Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Blue Lagoon Farms et la société Ecloserie du Nord ont demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2012 par lequel le Président de l'Assemblée de la Province Nord a autorisé la SARL Rêve à réaliser un lotissement dénommé " Face à la mer " sur les lots 58, 59, 60 et 61 du morcellement rural des établissements Ballande, section Poamba, commune de Koné.
Par un jugement n°1300016 du 16 décembre 2013, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a fait droit à leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée au greffe de la Cour le 18 mars 2014, la Province Nord de Nouvelle-Calédonie, représentée par la SCP Roux, Lang-Cheymol, Canizares, Le Fraper du Hellen, A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1300016 du 16 décembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a fait droit à la demande des sociétés Blue Lagoon Farms et Écloserie du Nord en ce qu'il a, d'une part, annulé l'arrêté du 25 octobre 2012 par lequel le président de l'assemblée de la Province Nord a autorisé la SARL Rêve à réaliser un lotissement dénommé "Face à la mer" sur les lots 58, 59, 60 et 61 du morcellement rural des établissements Ballande, section Poamboa, commune de Koné, d'autre part, mis à la charge définitive de la Province Nord les frais d'expertise taxés et liquidés à hauteur de 1 953 325 F CFP et, enfin, mis à la charge de la Province Nord le versement d'une somme de 150 000 F CFP à chacune des sociétés Blue Lagoon Farms et Écloserie du Nord au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la requête présentée par les sociétés Blue Lagoon Farms et Écloserie du Nord devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
3°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Blue Lagoon Farms et Écloserie du Nord les frais d'expertise ;
4°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Blue Lagoon Farms et Écloserie du Nord une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier car il est fondé sur un rapport d'expertise qui a été réalisé et rédigé suite à des opérations d'expertise particulièrement irrégulières et ne respectant pas le principe du contradictoire ;
- l'expertise et le jugement se sont fondés à tort sur l'article 5 de la Charte de l'Environnement pour prononcer l'annulation de l'arrêté ;
- l'arrêté ne méconnaît pas les dispositions de l'article 5 de la Charte de l'Environnement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2014, la société Blue Lagoon Farms et la société Ecloserie du Nord, représentées par la SELARL DetLegal, demandent à la Cour de rejeter la demande de la Province Nord de Nouvelle-Calédonie, et de condamner la Province Nord à leur verser la somme globale de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement est régulier puisque le rapport d'expertise pouvait être utilisé à titre d'élément d'information ;
- le rapport d'expertise contenait des conclusions claires et justifiées ;
- l'arrêté viole l'article 26 alinéa 8 de la délibération n°53-2005/APN car il compromet les conditions d'un développement équilibré de la commune et porte atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants ;
- l'arrêté viole les dispositions de l'article 26 de cette même délibération relatives à la surface qui doit être réservée aux espaces verts ;
- les moyens de légalité externe développés en première instance doivent être étudiés par la cour, et notamment celui relatif aux irrégularités de la procédure d'enquête publique.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 19 octobre 2016, la Province Nord maintient les conclusions et moyens développés dans sa requête.
Elle soutient que :
- l'expertise était frustratoire ;
- le projet n'est pas contraire à l'article 26 de la délibération n° 53-2005/APN et ne méconnait pas les exigences de la protection de l'environnement ;
- le premier jugement a écarté définitivement les moyens de légalité externe, lesquels étaient au surplus infondés ;
- le moyen tiré de la violation des prescriptions relatives aux espaces verts est infondé.
Par un mémoire, enregistré le 10 novembre 2016, les sociétés Blue Lagoon Farms et Ecloserie du Nord reprennent leurs précédentes conclusions.
Elles s'en rapportent à leurs précédentes écritures et soutiennent en outre d'une part que les travaux n'ayant pas commencé dans les délais prévus par l'article 27 de la délibération
n° 53-2005 et rien ne prévoyant que les recours contentieux auraient un caractère suspensif le permis litigieux est caduc et d'autre part que le président de l'Assemblée de la Province Nord n'ayant pas été habilité à faire appel, la requête est irrecevable.
La SARL Rêve a présenté un mémoire qui a été enregistré le 13 novembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 novembre 2016 :
- le rapport de M. Bouleau, président-rapporteur,
- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour la Province Nord de Nouvelle-Calédonie.
1. Considérant que la Province Nord de Nouvelle-Calédonie relève régulièrement appel, son président ayant été dûment habilité à ce faire par l'article 2 de la délibération
n° 2014-04 du 14 février 2014 de l'assemblée de cette province, du jugement du 16 décembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a fait droit à la demande de la société Blue Lagoon Farms et de la société Ecloserie du Nord en annulant l'arrêté en date du
25 octobre 2012, par lequel le Président de la Province Nord a autorisé la SARL Rêve à réaliser un lotissement dénommé " Face à la mer " sur les lots 58, 59, 60 et 61 du morcellement rural des établissements Ballande, section Poamboa, commune de Koné ; qu'il n'est pas établi que cette autorisation serait devenue caduque en l'absence de réalisation de travaux dans les délais prescrits ou d'une interruption du chantier ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative : " Les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise ; cet avis leur est adressé quatre jours au moins à l'avance, par lettre recommandée (...) " ; qu'en méconnaissance de ces dispositions, l'expert désigné par le jugement avant-dire droit du 25 avril 2013, a omis de convier la Province Nord aux opérations d'expertise et notamment à la visite des installations d'aquaculture et à la visite du terrain d'assiette du terrain projeté ainsi qu'à la réunion contradictoire du 9 octobre 2013 ; que l'expertise ainsi réalisée n'a pas été menée contradictoirement et doit, par, suite, être regardée comme irrégulière ; que, toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que le rapport de l'expert, qui constitue une des pièces du dossier, soit retenu à titre d'élément d'information et à ce que Tribunal statue sans qu'il soit besoin de recourir à une nouvelle expertise ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
3. Considérant qu'il est énoncé à l'article 5 de la Charte de l'environnement à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage " ; que ces dispositions s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs ;
4. Considérant d'une part que les effets de l'implantation du lotissement en cause sur l'environnement ne revêtent pas un caractère incertain, étant au contraire précisément connus et ayant été pris en compte dans des conditions qu'il était possible d'apprécier par l'arrêté litigieux, dont l'article 4 dispose que " les mesures d'atténuation des impacts environnementaux décrites à l'étude d'impact intégrée au dossier devront être scrupuleusement respectées et particulièrement celles liées à l'obligation pour le lotisseur d'effectuer un suivi régulier de la qualité des eaux rejetées en entrée de la ferme aquacole. (...) " ; d'autre part que la réalisation du risque de pollution envisagé n'est pas susceptible de remplir les conditions cumulées de gravité et d'irréversibilité de ses effets sur l'environnement qui la ferait entrer dans les prévisions de l'article 5 précité de la Charte de l'environnement ; que par suite, la Province Nord est fondée à demander l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
5. Considérant qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par les sociétés Blue Lagoon Farm et Ecloserie du Nord devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et devant la Cour ;
6. Considérant, en premier lieu, que les moyens de légalité externe ont été expressément écartés par un jugement avant-dire droit du 25 avril 2013 et que si un recours avait été formé devant la Cour de céans, les requérants s'en sont désistés, ce dont il leur a été donné acte par une ordonnance irrévocable du 14 novembre 2014 ; qu'ainsi, contrairement à ce qu'affirment les sociétés Blue Lagoon Farm et Ecloserie du Nord, ce jugement est devenu définitif sur ce point ; que, dès lors, les moyens de légalité externe, au demeurant infondés ainsi que l'a jugé le tribunal, ne peuvent qu'être écartés ;
7. Considérant, en second lieu, qu'aux termes des articles 25 et 26 de la délibération n°53-2005/APN : " Un lotissement est une opération d'urbanisme à part entière qui doit tenir compte de l'environnement et organiser un véritable cadre de vie " ; " Le président de l'assemblée de province ou, lorsqu'il a compétence, le maire apprécie notamment les conséquences qui peuvent résulter de la réalisation du projet en ce qui concerne l'hygiène, la salubrité, la sécurité, la circulation, les services municipaux et les finances publiques. (...) Dans tous les cas, il interdira le lotissement : (...) si le lotissement est de nature à compromettre les conditions d'un développement équilibré de la commune, de l'agglomération ou d'un groupement de communes incluses dans un territoire couvert par un schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme ; sur le fondement des dispositions mentionnées aux chapitre 2, 3 et 4 de la délibération portant réglementation du permis de construire, et notamment si par sa situation, la forme ou la dimension des lots, l'opération est de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, au site ou aux paysages naturels ou urbains. " ;
8. Considérant que l'arrêté attaqué, par son article 4 précité, met à la charge du lotisseur des obligations répondant à un souci de préservation de l'environnement et que son article 5 précise par ailleurs que " les réserves assorties aux conclusions favorables du commissaire-enquêteur ont été prises en compte " ; que la notion de " développement équilibré " ne saurait avoir par elle-même pour effet d'interdire tout projet de lotissement, que le commissaire-enquêteur a émis un avis favorable à ce projet de lotissement, lequel prévoit qu'un certain nombre de lots vont être rétrocédés à la collectivité publique afin qu'elle y installe des équipements publics ; que, dans ces conditions et compte tenu de ce que dit ci-dessus quant à la nature du risque de pollution généré par le projet, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté ;
9. Considérant, en dernier lieu, que selon les sociétés requérantes l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 26 de cette même délibération qui prévoit que 10% de la superficie du terrain soit affectée à des espaces verts ; que cependant l'article 1 énonce le nombre de lots qui seront réservés aux espaces verts ; que, toutefois, la note du maître d'oeuvre d'octobre 2013 contient un point 3.6 " espaces verts et clôtures " dans lequel il est exposé très clairement que chacune des phases du projet respectera les prescriptions en prévoyant une emprise d'espaces verts de minimum 10% de la superficie du projet ; que rien ne permet donc de supposer que ces espaces verts ne respecteraient pas les prescriptions de la délibération, à savoir un accès ouvert au public et une forme et une superficie adaptée à leur usage ; qu'ainsi le moyen doit être rejeté ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que la Province Nord de Nouvelle-Calédonie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé l'arrêté du 25 octobre 2012 par lequel le Président de l'Assemblée de la Province Nord a autorisé la SARL Rêve à réaliser un lotissement ;
Sur les frais d'expertise :
11. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge solidaire des sociétés Blue Lagoon Farms et Ecloserie du Nord les frais de l'expertise qui ont été taxés et liquidés à la somme de
1 953 325 F CFP par une ordonnance du 10 décembre 2013 du président du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge solidaire des sociétés Blue Lagoon Farms et Ecloserie du Nord le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la Province Nord de Nouvelle-Calédonie et non compris dans les dépens ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Province Nord de Nouvelle-Calédonie qui n'est pas la partie perdante, la somme que les sociétés susvisées demandent au même titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement en date du 16 décembre 2013 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est annulé.
Article 2 : La demande présentée par les sociétés Blue Lagoon Farms et Ecloserie du Nord devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est rejetée.
Article 3 : Les sociétés Blue Lagoon Farms et Ecloserie du Nord, prises ensemble, verseront à la Province Nord de Nouvelle-Calédonie une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les frais d'expertise sont mis définitivement à la charge des sociétés Blue Lagoon Farms et Ecloserie du Nord.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Blue Lagoon Farms et Ecloserie du Nord, à la Province Nord de Nouvelle-Calédonie et à la SARL Rêve.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- MmeC..., première conseillère,
- MmeB..., première conseillère,
Lu en audience publique, le 8 décembre 2016.
L'assesseur le plus ancien,
M. C...Le président-rapporteur,
M. BOULEAU
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
5
N° 10PA03855
2
N° 14PA01188