Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...D...a demandé au Tribunal administratif de Paris la condamnation de l'Etat à lui verser diverses indemnités en réparation des préjudices consécutifs aux fautes commises lors de la procédure disciplinaire, à caractère juridictionnel, devant la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université Paris IV Sorbonne et le CNESER, ainsi que devant les juridictions pénales.
Par un jugement n° 1509251/5-1 du 14 avril 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 13 juin 2016, le 11 janvier 2017 et le
12 mai 2017, M. D..., représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1509251/5-1 du 14 avril 2016 du Tribunal administratif de Paris;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 113 701,20 euros, assortie des intérêts au taux légal, au titre des frais de justice exposés par lui dans le cadre de sa défense, la somme de 150 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, au titre du préjudice moral ainsi que la somme de 100 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, au titre du préjudice professionnel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les procédures suivies par la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université Paris IV Sorbonne et devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) sont entachées de vices constitutifs de fautes lourdes de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'en effet, les sanctions disciplinaires prononcées à tort à son encontre ont été annulées ; que la procédure disciplinaire devant la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université Paris IV Sorbonne et devant le CNESER était irrégulière ;
- certains membres du personnel de l'Université Paris IV Sorbonne ont porté atteinte à sa réputation ; d'autres, tels que le directeur de l'Institut de recherches sur les civilisations de l'occident moderne (IRCOM) se sont livrés à des agissements fautifs à son encontre ;
- les procédures suivies devant les juridictions pénales sont également entachées de vices de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'ainsi les condamnations pénales prononcées à tort à son encontre ont été depuis lors annulées ;
- ces fautes lourdes devant les juridictions disciplinaires et pénales lui ont causé un préjudice financier devant être évalué à la somme de 113 701,20 euros, un préjudice moral qui doit être fixé à la somme de 150 000 euros et un préjudice professionnel d'un montant de 100 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 janvier et 30 mai 2017, le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions tendant à la réparation des préjudices résultant du dysfonctionnement des juridictions pénales sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
- les moyens soulevés par M. D...ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 mai 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 14 juin 2017.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jimenez,
- et les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public.
1. Considérant que M.D..., maître de conférences en histoire, affecté à l'université Paris IV Sorbonne, a fait l'objet d'une procédure disciplinaire pour des faits de harcèlement sexuel à l'encontre d'une collègue enseignante au sein de cette même université ; qu'un blâme lui a été infligé par la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université Paris IV Sorbonne le 18 décembre 2006 ; que, par une décision du 15 janvier 2008, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), après avoir annulé pour irrégularité la décision de la section disciplinaire, a infligé un blâme à M.D... ; que, saisi par M. D...d'un pourvoi contre la décision du CNESER, le Conseil d'Etat a, par un arrêt du 13 janvier 2010, annulé cette décision pour un motif tiré de l'irrégularité de la
procédure ; que, par une nouvelle décision du 26 juin 2012, le CNESER a déclaré M. D... non coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a relaxé ; que le Conseil d'Etat, par un arrêt du 14 novembre 2013, après avoir annulé la décision du CNESER pour un motif tiré de la dénaturation de l'étendue de la saisine de la juridiction disciplinaire, a rejeté le surplus des conclusions du pourvoi introduit par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche contre ladite décision et a estimé que les faits reprochés à M. D...n'étaient pas de nature à caractériser une faute professionnelle et ne pouvaient en conséquence justifier l'application à son encontre d'une sanction disciplinaire ; que, par un courrier du 19 février 2015, M. D...a demandé à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche de l'indemniser du préjudice subi en raison des fautes commises dans le cadre de la procédure disciplinaire, à caractère juridictionnel, devant la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université Paris IV Sorbonne et le CNESER ; qu'à la suite du silence gardé par l'administration, une décision implicite de rejet est née le 25 avril 2015 ; que M. D...relève appel du jugement n° 1509251/5-1 du 14 avril 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser diverses indemnités en réparation des préjudices subis ;
Sur l'exception d'incompétence :
2. Considérant qu'ainsi que le fait valoir le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, les conclusions tendant à la réparation des préjudices résultant du dysfonctionnement des juridictions pénales sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et doivent, par suite, être rejetées ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les fautes commises par l'Université Paris IV :
3. Considérant que M. D...soutient que c'est à tort que les premiers juges, au considérant 2 du jugement attaqué, ont considéré que l'Etat ne pouvait être tenu pour responsable " des préjudices nés des fautes qu'auraient commises l'université Paris IV(...) à l'occasion de la procédure disciplinaire dont il a fait l'objet " ; que le requérant ajoute que le jugement est, dès lors, entaché d'une contradiction de motifs puisque, dans ses troisième et quatrième considérants, il rappelle que " la justice est rendue de façon indivisible au nom de l'Etat " qui peut être tenu responsable des dommages pouvant résulter de décisions d'instances disciplinaires placées sous le contrôle du Conseil d'Etat, à l'instar d'une section disciplinaire d'une université ou du CNESER ; que, toutefois, M. D...soutenait devant le tribunal, et soutient de nouveau en appel, que certains membres du personnel de l'Université Paris IV Sorbonne ont porté atteinte à sa réputation et que d'autres, tels que le directeur de l'Institut de recherches sur les civilisations de l'occident moderne (IRCOM) se sont livrés à des agissements fautifs à son encontre ; que, ce faisant, M. D...entend rechercher la responsabilité de l'Etat sur le fondement de plusieurs faits commis par des personnels de l'université ; qu'ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, ces faits ne sont pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que, par suite, les conclusions de M. D...tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser en raison des fautes commises par l'université Paris IV Sorbonne ne peuvent qu'être rejetées ;
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat du fait des dysfonctionnements des juridictions disciplinaires :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 712-4 du code de l'éducation : " Le conseil académique regroupe les membres de la commission de la recherche mentionnée à l'article
L. 712-5 et de la commission de la formation et de la vie universitaire mentionnée à l'article
L. 712-6. / Sont constituées en son sein la section disciplinaire mentionnée à l'article L. 712-6-2 et la section compétente pour l'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs. (...) " ; qu'aux termes de l'article
L. 712-6-2 dudit code : " Le pouvoir disciplinaire à l'égard des enseignants-chercheurs, enseignants et usagers est exercé en premier ressort par le conseil académique de l'établissement constitué en section disciplinaire. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 232-2 du même code : " Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statue en appel et en dernier ressort sur les décisions disciplinaires prises par les instances universitaires compétentes à l'égard des enseignants-chercheurs (...) " ;
5. Considérant, d'une part, que la justice est rendue de façon indivisible au nom de l'Etat ; qu'il n'appartient dès lors qu'à l'Etat de répondre, à l'égard des justiciables, des dommages pouvant résulter pour eux de l'exercice de la fonction juridictionnelle assurée, sous le contrôle du Conseil d'Etat, par les juridictions administratives ; qu'il en va ainsi alors même que la loi a conféré à des instances relevant d'autres personnes morales compétence pour connaître, en premier ressort ou en appel, de certains litiges ;
6. Considérant, d'autre part, que si, en vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité, l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité, dans le cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par une décision du 18 décembre 2006, la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université Paris IV a infligé la sanction du blâme à M.D... ; que, par une décision du 15 janvier 2008, prise sur appel de M.
D...et appel incident du président de l'université, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a prononcé la même sanction à l'encontre de M.D..., après avoir annulé pour irrégularité la décision de la section disciplinaire ; que, saisi par M. D...d'un pourvoi contre la décision du CNESER, le Conseil d'Etat a, par un arrêt n°317564 du 13 janvier 2010, annulé cette décision pour un motif tiré de l'irrégularité de la procédure ; que, par une nouvelle décision du 26 juin 2012, le CNESER a déclaré M. D... non coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a relaxé ; que le Conseil d'Etat, par un arrêt en date du 14 novembre 2013, après avoir annulé la décision du CNESER pour un motif tiré de la dénaturation de l'étendue de la saisine de la juridiction disciplinaire, a rejeté le surplus des conclusions du pourvoi introduit par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche contre ladite décision et a estimé que les faits reprochés à M. D...n'étaient pas de nature à caractériser une faute professionnelle et ne pouvaient en conséquence justifier l'application à son encontre d'une sanction disciplinaire ; que, la circonstance que la section disciplinaire du conseil d'administration de l'Université Paris IV et le CNESER ont infligé à tort la sanction du blâme à l'intéressé et que la sanction en cause a été annulée en cassation ne suffit pas à établir que les premiers juges, ou les juges d'appel, ont commis une faute lourde dans l'exercice de leur fonction juridictionnelle, compte tenu notamment de la nature des liens entretenus entre M. D... et l'enseignante à l'origine de la procédure et de la difficulté particulière de porter une appréciation ou une qualification juridique sur de tels éléments factuels ;
8. Considérant que M.D... se prévaut également des nombreux vices ayant entaché la procédure devant les juridictions disciplinaires ; qu'ainsi, il fait valoir, s'agissant de la procédure devant la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université Paris IV, que la formation d'instruction était irrégulièrement composée, le président de la section disciplinaire s'étant désigné membre de la commission d'instruction, en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il fait également valoir que ses avocats n'ont pu s'exprimer librement, que l'obligation de secret de l'instruction n'a pas été respectée, que le rapporteur n'a pas lu le rapport, que MmeD..., qui avait été citée comme témoin, n'a pas été convoquée lors de la phase de l'instruction, qu'il manquait au dossier une page du témoignage d'un témoin de la défense et que les débats n'étaient pas publics ; que, toutefois, seules certaines des irrégularités invoquées sont établies, notamment celle tenant à l'irrégularité de la composition de la formation en charge de l'instruction ; que s'agissant de la procédure devant le CNESER, M.D... fait valoir que son avocat a été interrompu, qu'une faute aurait été commise du fait de l'absence de prise en compte d'un rapport établi par le rapporteur initialement désigné, MmeA..., que deux personnes visées par des plaintes pénales ont continué à siéger malgré une lettre de récusation et que la présidente de la formation disciplinaire du CNESER a participé à la réunion de la commission d'instruction ; que, toutefois, antérieurement à la première séance d'instruction qui s'est tenue le 4 septembre 2007, Mme A...a présenté, pour des raisons personnelles et familiales sans lien avec l'affaire, sa démission de son mandat de membre titulaire élu de la formation disciplinaire du CNESER, avec effet au 31 décembre 2007 ; que compte tenu des carences constatées dans le projet de rapport que lui avait remis pour approbation MmeA..., la présidente du CNESER a estimé que l'affaire ne serait pas en état d'être jugée avant le départ de l'intéressée le 31 décembre 2007 et, conformément à l'article R. 232-37 du code de l'éducation, a ordonné un supplément d'instruction, qu'elle a assorti, du fait de la démission de MmeA..., de la désignation d'un nouveau rapporteur ; qu'ainsi, aucun élément du dossier ne permet d'attester que la présidente du CNESER aurait eu, comme le prétend le requérant, la volonté de lui nuire en désignant un nouveau rapporteur au détriment du respect des règles de la procédure suivie devant le CNESER prévue aux articles R. 232-23 à R. 232-48 du code de l'éducation ; qu'en revanche, la circonstance que la présidente de la formation disciplinaire du CNESER ait participé à la réunion de la commission d'instruction chargée d'instruire l'affaire en application de l'article
R. 232-36 du code de l'éducation était effectivement de nature à vicier la procédure devant cette instance, ainsi que l'a relevé le Conseil d'Etat dans son arrêt du 13 janvier 2010 précité ; que, toutefois, les vices entachant la procédure devant la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université Paris IV et devant le CNESER, tenant à la participation des présidents de ces instances aux formations en charge de l'instruction, pour regrettables qu'ils soient, ne sont pas, à eux seuls, constitutifs d'une faute lourde ; qu'à supposer même que certains des autres vices allégués aient été établis, ils ne permettraient pas davantage de démontrer l'existence d'une faute lourde ; que, par suite, les conclusions de M. D... tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée à raison de l'exercice par la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université Paris IV Sorbonne et par le CNESER de la fonction juridictionnelle ne peuvent qu'être rejetées ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M.D... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, sa requête d'appel ne peut qu'être rejetée, ensemble ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : Les conclusions tendant à la réparation des préjudices résultant du dysfonctionnement des juridictions pénales sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D...et au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- Mme Jimenez, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 novembre 2017.
Le rapporteur,
J. JIMENEZLe président
I. BROTONS
Le greffier,
P. LIMMOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA01953