si elle avait pu exercer son droit à déduction au cours des années 1996 à 2000 en ce qui concerne la taxe afférente à la construction ou à l'entretien de ses ouvrages autoroutiers, ce dont elle aurait été empêchée par la législation nationale, contraire au droit communautaire, alors en vigueur, d'une part, elle n'aurait effectué aucun paiement de taxe sur la valeur ajoutée au cours de cette période dès lors que la taxe d'amont grevant lesdits travaux se serait entièrement imputée sur la taxe collectée par elle, d'autre part, elle aurait pu obtenir le remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée plus importants que ceux qu'elle a obtenus ; que le point de départ des intérêts moratoires, censés compenser le préjudice lié au temps pendant lequel elle a été privée des sommes en cause, doit se situer, selon elle, à la date des paiements, quand elle en a effectués, ou aux dates auxquelles elle aurait été en situation de pouvoir déposer des demandes de remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'elle évalue le montant des intérêts moratoires qui lui seraient ainsi dus à respectivement 613 200,69 euros (4 022 332,25 F) au titre de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquittée et à 19 250 108 euros (126 272 430,93 F) au titre de la taxe sur la valeur ajoutée dont elle aurait pu demander le remboursement ;
En ce qui concerne les intérêts afférents à la taxe sur la valeur ajoutée acquittée :
Considérant qu'il est constant que la taxe restituée le 18 octobre 2001 à la SOCIETE FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FREJUS à la suite de la réclamation qu'elle a formée le 4 juillet 2001 inclut la taxe sur la valeur ajoutée effectivement acquittée par la société au cours des années 1996 à 2000 ; que, dans ces conditions, et comme n'en disconvient d'ailleurs pas l'administration, cette restitution ouvre droit au paiement des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ; que ces intérêts s'élèvent au montant non contesté de 613 200,69 euros (4 022 332,25 F) ;
En ce qui concerne les intérêts afférents à la taxe sur la valeur ajoutée dont le remboursement n'a pas été demandé :
Considérant qu'au cours de la période 1996 à 2000 la SOCIETE FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FREJUS n'a pas présenté de réclamations dans les formes prévues aux articles 242-0 A et suivants de l'annexe II au code général des impôts ; qu'en l'absence de telles réclamations, seule voie ouverte à la société pour obtenir un remboursement en raison de la situation de crédit de taxe sur la valeur ajoutée dans laquelle elle se trouvait, elle ne peut prétendre au versement d'intérêts moratoires sur les sommes qu'elle a imputées sur ses déclarations mensuelles ; que la requérante ne peut se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales de l'instruction 3 D-9-89 du 30 août 1989, relative aux bailleurs d'immeubles et à la suppression du mécanisme des quinzièmes et, par suite, sans rapport avec le présent litige ;
Considérant que la requérante soutient qu'en tant qu'elles ne permettent pas l'octroi d'intérêts moratoires à un redevable dans sa situation, qui s'est vu rembourser en 2001 un important crédit de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à des opérations réalisées entre 1996 et 2000, qui auraient normalement dû ouvrir droit à déduction, les dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales sont contraires aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme ; que, cependant, la société ne saurait prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; qu'en l'espèce, faute pour la société d'avoir effectivement déposé des demandes de remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée au cours de la période 1996-2000 dans les conditions prévues par les dispositions susmentionnées de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales et des articles 242-0 A et suivants de l'annexe II au code général des impôts, que l'administration était en droit d'appliquer en l'absence de disposition communautaire spécifique prévoyant le versement d'intérêts moratoires à des entreprises dans la situation de la société requérante, elle n'a aucun droit et ne peut se prévaloir d'aucune espérance légitime d'obtenir le paiement d'intérêts moratoires décomptés à partir de cette période ; que, contrairement à ce qu'elle soutient, la législation nationale alors en vigueur ne s'opposait pas à ce qu'elle dépose de telles demandes dès lors qu'elle pouvait, en cas de rejet de celles-ci, saisir le juge et se prévaloir devant lui du caractère non-conforme de ladite législation aux articles 2 et 4 de la sixième directive TVA ; qu'ainsi, elle ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme, dans le champ desquelles elle n'entre pas ;
Considérant que la SOCIETE FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FREJUS ne pouvant, ainsi qu'il vient d'être dit, se prévaloir d'un droit protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme, elle ne saurait invoquer les stipulations de l'article 14 de la même convention prohibant les discriminations dans la jouissance des droits et libertés que cette convention reconnaît ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante peut prétendre à des intérêts moratoires d'un montant de 613 200,69 euros (4 022 332,25 F), à raison de la restitution d'impôt dont elle a bénéficié ; que les intérêts moratoires qui lui ont été effectivement alloués s'élèvent, ainsi qu'il a été dit, à 1 789 364,72 euros ; qu'elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'octroi d'intérêts moratoires supplémentaires ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la SOCIETE FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FREJUS demande en remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SOCIETE FRANÇAISE DU TUNNEL ROUTIER DU FREJUS est rejetée.
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N° 08PA06467