Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Usine électrique de Malviala a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 6 janvier 2020 par lequel la préfète de la Lozère a rejeté sa demande de disposer de l'énergie du cours d'eau l'Ance-du-Sud pour la construction et l'exploitation d'une microcentrale hydroélectrique au lieu-dit Malviala, sur le territoire de la commune de Bel-Air-Val-d'Ance.
Par un jugement n° 2000848 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires en réplique, enregistrés le 8 août 2022, le 20 avril 2023 et le 6 septembre 2023, la société Usine électrique de Malviala, représentée par Me Rémy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 janvier 2020 de la préfète de la Lozère ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué, qui procède d'une analyse incomplète des intérêts visés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement que porte le projet de valorisation économique de la ressource en eau, notamment par la production d'énergie hydraulique, méconnaît le principe de gestion équilibrée de la ressource en eau et les objectifs fixés par la loi en matière de politique énergétique ;
- les motifs fondant l'arrêté attaqué sont entachés d'erreur d'appréciation ;
- les ouvrages de la centrale hydroélectrique projetée, qui ne modifient pas substantiellement l'hydrologie de la rivière l'Ance du Sud et qui n'ont pas d'incidence significative sur le transit sédimentaire sur le tronçon court-circuité, ne conduisent pas à établir un obstacle à la continuité écologique, dont la construction ne pourrait être autorisée sur un cours d'eau classé en liste 1 au titre de l'article L. 214-17 du code de l'environnement ;
- le projet de centrale hydroélectrique n'est pas incompatible avec la règle n° 2 du schéma d'aménagement et de gestion des eaux du Haut-Allier et le dossier présenté n'est pas incomplet au sujet de son impact éventuel sur une possible diminution des surfaces en zones humides aux abords du projet ;
- le projet n'est pas incompatible avec l'objectif n°4 du schéma d'aménagement et de gestion des eaux du Haut-Allier et ne présente pas un impact négatif sur le tronçon de rivière court-circuité au regard de sa capacité d'accueil de l'écrevisse à pattes blanches et avec le sous-objectif 9B du schéma directeur d'aménagement et des gestions des eaux du bassin Loire-Bretagne visant à assurer une gestion équilibrée des espèces patrimoniales inféodées aux milieux aquatiques et de leurs habitats ;
- il n'est pas démontré que le projet serait contraire au principe de non-dégradation prévu par la directive cadre sur l'eau ainsi qu'aux dispositions du plan d'aménagement et de gestion durable du Haut-Allier fixant à l'Ance du Sud un objectif de qualité physico-chimique excellente au regard des espèces piscicoles et astacicoles présentes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés et renvoie pour le surplus aux écritures en défense de première instance.
Par ordonnance du 11 août 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 6 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rémy, représentant de la société appelante.
Considérant ce qui suit :
1. La société Usine électrique de Malviala a présenté le 10 juillet 2019 une demande d'autorisation environnementale tendant à la création et à l'exploitation d'une microcentrale hydroélectrique sur la rivière l'Ance du Sud, au lieu-dit Malviala, sur le territoire de la commune de Bel-Air-Val-d'Ance (Lozère). Par un arrêté du 6 janvier 2020, la préfète de la Lozère a refusé de lui accorder l'autorisation sollicitée. Par jugement du 7 juin 2022, dont la société relève appel, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de la société pétitionnaire tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) ". Aux termes de l'article L. 211-1 du même code : " I.- Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : / (...) 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques ". L'article L. 511-1 de ce code dispose que : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 214-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions des articles L. 214-2 à L. 214-6 les installations, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants. ". L'article L. 214-3 de ce code dispose que : " I.- Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles (...) ". L'article L. 214-17 du même code dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " I. Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins (...), l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous bassin : / 1° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique. / Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir le très bon état écologique des eaux, de maintenir ou d'atteindre le bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant où d'assurer la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ; / 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant (...) ". Aux termes de l'article L. 214-18 dudit code : " I. Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite. Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Pour les cours d'eau ou parties de cours d'eau dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde, ou pour les ouvrages qui contribuent, par leur capacité de modulation, à la production d'électricité en période de pointe de consommation et dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie, ce débit minimal ne doit pas être inférieur au vingtième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage évalué dans les mêmes conditions ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Toutefois, pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que la société Usine électrique de Malviala a déposé une demande d'autorisation environnementale en vue de créer une microcentrale hydroélectrique sur le cours d'eau dénommé l'Ance du Sud, classé en liste 1 et en liste 2, au titre des 1° et 2° de l'article L. 214-17 du code de l'environnement de sa source jusqu'au barrage de Saint-Préjet, et du barrage de Poujas jusqu'à sa confluence avec l'Allier, par arrêtés du 10 juillet 2012 du préfet de la région Centre, préfet coordonnateur du bassin Loire-Bretagne. Le projet sollicité consiste à dériver les eaux de ce cours d'eau au moyen d'un seuil existant devant être restauré et nivelé, vers un canal de dérivation de 25 mètres de longueur, puis vers une conduite forcée de 1 535 mètres de long, les eaux étant ensuite restituées en aval des installations par un canal de fuite d'environ 20 mètres, un bâtiment destiné à accueillir la turbine devant être réalisé sur la rive gauche. Pour refuser cette autorisation par l'arrêté attaqué, la préfète de la Lozère s'est fondée sur les motifs que ce projet constitue un obstacle à la continuité écologique et qu'il n'est pas compatible avec les règles n° 2 et n° 4 du schéma d'aménagement et de gestion des eaux du Haut-Allier.
5. En premier lieu, si la société requérante soutient à nouveau en appel que l'arrêté en litige ne tient pas compte des intérêts permettant de concilier une gestion équilibrée de la ressource en eau avec les objectifs fixés par la loi en matière de politique énergétique, elle ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal. En outre, il ne résulte pas de l'instruction qu'en prenant l'arrêté en litige, eu égard aux inconvénients induits par cet ouvrage de prise d'eau tels que relevés par les services de l'Etat dans leurs avis des 30 août 2019 et 3 septembre 2019, la préfète de la Lozère n'aurait pas pris en compte ces objectifs et n'aurait pas assuré la bonne répartition de cette ressource entre son usage à fin de production d'électricité d'origine hydraulique et les autres usages de la ressource en eau, afin de respecter l'objectif de gestion équilibrée et durable de cette ressource naturelle. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des objectifs fixés par la loi en matière de politique énergétique et du principe de gestion équilibrée de la ressource en eau doivent être écartés.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 214-108 du code de l'environnement : " Les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux qui jouent le rôle de réservoir biologique au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 sont ceux qui comprennent une ou plusieurs zones de reproduction ou d'habitat des espèces de phytoplanctons, de macrophytes et de phytobenthos, de faune benthique invertébrée ou d'ichtyofaune, et permettent leur répartition dans un ou plusieurs cours d'eau du bassin versant ". Aux termes de l'article R. 214-109 du même code dans sa version antérieure à la décision nos 435026, 435036, 435060, 435182, 438369 du 15 janvier 2021 du Conseil d'Etat : " Constitue un obstacle à la continuité écologique, au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 et de l'article R. 214-1, l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants :/ 1° Il ne permet pas la libre circulation des espèces biologiques, notamment parce qu'il perturbe significativement leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri ;/ 2° Il empêche le bon déroulement du transport naturel des sédiments ;/ 3° Il interrompt les connexions latérales avec les réservoirs biologiques ; / 4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques. ".
7. Il est constant que le projet en litige se situe sur une partie de l'Ance du Sud qui constitue un cours d'eau classé en liste 1 annexée à l'article L. 214-17 précité et identifié en tant que réservoir biologique, au sens de l'article R. 214-108 du code de l'environnement, dans le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux Loire-Bretagne. Il résulte de l'instruction, en particulier du dossier de demande d'autorisation, que le projet d'installation consiste à restaurer et niveler un ancien seuil de prise d'eau d'une longueur de 5 mètres et d'une hauteur de 5 centimètres au-dessus du terrain naturel sur ledit cours d'eau et que la crête du seuil sera ajustée sur les fondations existantes et surélevée de 3 centimètres. En outre, les eaux doivent être dirigées vers la centrale projetée au moyen d'un canal de dérivation, à réhabiliter et restaurer, d'une longueur de 25 mètres puis acheminées jusqu'à l'usine par une conduite forcée enterrée sur une longueur de 1535 mètres, et les eaux étant restituées au cours d'eau par un canal de fuite de 20 mètres, de sorte qu'un linéaire de 1700 mètres d'eau sera court-circuité, passage dans l'usine compris. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'avis en date du 30 août 2019 de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Occitanie et de l'avis en date du 3 septembre 2019 de la direction régionale Auvergne-Rhône-Alpes de l'Agence française de la biodiversité, que l'installation projetée aura pour effet, dans la partie court-circuitée du cours d'eau, de réduire le débit réservé à 200 litres par seconde (l/s) du 1er août au 15 novembre, et à 140 l/s le reste de l'année et que, par croisement des débits classés sans et avec le débit réservé, l'installation projetée entraînera la dérivation de 55 % des débits naturels et que le tronçon court-circuité se retrouvera en débit d'étiage pendant 80 % de l'année. Il résulte ainsi de ces éléments que cet ouvrage de prise d'eau, qui ne laisse transiter à son aval que le débit minimum biologique ou un débit inférieur à celui-ci une majeure partie de l'année et qui a pour effet de modifier la quantité et la variabilité des débits et de leur écoulement, est de nature à réduire la hauteur d'eau compliquant la libre-circulation des espèces et d'augmenter les risques d'ensablement et de colmatage dans un contexte géologique aggravant d'arène granitique. La société appelante fait valoir en cause d'appel que l'étude complémentaire sur l'hydrologie réalisée en septembre 2022 par le bureau d'études Cincle infirme le caractère substantiel de l'impact du projet sur l'hydrologie du cours d'eau. Toutefois, la société pétitionnaire ne conteste pas que le débit minimum biologique ne permet pas de garantir une fonctionnalité optimale des milieux hydrologique et aquatique, que l'étude n'exclut par ailleurs pas un engravement durable plus important qu'actuellement et que le mode de gestion retenu de l'usine induit par cette nouvelle étude, différent de celui présenté dans le dossier de demande d'autorisation déposé le 10 juillet 2019, n'est pas justifié. A cet égard, il ne résulte pas de l'instruction que les critiques méthodologiques que cette étude énonce, en particulier la circonstance que l'incidence hydrologique reposerait sur une hypothèse majorée par rapport à la réalité, notamment aux arrêts intempestifs de la centrale hydroélectrique, sont de nature à remettre en cause les effets significatifs de la réduction des débits et du cloisonnement du cours d'eau, par le dimensionnement du projet d'installation alors que son évaluation repose notamment sur les données hydrologiques de l'étude d'impact fournie par la société elle-même, sur le régime hydrologique, sur le transit sédimentaire et la libre-circulation des espèces aquatiques. Par suite, et dans ces conditions, eu égard à cette modification substantielle de la continuité écologique tant sédimentaire que piscicole, l'installation projetée doit être regardée comme constituant un obstacle au sens des dispositions précitées et comme contraire au classement de l'Ance-du-Sud dans la liste prévue par le 1° de l'article L. 214-17 du code de l'environnement.
8. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code de l'environnement : " (...) III. - Chaque bassin ou groupement de bassins hydrographiques est doté d'un ou plusieurs schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux fixant les objectifs visés au IV du présent article et les orientations permettant de satisfaire aux principes prévus aux articles L. 211-1 et L. 430-1. Le schéma prend en compte l'évaluation, par zone géographique, du potentiel hydroélectrique établi en application du I de l'article 6 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. / IV. Les objectifs de qualité et de quantité des eaux que fixent les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux correspondent : / 1° Pour les eaux de surface, à l'exception des masses d'eau artificielles ou fortement modifiées par les activités humaines, à un bon état écologique et chimique (...) ; / XI. - Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (...) ". L'article L. 212-3 du même code dispose que: " Le schéma d'aménagement et de gestion des eaux institué pour un sous-bassin, pour un groupement de sous-bassins correspondant à une unité hydrographique cohérente ou pour un système aquifère fixe les objectifs généraux et les dispositions permettant de satisfaire aux principes énoncés aux articles L. 211-1 et L. 430-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 212-5-2 du même code : " Lorsque le schéma a été approuvé et publié, le règlement et ses documents cartographiques sont opposables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de toute installation, ouvrage, travaux ou activité mentionnés à l'article L. 214-2. / Les décisions applicables dans le périmètre défini par le schéma prises dans le domaine de l'eau par les autorités administratives doivent être compatibles ou rendues compatibles avec le plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau dans les conditions et les délais qu'il précise. ".
9. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code de l'environnement que le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), d'une part, fixe, pour chaque bassin ou groupement de bassins, les objectifs de qualité et de quantité des eaux ainsi que les orientations permettant d'assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, et d'autre part, détermine à cette fin les aménagements et les dispositions nécessaires. En outre, lorsque cela apparaît nécessaire pour respecter ses orientations et ses objectifs, ce schéma directeur peut être complété, pour un périmètre géographique donné, par un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) qui doit être compatible avec lui et qui comporte, en vertu de l'article L. 212-5-1, d'une part, un plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques, et d'autre part, un règlement pouvant édicter les obligations définies au II de cet article. En vertu du XI de l'article L. 212-1 et de l'article L. 212-5-2 du code de l'environnement, les décisions administratives prises dans le domaine de l'eau, dont celles prises au titre de la police de l'eau en application des articles L. 214-1 et suivants du même code, sont soumises à une simple obligation de compatibilité avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux et avec le plan d'aménagement et de gestion durable du schéma d'aménagement et de gestion des eaux. Pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire pertinent pour apprécier les effets du projet sur la gestion des eaux, si l'autorisation ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, en tenant compte de leur degré de précision, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard chaque orientation ou objectif particulier. En revanche, les décisions administratives prises au titre de la police de l'eau en application des articles L. 214-1 et suivants sont soumises à une obligation de conformité au règlement du schéma d'aménagement et de gestion des eaux et à ses documents cartographiques, dès lors que les installations, ouvrages, travaux et activités en cause sont situés sur un territoire couvert par un tel document.
10. D'une part, le plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques du schéma d'aménagement et de gestion des eaux du bassin versant du Haut-Allier approuvé par arrêté du 27 décembre 2016 énonce comme objectif général 4, " [l'optimisation] des fonctionnalités des écosystèmes aquatiques en faveur de la biodiversité ", en visant à la préservation des espèces patrimoniales, dont l'écrevisse à pattes blanches, et le décline en un sous-objectif 4.1 d'inciter à la préservation et/ou la restauration de la continuité écologique et en un sous-objectif 4.3 de préserver les zones humides, la biodiversité et les têtes de bassin versant. D'autre part, la règle 2 " Protéger les zones humides " de ce même schéma indique que les enjeux hydrologiques majeurs, notamment en période d'étiage, des zones humides sur ce bassin contribuent au bon fonctionnement des cours d'eau et au maintien d'espèces aquatiques à haute valeur patrimoniale. Cette règle se réfère et vise à préciser les conditions d'application du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Loire-Bretagne, en sa disposition 8B-1 qui tend à éviter l'installation de projets de nature à impacter une zone humide. Il résulte de l'instruction que le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux 2022-2027 du bassin Loire-Bretagne a été adopté le 3 mars 2022. Ainsi, et dès lors que l'autorisation en litige est soumise à un contentieux de pleine juridiction, sa légalité doit être appréciée par rapport à ce document et non au document antérieurement en vigueur. Selon l'objectif 8B-1 qui demeure de ce schéma, " Les maîtres d'ouvrage de projets impactant une zone humide cherchent une autre implantation à leur projet, afin d'éviter de dégrader la zone humide. À défaut d'alternative avérée et après réduction des impacts du projet, dès lors que sa mise en œuvre conduit à la dégradation ou à la disparition de zones humides, la compensation vise prioritairement le rétablissement des fonctionnalités. À cette fin, les mesures compensatoires proposées par le maître d'ouvrage doivent prévoir la recréation ou la restauration de zones humides, cumulativement : • équivalente sur le plan fonctionnel, • équivalente sur le plan de la qualité de la biodiversité, • dans le bassin versant de la masse d'eau. En dernier recours, et à défaut de la capacité à réunir les trois critères listés précédemment, la compensation porte sur une surface égale à au moins 200 % de la surface, sur le même bassin versant ou sur le bassin versant d'une masse d'eau à proximité ". Et dans le cadre de la gestion des espèces patrimoniales aquatiques et des continuités écologiques, l'orientation du sous-objectif 9B de ce schéma " vise à la conservation ou la restauration des espèces indigènes inféodées aux milieux aquatiques et les habitats des écosystèmes aquatiques de la source à la mer dans lesquels ces espèces assurent leurs cycles biologiques. ". Ce même sous-objectif précise que " L'amélioration de la gestion des espèces patrimoniales inféodées aux milieux aquatiques et aux zones humides contribue à la gestion globale de la biodiversité et s'inscrit dans une synergie avec les schémas régionaux de cohérence écologique. Elle s'appuie sur deux axes principaux : • la protection, la restauration et la gestion des habitats naturels des espèces patrimoniales en eau douce et en estuaire (écrevisses à pattes blanches, moules perlières, populations endémiques de truites, crevettes blanches, amphibiens...), dont certains sont menacés par différentes pressions : l'évolution des peuplements est le reflet de l'évolution du fonctionnement du milieu. La conservation ou le rétablissement du bon fonctionnement des milieux (notamment par les orientations 1C et 1D) sont les principales actions de gestion à même de garantir la viabilité pérenne et ainsi le bon état durable des peuplements ".
11. Comme il a été dit plus haut, il résulte de l'instruction que le cours d'eau l'Ance du Sud, de sa source jusqu'au pont du Château du Fort, a été identifié par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin Loire-Bretagne comme un réservoir biologique nécessaire au maintien du très bon état écologique de la masse d'eau et que l'ensemble des ouvrages faisant l'objet de la demande d'autorisation est situé sur ce cours d'eau. Il résulte de l'instruction que pour apprécier la compatibilité du projet litigieux avec les orientations et objectifs de ce schéma directeur et avec la partie programmatique du schéma d'aménagement et de gestion des eaux du bassin versant du Haut-Allier, les services de l'Etat se sont placés à l'échelle de la masse d'eau de l'Ance du Sud.
12. Dans son avis en date du 3 septembre 2019, l'Agence française pour la biodiversité a relevé que plusieurs espèces protégées inféodées aux milieux aquatiques, en particulier la moule perlière, l'écrevisse à pattes blanches et la loutre, étaient présentes sur le bassin de l'Ance du Sud et souligne l'insuffisance des prospections de l'étude d'impact de la société pétitionnaire quant à l'incertitude persistante sur la présence ou non d'individus protégés sur le secteur concerné par le projet. De même, dans son avis en date du 30 août 2019, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Occitanie a mis en exergue la présence possible d'écrevisses à pattes blanches dans le secteur appelant des investigations spécifiques nocturnes, mentionnée également dans l'étude d'impact, et souligne la possible présence de la moule perlière dont le cas n'est pas évoqué dans l'étude d'impact alors que ce cours d'eau en a comporté des populations. Il résulte également de l'instruction, et notamment de l'inventaire astacicole de ce cours d'eau réalisé en septembre 2022 par le bureau d'études " Saules et Eaux ", que la présence significative d'une population d'écrevisses à pattes blanches est confirmée dans le tronçon court-circuité, et que la faible densité observée établit la fragilité de la colonisation par l'espèce. En outre, il résulte de l'instruction et n'est pas sérieusement contesté que l'insuffisance dans la caractérisation morphologique de l'étude d'impact a conduit à une sous-estimation des zones de reproduction des espèces piscicoles. A cet égard, la société requérante ne démontre pas que son projet n'aurait pas pour effet d'augmenter la température de l'eau et que la gestion des vannes de dessablage par elle proposée pour le transit sédimentaire suffirait à prévenir tout risque d'ensablement du lit du cours d'eau, et à réduire les autres incidences négatives de la réduction des débits par diminution de la lame d'eau. Par suite, eu égard à la diminution de la capacité d'accueil pour les écrevisses à pattes blanches du fait de la réduction des débits dans le tronçon court-circuité, par l'effet d'une augmentation de l'ensablement du lit, d'un enchâssement des sédiments grossiers et par l'accentuation de la rétention des différents seuils en enrochement observés, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que, contrairement à ce qu'a estimé la préfète de la Lozère, son projet serait compatible avec les objectifs fixés par le schéma d'aménagement et de gestions des eaux du bassin versant du Haut-Allier, et ceux fixés par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin Loire-Bretagne, en particulier concernant la préservation des écosystèmes aquatiques en faveur de la biodiversité.
13. Dans son avis en date du 3 septembre 2019, l'Agence française pour la biodiversité, qui a examiné l'étude d'impact jointe au dossier de demande s'agissant des zones humides, a relevé que, quelle que soit l'origine de l'humidité, les analyses de flore ou de sol montrent la présence d'espèces ou d'horizons typiques des zones humides et qu'aucun élément technique ne permet de vérifier la conclusion du porteur du projet, à qui il incombe d'énoncer les incidences de son projet sur la ressource en eau et la préservation des zones humides, sur l'absence d'impact de l'installation projetée sur lesdites zones. Alors que les données identifiées relatives aux sols et à la végétation qui constituent des critères fiables de diagnostic font état de la présence d'habitats et de onze espèces végétales caractéristiques des zones humides, parmi lesquelles un étroit ourlet de hautes plantes herbacées typiques des zones humides, et que l'étude d'impact admet que la période de réalisation de l'inventaire en septembre 2017, qui doit permettre en principe l'acquisition d'informations fiables, n'a certainement pas permis d'inventorier la totalité des végétaux, il résulte de l'instruction, notamment de la teneur de l'avis susmentionné, que les éléments de la demande d'autorisation ne permettent pas de vérifier suffisamment la caractérisation et la prise en compte de la nature humide de zones concernées par le projet. Par conséquent, le dossier de demande de la société appelante ne pouvait être regardé comme justifiant de la compatibilité de son projet avec les orientations fixées par le schéma d'aménagement et de gestion des eaux du Haut-Allier en ce qui concerne la protection des zones humides.
14. Enfin, si s'agissant des objectifs de qualité du plan d'aménagement et de gestion durable du schéma d'aménagement et des gestions des eaux du Haut-Allier, la société appelante soutient que la préfète de la Lozère a commis une erreur quant à l'appréciation des effets négatifs du projet sur la qualité physico-chimique au regard des espèces piscicoles et astacicoles, il résulte de l'instruction que la préfète aurait pris la même décision si elle s'était uniquement fondée sur les autres motifs ainsi retenus aux points précédents.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que la société appelante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Usine électrique de Malviala est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Usine électrique de Malviala et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet de la Lozère.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.
Le président-assesseur,
X. Haïli
Le président,
D. ChabertLa greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL21772