Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B...E..., Mme I...E...-A..., MM. H...E..., F...E..., D...E..., N...A..., P...C...A..., L...E..., O...E...et G...E...ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à verser les sommes suivantes en réparation des préjudices qu'ils ont subis résultant de fautes commises par l'équipe médicale du centre hospitalier Henri Mondor à Créteil lors de la prise en charge médicale de M. J...E...dans cet établissement à compter du 23 décembre 2009, consécutivement à une hydrocéphalie en versant :
- la somme globale de 558 000 euros au titre des préjudices propres subis par
Mme B...E..., Mme I...E...-A..., MM.H..., F..., D...E..., épouse et enfants de M. J...E..., en leur qualité d'ayants droits, et en leur qualité de victime directe, la somme de 18 000 euros ainsi que les sommes respectives de 145 000 euros à l'épouse de M. E...et celle de 62 500 à chacun des enfants ;
- la somme de 25 000 euros chacun à M. N...A..., Mlles KhiaraA..., Kaya-AnnelieE..., Rica-ChristinE..., et Oliwia E...en leur qualité de petits-enfants du défunt.
Par un jugement n° 1308873 du 3 juillet 2015, le tribunal administratif de Melun a condamné l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris à verser à Mme B...E...la somme de 7 500 euros, à Mme I...E...-A... en son nom propre et au nom de ses deux enfants mineurs la somme de 15 350 euros, à M. H...E...en son nom propre et au nom de ses deux enfants mineurs la somme de 15 350 euros, à M. D...E...en son nom propre et au nom de son enfant mineur la somme de 14 650 euros, à M. F...E...la somme de 13 950 euros, lesdites sommes portant intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2013 et les intérêts échus à la date du 21 octobre 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date devant être capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 129 601,75 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2014 ainsi que celle de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la somme de 2 500 euros aux requérants et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne celle de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles, a mis à la charge définitive de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 3 300 euros et a rejeté le surplus des conclusions des requérants et de la caisse primaire d'assurance maladie.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 septembre 2015 et 29 novembre 2017, les consortsE..., représentés par MeM..., demandent à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Melun du 3 juillet 2015 en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande en ne déclarant pas l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris entièrement responsable des conséquences dommageables de la ponction lombaire fautive pratiquée sur M. J...E...le 1er janvier 2010 ;
2°) d'ordonner un complément d'expertise aux fins de recueillir la réponse aux questions posées par le tribunal administratif à l'expert Sichez et de verser à chaque membre de la famille une provision de 20 000 euros à faire valoir sur leurs préjudices ;
3°) de condamner, en toute hypothèse, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à verser à chaque membre de la famille les indemnisations suivantes, majorées des intérêts légaux, lesquels seront en outre capitalisés à chaque échéance, soit :
- au titre des préjudices subis par M.E..., à verser à Mme B...E..., Mme I...E...-A..., MM.H..., F..., D...E..., ses ayant-droits, avant consolidation, les sommes de 27 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 50 000 euros au titre des souffrances endurées, 15 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 20 000 euros au titre du préjudice particulier de traitement du fait du manque d'information et de ce qu'ils ont été tenus à l'écart, 50 000 euros a titre du préjudice moral lié à la perte de survie, 1 000 euros au titre des frais de médecin-conseil et assistance à expertise, après consolidation, les sommes de 320 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément, 30 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, 30 000 au titre du préjudice sexuel et 10 000 euros au titre de la perte de gains professionnels ;
- au titre des préjudices propres subis par Mme B...E..., Mme I...E...-A..., MM.H..., F..., D...E..., la somme correspondant aux frais de transports au chevet de leur époux et père, celle de 10 000 euros au titre des frais d'enterrement ;
- à Mme B...E..., son épouse, les sommes de 10 000 euros au titre de la perte de gains professionnels, 20 000 euros au titre de son préjudice sexuel, 50 000 au titre du préjudice d'accompagnement durant 19 mois, 15 000 euros au titre de la détérioration de la qualité de vie de la veuve, 50 000 euros au titre du préjudice d'affection consécutif au décès de son mari ;
- à Mme I...E...-A..., sa fille et à MM.H..., F..., D...E..., ses trois fils, la somme de 25 000 euros chacun au titre du préjudice d'accompagnement et celle de 37 500 chacun au titre du préjudice d'affection consécutif au décès de leur père ;
- à M. N...A..., Mmes C...A..., L...E..., O...E...et G...E..., ses cinq petits-enfants, la somme de 25 000 euros chacun au titre du préjudice d'affection consécutif au décès de leur grand-père ;
4°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de paris la somme de 30 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé et ne répond pas à l'ensemble des moyens soulevé en première instance ainsi qu'à la demande de complément d'expertise ;
- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation en fixant la responsabilité de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à 30 % seulement dans le décès de M. E...;
- l'expert n'a pas répondu de façon détaillée aux questions pourtant précises qui lui étaient posées ; l'expertise comporte une erreur sur l'âge de M.E... ; un complément d'expertise est sollicité pour ces raisons ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu un taux de 30 % de perte de chance subi alors que l'expert a retenu un taux d'IPP de 80 % ;
- M. E...s'est battu 19 mois pour survivre à sa paraplégie, à ses infections urinaires et ses escarres ; il n'a jamais pu regagner son domicile, n'a jamais pu remarcher, a passé tout son temps entre chambres d'hôpitaux et tables d'opération, a failli mourir en janvier 2010 et a vécu, chaque jour qui passait, avec la mort menaçante à l'esprit ; il en a d'ailleurs été de même pour l'ensemble de sa famille ;
- le tribunal a appliqué un coefficient réducteur à l'ensemble des sommes allouées, ce qui ne correspond en rien à la réalité, et a fait une appréciation erronée de certains chefs de préjudices ;
- la cour devra leur allouer les indemnités qu'ils demandent au titre des préjudices indemnisables dont ils ont fait une juste évaluation.
Par un mémoire, enregistré le 29 janvier 2016, la caisse d'assurance maladie du
Val-de-Marne conclut au rejet de la requête, s'en rapporte à la justice en ce qui concerne la demande de complément d'expertise et de nouvelle provision, d'appliquer le cas échéant le nouveau taux de perte de chance à sa créance, enfin, et en tout état de cause, à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2016, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, représentée par MeK..., conclut au rejet de la requête et, en tout état de cause, à ce que le montant des indemnités réclamées soit ramené à de plus justes proportions.
Elle soutient que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont évalué la perte de chance de survie de M. E... à 30% et n'ont par conséquent reconnu sa responsabilité qu'à hauteur de cette fraction ;
- c'est à bon droit que plusieurs postes de préjudices ont été écartés ;
- les sommes réclamées par les appelants sont soit injustifiées soit excessives.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pena,
- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,
- et les observations de MeM..., représentant les consortsE..., et de MeK..., représentant l'AP-HP.
1. Considérant que M. J...E..., né le 24 septembre 1946, a été victime d'un oedème cérébral à la suite d'une éventration et a été admis à l'hôpital Bichat le 21 décembre 2009 ; qu'à la suite de cette intervention, il a souffert d'un syndrome confusionnel qui a nécessité la réalisation d'un scanner cérébral ; que ce dernier a révélé une hydrocéphalie secondaire sur un dolicho méga tronc basilaire ; que le 23 décembre 2009, il a été transféré au sein du service de neurochirurgie de l'hôpital Henri Mondor de Créteil en vue d'une intervention de dérivation du liquide céphalo-rachidien ; que le 31 décembre 2009, alors qu'il souffrait de fièvres et de frissons évoquant une méningite, l'interne de garde a décidé de réaliser une ponction lombaire à la suite de laquelle M. E...est resté paraplégique ; qu'estimant cet acte chirurgical fautif et cause de la dégradation de l'état de santé de M.E..., sa famille a saisi le président du tribunal administratif de Melun d'une requête en référé aux fins de désignation d'un expert ; que le professeur Sichez a déposé son rapport le 15 février 2013 ; que, dans l'intervalle, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris a reconnu le principe de sa responsabilité et a proposé à M.E..., par courrier du 28 juillet 2011, le versement d'une provision de 30 000 euros à faire valoir sur l'indemnisation de son préjudice ; que M. E...est décédé le 31 juillet 2011 ; que les consorts E...ont alors adressé, les 22 juillet et 6 août 2013, des demandes indemnitaires préalables à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris qui les a implicitement rejetées ; que l'épouse de
M.E..., ses quatre enfants et ses cinq petits-enfants ont alors saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à la condamnation dudit établissement à les indemniser des préjudices subis par eux, tant en leur nom propre, qu'en leur qualité d'ayant-droits de leur époux, père et grand-père ; que par un jugement du 3 juillet 2015, le tribunal administratif de Melun a condamné l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris à verser à Mme B...E...la somme de 7 500 euros, à Mme I...E...-A..., en son nom propre et au nom de ses deux enfants mineurs la somme de 15 350 euros, à M. H...E...en son nom propre et au nom de ses deux enfants mineurs la somme de 15 350 euros, à M. D...E...en son nom propre et au nom de son enfant mineur la somme de 14 650 euros, à M. F...E...la somme de 13 950 euros, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 129 601,75 euros et celle 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et a mis à la charge définitive de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris les frais d'expertise d'un montant de 3 300 euros ; que les consorts E...demandent à la cour de réformer ce jugement en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande et d'ordonner le cas échéant un complément d'expertise ; que l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris conclut à titre principal au rejet de la requête ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que les appelants soutiennent que le jugement attaqué serait irrégulier en ce qu'il serait insuffisamment motivé, qu'il ne répondrait pas à l'ensemble des moyens soulevés en première instance ainsi qu'à la demande de complément d'expertise ; que si les premiers juges ont pu implicitement rejeter cette dernière demande dès lors que, se fondant sur l'expertise judiciaire disponible, ils ont évalué l'ensemble des préjudices subis par chacun des requérants, il n'en demeure pas moins que les consorts E...avaient sollicité, devant eux déjà, la condamnation de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à leur verser une indemnité de 20 000 euros au titre de ce qu'ils nomment " un préjudice particulier de traitement " constitué de ce qu'ils n'auraient pas été consultés préalablement aux décisions relatives aux soins dont a bénéficié M. E...après la réalisation de la ponction lombaire ; qu'il résulte de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur lesdites conclusions ; qu'ainsi, le jugement contesté doit être annulé en tant qu'il a omis de statuer sur ces conclusions ;
3. Considérant qu'il y a lieu pour la cour administrative d'appel de se prononcer par la voie de l'évocation sur cette partie de la demande des consorts E...et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées par les requérants devant le tribunal administratif ;
Sur le fond :
En ce qui concerne la responsabilité de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris :
4. Considérant d'une part, qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé (...) ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère " ;
5. Considérant qu'au vu du rapport d'expertise qui n'est en rien insuffisant ou même approximatif, et qui qualifie de fautive la réalisation d'une ponction lombaire chez un patient placé sous anticoagulants à dose efficace, le tribunal administratif a considéré que la prise en charge de M. E...au sein de l'hôpital Henri Mondor de Créteil à la fin de l'année 2009 était de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, ce que l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ne conteste au demeurant pas ; que toutefois, dans un complément d'expertise réalisé suite au décès de M.E..., le même expert n'a évalué qu'à 30 % la perte de chance de survie de M. E...du fait de ladite ponction fautive ; que, pour contester ce taux, les Consorts E...font valoir qu'un déficit fonctionnel permanent de 80 % a été attribué à M.E... ; que, toutefois, ce taux qui évalue l'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique d'une personne ne présente aucun lien avec la notion de perte de chance d'éviter un risque qui finalement se réalise ; qu'il résulte à l'inverse du rapport d'expertise qu'aucun élément du dossier ne vient contredire, que si le terrain neurologique du patient, constitué de sa paraplégie et de complications urinaires et cutanées, est l'une des causes ayant fait rejeter toute idée de traitement de l'affection hématologique à type lymphome découverte chez celui-ci au début de l'année 2011, l'hydrocéphalie dont il souffrait, et qui a été à l'origine de son hospitalisation en décembre 2009, y faisait également obstacle ; que, dans ces conditions, et alors qu'il apparaît que la cause directe du décès est bien la maladie hématologique et ses complications de type épanchements pleuraux, le taux de 30% retenu par les premiers juges pour évaluer la perte de chance de survie de M. E...ne peut, au vu de ce qui vient d'être dit, qu'être confirmé ;
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
6. Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 portant financement de la sécurité sociale pour 2007, le juge, saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et d'un recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste du préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste du préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;
7. Considérant qu'en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en oeuvre la méthode sus-décrite, de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage ; que parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ;
Quant aux dépenses de santé exposées par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne :
8. Considérant que, ne faisant l'objet d'aucune contestation d'aucune part, il y a lieu de confirmer le jugement contesté en ce qu'il a condamné l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 129 601,75 euros en remboursement de ses débours et celle de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
Quant aux préjudices propres de M.E... :
9. Considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; que le droit à réparation du préjudice résultant pour elle de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en oeuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés, constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers ;
S'agissant des préjudices à caractère patrimonial :
10. Considérant que si les appelants persistent à faire valoir que M. E...exerçait la profession d'ingénieur freelance en mécanique avant son accident médical et que celui-ci et ses conséquences lui ont causé un préjudice professionnel, ils ne l'établissent pas davantage en appel qu'en première instance, alors qu'il résulte de l'expertise que l'intéressé ne travaillait pas depuis son arrivée en France environ sept ans avant les faits ; que ce chef de préjudice ne peut dès lors qu'être rejeté ;
11. Considérant que les consorts E...sollicitent, au titre des frais divers, le remboursement des frais de médecin-conseil et d'assistance à expertise ; qu'il y a lieu, au vu de la note d'honoraires d'un montant de 1 000 euros du docteur Bondeelle produite devant la Cour, et compte tenu du taux de perte de chance retenu, de mettre à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris une somme de 300 euros ;
S'agissant des préjudices à caractère extrapatrimonial :
12. Considérant qu'il résulte de l'instruction et du rapport d'expertise que M.E..., d'une part, a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire total du 31 décembre 2009 au 23 juin 2011, date de consolidation, d'autre part, qu'il a été atteint depuis cette date, d'une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique (AIPP) évaluée à 80 % ; qu'en allouant la somme de 2 200 euros au titre du premier de ces chefs de préjudices, les premiers juges en ont fait une appréciation qui n'est en rien insuffisante ; qu'en revanche, alors que M. E...était âgé de 65 ans à la date de consolidation de son état et qu'il est décédé prématurément, soit cinq semaines après cette date, il y a lieu, dans les circonstances très particulières de l'espèce, et dès lors qu'il ne saurait en l'occurrence être tenu compte des hypothèses relatives à l'espérance de vie des victimes sur lesquelles il est d'usage de fonder l'indemnisation d'un préjudice de cette nature, de ramener la somme de 48 000 euros accordée par le tribunal au titre du déficit fonctionnel permanent de l'intéressé à celle de 5 000 euros ;
13. Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que les souffrances physiques et psychiques endurées par M. E...ont été évaluées à 6/7 ; que l'allocation par le tribunal aux requérants d'une somme de 6 000 euros après application du taux de perte de chance au titre de ce chef de préjudice n'est pas davantage insuffisante ;
14. Considérant que si les premiers juges ont accordé la même somme de 2 100 euros pour le préjudice esthétique temporaire, d'une part, pour le préjudice esthétique permanent, d'autre part, il y a lieu, dans les circonstances très particulières de l'espèce, et alors qu'ils ont tous deux été évalués à 4/7, d'accorder pour le tout, et compte tenu de la perte de chance retenue, la somme de 2 100 euros ;
15. Considérant qu'en attribuant aux consorts E...en réparation des préjudices sexuel et d'agrément subis par M.E..., ainsi que de son préjudice moral lié à la perte de chance de survie, la somme globale de 2 400 euros après application du taux retenu, le tribunal a fait une juste appréciation de tous ces chefs de préjudice qu'il a inclus dans les " troubles dans les conditions d'existence " ;
Quant aux préjudices propres de Mme B...E..., de ses enfants et de ses petits enfants :
16. Considérant que si les Consorts E...sollicitent le versement d'une somme de 20 000 euros au titre de ce qu'ils nomment " un préjudice particulier de traitement " et qui correspond au fait qu'ils estiment avoir été insuffisamment informés par le corps médical et tenus à l'écart des décisions ayant été prises après la ponction lombaire de M.E..., les conclusions de leur demande sur ce point ne peuvent qu'être rejetées, dès lors que le patient était majeur au moment des soins en question, qu'il n'est pas établi ni même allégué que sa conscience aurait été altérée et qu'il ne faisait alors, en tout état de cause, l'objet d'aucune mesure de protection particulière ;
17. Considérant que si l'indemnité allouée à la victime d'un dommage a pour objet de réparer l'intégralité du préjudice imputable à la personne responsable de ce dommage, elle ne saurait excéder, toutefois, le montant de ce préjudice ; que le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint ou de son ascendant est constitué par la perte de revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien déduction faite, le cas échéant, des prestations reçues en compensation de ce décès ;
18. Considérant que si Mme B...E...persiste à tenter d'obtenir réparation, à raison du décès de son époux, d'une perte de revenus, à hauteur de 10 000 euros, elle n'en justifie pas davantage devant la Cour que devant le tribunal ; que les conclusions formées au titre de ce chef de préjudice doivent donc être écartées ;
19. Considérant qu'au titre des frais divers, les appelants sollicitent notamment le remboursement de la somme de 10 000 euros au titre des frais funéraires exposés suite au décès de leur époux et de leur père ; qu'ils produisent en appel un ensemble de factures traduites et dont les sommes sont converties en euros d'où il ressort que les frais liés à la préparation du corps, au transport du défunt, à l'achat du cercueil, aux frais de concession et de caveau dans le cimetière, à l'achat de fleurs et aux transport de personnes s'élèvent à un montant total de 7 795,60 euros ; qu'après application du taux de perte de chance retenu, il y a lieu d'accorder aux consorts E...la somme de 2 400 euros en dédommagement desdits frais liés au décès de leur époux et père ; qu'il y a lieu, en revanche, de rejeter comme non établis, le remboursement des frais de transport qu'ils estiment avoir engagés pour se rendre au chevet de M.E... ;
20. Considérant que Mme E...demande la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice sexuel, 50 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement de son époux durant dix-neuf mois, 15 000 euros au titre de la détérioration de sa qualité de vie de la veuve et 50 000 euros au titre du préjudice d'affection consécutif au décès de son mari ; qu'il ne résulte pas de l'instruction, qu'en lui allouant, compte tenu de la perte de chance, une somme de 7 500 euros au titre du préjudice moral, lequel inclut les trois derniers chefs de préjudices, les premiers juges en auraient fait une insuffisance évaluation ;
21. Considérant que c'est également par une juste évaluation des préjudices d'affection subis par les quatre enfants que le tribunal leur a alloué à chacun la somme de 2 000 euros et qu'il a accordé à chacun des cinq petits-enfants, une somme de 700 euros chacun au titre de ce même chef de préjudice, compte tenu de la perte de chance retenue ;
22. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, d'une part, de ramener la somme de 62 800 euros que l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris à été condamnée à verser aux héritiers de M.E..., à celle de 18 000 euros, sous déduction de la provision déjà versée d'un montant de 15 000 euros, soit la somme de 3 000 euros à répartir entre les cinq héritiers de M. J...E..., Mme B...E..., Mme I...E...-A..., M. H...E..., M. F...E..., M. D...E..., respectivement épouse, fille et fils de M. J...E...en qualité d'ayants droits et en raison des préjudices propres de leur époux et père ;
23. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris à verser, en raison de leurs préjudices propres, à Mme B...E...la somme de 7 980 euros, ainsi que la somme de 2 480 euros à chacun des quatre enfants de M. J...E...et la somme de 700 euros à chacun de ses cinq petits-enfants représenté par leurs parents ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
24. Considérant que les requérants ont droit aux intérêts au taux légal sur les indemnités octroyées à compter du 21 octobre 2013 ; qu'ils ont également droit à la capitalisation des intérêts, demandée pour la première fois à cette même date, à compter du 21 octobre 2014, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
25. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne a droit aux intérêts de la somme de 129 601,75 euros à compter du 17 janvier 2014, date de sa première demande ;
Sur les frais d'expertise :
26. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :
" Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. [...] " ; que les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Melun ont été taxés et liquidés à la somme de 3 300 euros ; qu'il y a lieu de mettre à la charge définitive de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris le paiement desdits frais ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
27. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que les consorts E...demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions susmentionnées de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 3 juillet 2015 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions des consorts E...tendant à l'indemnisation du " préjudice particulier de traitement ".
Article 2 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mme B...E...la somme de 8 580 euros, à Mme I...E...-A... en son nom propre et au nom de ses deux enfants mineurs la somme de 4 480 euros, à M. H...en son nom propre et au nom de ses deux enfants mineurs la somme de 4 480 euros, à M. D...E...en son nom propre et au nom de son enfant mineur la somme de 3 780 euros, à M. F...E...la somme de 3 080 euros. Lesdites sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2013. Les intérêts échus à la date du 21 octobre 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 129 601,75 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2014. Elle est également condamnée à verser à ladite caisse, la somme sollicitée de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Melun du 3 juillet 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 3 300 sont mis à la charge définitive de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié Mme B...E..., à Mme I...E...-A..., à M H...E..., à M. F...E..., à M. D...E..., à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 29 décembre 2017.
Le rapporteur,
E. PENALe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 15PA03508