Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 31 août 2022 et des mémoires en réplique enregistrés les 6 juin 2023 et 21 septembre 2023, la société civile immobilière Métro, représentée par Me Jauffret, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2022 par lequel le maire de Toulouse a délivré à la société Caso Patrimoine un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la construction d'une grande surface de secteur 2 de 2 975,94 m² de surface de vente sur le site de l'ancien cinéma UGC ;
2°) de mettre respectivement à la charge de l'Etat, de la commune de Toulouse et de la société Caso Patrimoine une somme de 3000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu'elle est introduite dans le délai de recours contentieux ;
- elle justifie d'un intérêt pour agir contre la décision contestée dès lors qu'elle est le bailleur de l'immeuble en face du projet de transfert de l'enseigne Fnac, son précédent locataire, et que le projet est susceptible d'affecter son activité d'acquisition et de gestion d'immeubles de façon certaine et directe au regard de la localisation du local loué et de sa surface ;
- l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial en date du 24 mars 2022 est entaché d'irrégularité en ce qu'elle n'a pas été convoquée en séance devant cette commission en méconnaissance des articles R. 752-34 et R. 752-36 du code de commerce ;
- la commission nationale a commis une erreur manifeste d'appréciation en rejetant pour irrecevabilité son recours préalable au motif que le projet ne portait pas atteinte à son activité de façon suffisamment directe et certaine, alors que la commercialité du centre-ville toulousain est fragile et que l'étude d'impact a exclu indûment le centre commercial Saint-Georges du périmètre d'analyse ;
- en outre, en réplique, il n'est pas démontré, en l'absence de pièces produites, que la procédure d'envoi des convocations à la réunion de la commission nationale ait été respectée au regard des exigences prévues par l'article R. 752-35 du code de commerce,
- ce moyen nouveau tiré du non-respect de l'article R. 752-35 du code de commerce doit être pris en compte par le report de la date de cristallisation en vertu de l'article R. 600-5 3ème alinéa du code de l'urbanisme.
Par des mémoires en défense enregistrés le 18 janvier 2023, les 19 et 25 septembre 2023, et un mémoire rectificatif enregistré le 20 octobre 2023, la société à responsabilité limitée Caso Patrimoine, représentée par Me Chavannes, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Métro une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la société requérante, dépourvue d'activité commerciale, ne justifie pas d'un intérêt à agir, les rapports entre le bailleur et son ancien locataire ne suffisant pas à lui conférer un intérêt à demander l'annulation du permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et cette autorisation n'est pas davantage de nature à affecter son activité civile, qui n'est pas concernée par la réglementation de l'urbanisme commercial et la concurrence entre commerçants ;
- en raison du caractère irrecevable de la requête de la société Métro, le moyen tiré de l'absence d'audition devant la Commission nationale de l'aménagement commercial est sans incidence sur la légalité de l'arrêté en litige ;
- les moyens relatifs à la difficulté de relocation de ses locaux et à la fragilité du centre-ville avec une vacance significative ne sont pas fondés ;
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 752-35 du code de commerce dont l'argumentaire est développé après la date de cristallisation fixée par l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme est irrecevable, alors que la requérante avait tout loisir de s'en prévaloir antérieurement.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 février 2023 et le 19 octobre 2023, la commune de Toulouse, représentée par la SCP Bouyssou et Associés, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que la cour sursoit à statuer sur le fondement de l'article L.600-5-1 du code de l'urbanisme et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Métro au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la société requérante ne justifie pas d'un intérêt à agir en sa seule qualité de bailleresse ; elle ne loue pas son local à un commerçant concurrent du projet contesté et rien ne lui interdit de louer ses locaux en les affectant à une autre activité que celle de son ancien locataire la Fnac ; le projet contesté est de nature à mettre un terme à une friche existante depuis plusieurs années ;
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 752-35 du code de commerce, développé après la date de cristallisation fixée par l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme, est nouveau et, par suite, irrecevable, alors que la requérante avait tout loisir de s'en prévaloir antérieurement et que la décision du Conseil d'Etat n° 439718 du 22 août 2023 ne peut justifier un report de la date de cristallisation des moyens ;
- surabondamment, ce moyen n'est pas fondé dès lors que le recours a été rejeté par la commission à l'unanimité des dix membres et les manquements invoqués ne sont pas nature à invalider la procédure.
En application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, la clôture immédiate de l'instruction est intervenue le 13 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,
- les observations de Me Jauffret représentant la société requérante,
- les observations de Me Lecarpentier, représentant la commune de Toulouse,
- et les observations de Me Courrech, substituant Me Chavannes, représentant la société Caso Patrimoine.
Considérant ce qui suit :
1. La société Caso Patrimoine a déposé le 26 août 2021 auprès des services de la commune de Toulouse (Haute-Garonne) une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la création d'un magasin de secteur 2 d'une surface de vente de 2 975,94 m² sis 9 allées Président Franklin Roosevelt et rue d'Austerlitz, dans le cadre d'un projet de réhabilitation d'un bâtiment accueillant auparavant l'ancien cinéma UGC et vacant depuis le 2 juillet 2019. La commission départementale d'aménagement commercial de la Haute-Garonne a rendu un avis favorable le 17 novembre 2021 concernant ce projet. Un recours administratif formé par la société Métro le 15 décembre 2021 à l'encontre de cet avis a été rejeté pour irrecevabilité par la Commission nationale d'aménagement commercial par une décision du 24 mars 2022. A l'issue de cette procédure, par un arrêté du 11 juillet 2022, le maire de Toulouse a délivré à la société Caso Patrimoine un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Par la présente requête, la société Métro demande l'annulation de cet arrêté en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir de la société Métro :
2. Il appartient à la cour saisie d'une requête dirigée contre un permis de construire en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale de s'assurer, le cas échéant d'office, au vu des pièces du dossier qui lui est soumis et indépendamment de la position préalablement adoptée par la Commission nationale d'aménagement commercial, que le requérant est au nombre de ceux qui ont intérêt pour agir devant le juge administratif et notamment, s'il s'agit d'un concurrent, que son activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise du projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial. (...) / A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du même code est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 600-1-4 du même code : " Lorsqu'il est saisi par une personne mentionnée à l'article L. 752-17 du code de commerce d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire mentionné à l'article L. 425-4 du présent code, le juge administratif ne peut être saisi de conclusions tendant à l'annulation de ce permis qu'en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu'il vaut autorisation de construire sont irrecevables à l'appui de telles conclusions ".
4. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 752-17 du code de commerce : " Conformément à l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, le demandeur, le représentant de l'État dans le département, tout membre de la commission départementale d'aménagement commercial, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial / (...) / A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent I est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire. (...) ".
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise d'un projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci, a intérêt, en cas d'avis favorable donné au projet par la commission départementale d'aménagement commercial puis, en cas d'avis favorable à nouveau donné par la Commission nationale d'aménagement commercial et en cas de délivrance du permis de construire, à former un recours contentieux contre ce permis en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Une personne propriétaire de locaux commerciaux situés dans les limites de la zone de chalandise d'un projet d'équipement commercial n'a intérêt à demander l'annulation de l'autorisation d'exploitation commerciale de ce projet que s'il est susceptible d'affecter son activité de façon suffisamment directe et certaine.
6. Il ressort des pièces du dossier que la société Métro est propriétaire d'un immeuble situé à l'angle des allées Président Franklin Roosevelt et du boulevard Carnot à Toulouse, en face du projet contesté, actuellement donné à bail et exploité depuis 1991 par le magasin à l'enseigne Fnac sur une surface globale de 5 800 m², qui a vocation à s'installer dans les nouveaux locaux objets du projet de permis de construire litigieux porté par la société Caso Patrimoine. La société requérante se prévaut de sa qualité de professionnelle de l'immobilier et des difficultés induites pour louer ses locaux professionnels ou commerciaux dans l'hyper centre de Toulouse, caractérisé selon elle par une fragilité commerciale. Toutefois, d'une part, ni la qualité de propriétaire bailleur de locaux civils ou commerciaux, ni sa qualité d'ancien bailleur de l'exploitant sous l'enseigne Fnac dont l'immeuble est situé en face du projet attaqué ne suffisent, à elles seules, à conférer un intérêt personnel, direct et certain à contester une autorisation d'exploitation commerciale. D'autre part, la société requérante ne démontre pas devant la cour les difficultés de location de son immeuble en centre-ville dont elle fait état, qui est précisément situé en face du projet en litige, ayant pour vocation d'accueillir un magasin sous l'enseigne Fnac occupant une surface de 6 000 m² dont 3 700 m² de surface de vente. Enfin, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que son précédent locataire, la Fnac, la quitte du fait de la concurrence, de la cessation de son activité ou du fait de la forte attractivité du nouveau projet commercial, la société requérante n'établit pas, par des considérations précises et étayées, en quoi le projet en litige serait susceptible d'affecter de façon directe et certaine son activité de bailleur et les activités exercées dans son immeuble. Elle ne démontre pas davantage en quoi les difficultés dont elle fait état dans sa recherche de potentiels locataires trouveraient leur origine, du fait de cette concurrence et de cette attractivité, dans l'autorisation d'exploitation commerciale accordée à la société pétitionnaire. Par suite, il n'est pas démontré que le projet soit susceptible d'affecter l'activité de la société requérante de façon suffisamment directe et certaine en sa qualité de propriétaire d'un immeuble situé dans les limites de la zone de chalandise d'un projet d'équipement commercial. Il suit de là que la fin de non-recevoir, opposée devant la cour par la commune de Toulouse et la société défenderesse, tirée du défaut d'intérêt à agir de la société Métro, doit être accueillie.
7. Il résulte de ce qui précède les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 11 juillet 2022 du maire de Toulouse doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée par la société requérante, qui a la qualité de partie perdante dans la présente instance, au titre des frais qu'elle a exposés à l'occasion de cette instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette société le versement d'une somme de 2 000 euros à la commune de Toulouse et une somme de 2 000 euros à la société Caso Patrimoine au titre des frais exposés par elles dans cette instance sur le même fondement.
D E C I D E:
Article 1er : La requête de la société Métro est rejetée.
Article 2 : La société Métro versera à la commune de Toulouse la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La société Métro versera à la société Caso Patrimoine une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Métro, à la commune de Toulouse, à la société à responsabilité limitée Caso Patrimoine et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la Commission nationale d'aménagement commercial.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.
Le rapporteur,
X. HaïliLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL21904