Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
MM. A... et B... C... ont demandé au Tribunal administratif de Paris :
1°) d'annuler la décision du 18 mai 2012 par laquelle le ministre de la justice a rejeté leur demande d'indemnisation complémentaire ;
2°) de condamner l'Etat à verser à M. A... C... la somme de 900 000 euros et à M. B... C... la somme de 150 000 euros assorties des intérêts de droit et leur capitalisation.
Par un jugement n° 1213129/5-2 du 12 décembre 2013, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 14PA00676 du 20 septembre 2016, la Cour administrative d'appel de Paris a condamné l'Etat à verser à M. A... C... la somme de 10 000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence, tous intérêts compris à la date de l'arrêt, réformé le jugement du Tribunal administratif de Paris du 12 décembre 2013 en ce qu'il avait de contraire, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de M. C....
Par une décision n° 405467 du 2 mai 2018, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant qu'il rejetait les conclusions de M. C... tendant au versement d'une indemnité complémentaire au titre de la perte de l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires, renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la Cour, mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions du pourvoi.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire, des mémoires et pièces complémentaires enregistrés les 13 février 2014, 11 avril 2014, 7 juin 2016, 13 juillet 2016, 22 juillet 2016, 11 août 2016 et 20 août 2018, M. A... C..., représenté par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1213129/5-2 du 12 décembre 2013 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 900 000 euros, à parfaire, assortie des intérêts et des intérêts capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. C... soutient que :
- la fin de non-recevoir opposée par le ministre ne peut être accueillie dès lors qu'il est recevable en appel à détailler les chefs de préjudice dont il n'avait pu faire état devant les premiers juges, ces chefs se rattachant au même fait générateur et ses nouvelles prétentions demeurant dans la limite du montant de l'indemnité initialement demandée ;
- après avoir été recruté par le ministère de la justice sur un contrat à durée indéterminée à compter du 3 septembre 1979, et avoir été affecté, en sa qualité d'ingénieur, dans le service informatique de la direction des services judiciaires, il a fait l'objet d'un licenciement le
28 novembre 1991, puis a été réintégré le 23 septembre 1996 après l'annulation de ce licenciement prononcée par le Tribunal administratif de Paris ;
- la décision du 12 mai 1997, prononçant sa mutation d'office, a été annulée par le Tribunal administratif de Versailles le 27 mai 2004 ;
- l'indemnisation sollicitée à la suite de ces annulations, obtenue le 2 novembre 2006, n'a pas intégralement réparé ses préjudices, dans la mesure où elle ne tient pas compte du supplément familial de traitement, des bonis indemnitaires annuels, et de l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires en application des dispositions du décret du 19 janvier 1963 ;
- les personnels contractuels recrutés en contrat à durée indéterminée avant 1983, comme lui-même, bénéficiaient de grilles spécifiques publiées au journal officiel du 1er décembre 1977, et d'une revalorisation des rémunérations ;
- il produit une note du directeur des services judiciaires demandant sa promotion hors catégorie, ainsi que deux avenants de progression à son contrat, ce qui permet d'établir l'existence de ses chances de progression de carrière ;
- le motif d'insuffisance professionnelle à l'origine de son licenciement étant matériellement inexacte, il a subi un préjudice moral et des troubles importants de toute nature dans ses conditions d'existence ;
- il aurait dû être indemnisé à raison de la mutation d'office dont il a été l'objet en 1997, alors qu'il s'était convenablement acquitté de sa mission.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 juin 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête de M. C..., et à la confirmation du jugement attaqué.
Il soutient que :
- à la suite des décisions juridictionnelles déjà intervenues, l'administration a versé à l'intéressé, le 2 novembre 2006, la somme de 171 252,42 euros, soit la somme de 91 058,12 euros due au titre de la période du 4 février 1992 au 23 septembre 1996, augmentée des intérêts légaux ;
- les conclusions de la requête relatives à la réévaluation de cette indemnité sont nouvelles en appel et dès lors irrecevables ;
- en tout état de cause, la somme versée fait suite à une transaction passée avec l'intéressé, le préjudice ayant ainsi été entièrement indemnisé ;
- la demande de reconstitution de carrière présentée le 30 décembre 2011 doit être écartée, en raison de la jurisprudence constante selon laquelle les agents non titulaires n'ont pas de droit à une carrière ou à une augmentation échelonnée de leur rémunération, quelles que soient les pièces produites ;
- le requérant n'établit pas son préjudice moral et ses troubles dans les conditions d'existence ;
- le préjudice résultant de la mutation d'office ne peut être indemnisé du fait de l'annulation de celle-ci pour un motif de légalité externe.
Par une ordonnance du 4 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 5 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- l'arrêté du 4 mars 1993 modifiant celui du 19 juillet 1991 relatif aux indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires allouées à certains agents contractuels en fonction à l'administration centrale du ministère de la justice ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public,
- et les observations de Me Coudray, avocat de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., recruté par le ministère de la justice en qualité d'ingénieur par un contrat à durée indéterminée du 3 septembre 1979, a été affecté à la direction des services judiciaires du ministère. Le Garde des sceaux, ministre de la justice a, par une décision du 28 novembre 1991, que le Tribunal administratif de Paris a annulé au motif qu'elle reposait sur des faits matériellement inexacts, prononcé le licenciement de l'intéressé pour insuffisance professionnelle. M. C... a été réintégré dans ses fonctions à la sous-direction de l'informatique de la direction de l'administration générale et de l'équipement du ministère le 23 septembre 1996, avant de faire l'objet, le 12 mai 1997, d'une mutation dans l'intérêt du service au centre de prestations régional
d'Ile-de-France à Grigny que le Tribunal administratif de Versailles a annulé par un jugement du 27 mai 2004. Le 2 novembre 2006, le Garde des sceaux, ministre de la justice a versé à M. C..., pour la période du 4 février 1992 au 23 septembre 1996, la somme de 91 053,12 euros assortie des intérêts légaux soit au total la somme de 171 252,42 euros. Le 31 décembre 2011, M. C... a sollicité du ministre de la justice la reconstitution de sa carrière ainsi que la réparation des préjudices subis à concurrence de la somme de 900 000 euros pour lui-même et de la somme de 150 000 euros pour son fils. Par une décision du 18 mai 2012, le Garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande. M. C... a fait appel du jugement du 12 décembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à l'indemnisation des préjudices subis. Par un arrêt n° 14PA00676 du 20 septembre 2016, la Cour a condamné l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice moral subi et des troubles dans ses conditions d'existence, tous intérêts compris à la date de l'arrêt, réformé le jugement du 12 décembre 2013 en ce qu'il avait de contraire, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de ses conclusions d'appel. Par une décision n° 405467 du 2 mai 2018, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour du 20 septembre 2016 en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. C... tendant au versement d'une indemnité complémentaire au titre de la perte de l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS), renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la Cour, mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions du pourvoi.
2. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.
3. D'une part, il résulte de l'instruction que la période au titre de laquelle M. C... a droit à réparation de son préjudice débute le 4 février 1992, date d'effet de la décision illégale d'éviction du 28 novembre 1991, et prend fin à la date à laquelle il a été réintégré au sein du ministère de la justice, soit au 23 septembre 1996.
4. D'autre part, il résulte de l'instruction que M. C... a perçu, depuis la date à laquelle il a été recruté au sein du ministère de la justice jusqu'au mois de décembre 1991, l'IFTS dont le montant s'est élevé, pour la période précédant son éviction illégale, soit l'année 1991, à la somme de 8 747 euros annuel soit 728,92 euros mensuel. Ainsi, en l'absence d'éviction illégale, M. C... aurait eu une chance sérieuse de bénéficier de cette indemnité, qui n'a pas pour objet de compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il résulte, toutefois, de l'instruction qu'au cours de la période pendant laquelle M. C... a été illégalement évincé, est entré en vigueur un arrêté du 4 mars 1993 modifiant celui du 19 juillet 1991 relatif aux IFTS allouées à certains agents contractuels en fonction à l'administration centrale du ministère de la justice et qui précise, dans son article 1er, que cette indemnité est allouée à certains agents dans la limite des taux moyens et maximaux de la catégorie à laquelle ils sont assimilés, qu'il s'agisse de celle des attachés d'administration principaux de première classe, de celle des attachés d'administration principaux de deuxième classe ou de celle des secrétaires administratifs - chefs de section. A défaut, pour l'administration, de contester la manière de servir de M. C..., qui aurait pu entraîner une diminution, voire une suppression de cette indemnité, ou d'établir que, durant la période pendant laquelle il a été illégalement évincé, il aurait occupé des fonctions n'ouvrant pas droit au bénéfice de celle-ci en application de l'arrêté du 19 juillet 1991 modifié, M. C... a droit au versement d'une indemnité réparant la perte de chance sérieuse de bénéficier de l'IFTS, pour la période courant du 4 février au 31 décembre 1992 par référence au montant perçu au cours de l'année 1991, puis, pour la période courant du 1er janvier 1993 au 23 septembre 1996 par référence au taux moyen prévu pour la catégorie à laquelle il peut être assimilé en application de l'arrêté du 4 mars 1993, en l'absence d'éléments justifiant l'application d'un taux supérieur compte tenu de l'indice majoré 643 de sa rémunération et de sa qualification. L'état de l'instruction ne permettant pas de déterminer le montant de l'indemnité due à M. C..., il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de le renvoyer devant l'administration pour y qu'il soit procédé à la liquidation, en principal et intérêts de cette indemnité, M. C... ayant droit aux intérêts au taux légal correspondant à cette indemnité à compter de la réception de sa demande du 31 décembre 2011 ainsi qu'à leur capitalisation à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière puis à chaque échéance annuelle.
5. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à obtenir l'indemnisation, selon les modalités définies ci-dessus au point 4, du préjudice résultant de la perte de l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS) pendant la durée de son éviction illégale, et la réformation, en conséquence, du jugement attaqué.
DECIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. C... une indemnisation complémentaire en réparation du préjudice résultant de la perte de chance sérieuse de bénéficier de l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires qu'il a subi du 4 février 1992 au 23 septembre 1996, déterminée conformément aux motifs du présent arrêt, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable et de la capitalisation des intérêts à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts étaient dus pour une année entière puis à chaque échéance annuelle. M. C... est renvoyé devant le ministère de la justice pour qu'il soit procédé à la liquidation de cette indemnité.
Article 2 : Le jugement n° 1213129/5-2 du 12 décembre 2013 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au Garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er juillet 2020.
Le président,
I. BROTONS
La République mande et ordonne au Garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01662