Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Jubil Intérim Alès a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, et de réparer les erreurs commises par l'administration dans la détermination du résultat déficitaire des exercices clos en 2015 et 2016.
Par un jugement n° 2002627 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2022, la société Jubil Intérim Alès, représentée par Me Alle et Me Bichard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, et de réparer les erreurs commises par l'administration dans la détermination du résultat déficitaire des exercices clos en 2015 et 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure d'imposition est irrégulière, l'administration ayant opéré une confusion entre elle et son gérant, en méconnaissance du principe d'indépendance des procédures ;
- aucun recours auprès du supérieur hiérarchique ou de l'interlocuteur n'a été accordé à son gérant ;
- les frais de déplacement et les frais de formation ont été engagés dans son intérêt et étaient ainsi déductibles de ses bénéfices ;
- c'est à tort que l'administration a remis en cause le provisionnement de pénalités appliquées par l'organisme recouvrant les cotisations sociales (URSSAF) ;
- les intérêts de retard seront déchargés par voie de conséquence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Jubil Intérim Alès ne sont pas fondés.
Une ordonnance du 5 décembre 2023 a prononcé la clôture de l'instruction à la même date en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chalbos,
- les conclusions de M. Clen, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Jubil Intérim Alès, qui exerce une activité de travail temporaire dans le Gard, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle lui ont été notifiés, par une proposition de rectification du 12 juin 2018, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi qu'une réduction du montant de ses déficits imputables à l'impôt sur les sociétés, au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016. Sa réclamation préalable ayant été rejetée, elle a sollicité la décharge des impositions supplémentaires devant le tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté sa demande par un jugement du 3 juin 2022. La société fait appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, la société soutient que l'administration s'est livrée à une confusion entre elle et son gérant, en méconnaissance du principe d'indépendance des procédures de contrôle visant des contribuables distincts. Il résulte toutefois de l'instruction que l'administration fiscale a procédé à une vérification de comptabilité de la société Jubil Intérim Alès et à un contrôle sur pièces de la situation de son gérant et qu'elle a, dans le cadre de ces deux procédures, adressé à chaque contribuable une proposition de rectification, une réponse aux observations du contribuable et un rejet de la réclamation préalable. Si les pièces de la procédure adressées à la société font allusion aux revenus distribués à son gérant et celles adressées à ce dernier font référence à la vérification de comptabilité de la société, elles ne tirent en revanche de conséquences financières qu'à l'égard du contribuable qu'elles concernent. Dans ces conditions, la circonstance que la première page de la réponse aux observations de la société comporte, par erreur, la mention non rayée suivante " les rectifications qui vous ont été proposées sont maintenues partiellement (...) " à la place de la mention " les rectifications qui vous ont été proposées sont maintenues en totalité " n'est pas de nature à révéler une confusion entre la société Jubil Intérim Alès et son dirigeant. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'indépendance des procédures de contrôle diligentées à l'égard de la société et de son dirigeant doit être écarté.
3. En second lieu, la société ne peut utilement se prévaloir, en vertu du principe d'indépendance des procédures, de ce que son gérant, contribuable distinct, aurait été privé de la possibilité de former un recours auprès du supérieur hiérarchique ou de l'interlocuteur.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions supplémentaires :
S'agissant de la réduction des déficits imputables sur l'impôt sur les sociétés :
4. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) / 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) / 2. Les sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l'impôt (...) ".
5. Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'administration a réintégré dans les bénéfices de la société des sommes comptabilisées en tant que frais de déplacement de son gérant à Paris, à hauteur de 10 269 euros au titre de l'exercice 2015 et 11 378 euros au titre de l'exercice 2016, en considérant que de tels frais n'avaient pas été engagés dans l'intérêt de l'entreprise mais correspondaient à des dépenses personnelles du gérant. Ces frais, qui consistent notamment en des billets de train et des notes de restaurants gastronomiques, auraient été exposés dans le cadre de la participation de la société Jubil Intérim Alès au réseau d'entreprises d'intérim " RESEO ". L'administration a toutefois relevé que les réunions proposées dans ce cadre portent sur la stratégie de groupe, ce qui est sans rapport avec l'activité de la société Jubil Intérim Alès, agence d'exploitation sans pouvoir décisionnel au niveau du groupe. En outre, l'administration a relevé qu'une partie de ces frais, réglés par la carte American Express du gérant de la société, n'était pas assortie de justificatifs et que d'autres avaient été exposés le week-end lors d'un séjour dans un château. Dans ces conditions et en l'absence de tout élément justificatif pertinent du caractère professionnel des frais en litige par la société, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que les dépenses litigieuses n'ont pas été exposées dans l'intérêt de l'entreprise et devaient donc être réintégrées à ses bénéfices des exercices 2015 et 2016.
7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'administration a réintégré dans les bénéfices de la société des sommes comptabilisée au titre de frais de formation, pour un total de 24 341 euros au titre de l'exercice 2015, soit, pour deux d'entre elles, parce que les factures n'avaient pas été établies au nom de la société, soit, pour les deux autres, parce que l'administration a estimé que ces frais n'avaient pas été engagés dans l'intérêt de l'entreprise. L'administration a ainsi relevé que ces deux dernières formations, intitulées " les fondamentaux managérials ", se sont déroulées pendant cinq jours dans un chalet particulièrement luxueux à Val-d'Isère. L'administration a relevé que l'un des participants n'était pas salarié de la société Jubil Intérim Alès, mais de la société holding B..., et que les deux autres participantes étaient une chef d'agence n'encadrant qu'un seul salarié et un agent commercial. Au cours du contrôle, la société n'a pu apporter aucune précision sur le programme du stage, ni sur l'intérêt de ces formations pour les participants, les fonctions managériales du groupe étant concentrées par M. A.... Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que les dépenses litigieuses n'ont pas été exposées dans l'intérêt de l'entreprise et devaient donc être réintégrées à ses bénéfices de l'exercice 2015.
8. En troisième et dernier lieu, le moyen de la société relatif à la remise en cause, par l'administration, du provisionnement en charge du montant des pénalités mises à sa charge par l'URSSAF doit être écarté par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 9 du jugement attaqué.
S'agissant des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
9. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) / II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ". Aux termes de l'article 205 de l'annexe II au même code : " La taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert (...) est déductible à proportion de son coefficient de déduction ". L'article 206 de la même annexe prévoit que : " I. - Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission. (...) / IV. (...) 2. Le coefficient d'admission est nul dans les cas suivants : / 1° Lorsque le bien ou le service est utilisé par l'assujetti à plus de 90 % à des fins étrangères à son entreprise (...) ".
10. Lorsque l'administration, sur le fondement de ces dispositions, met en cause la déductibilité de la taxe ayant grevé l'acquisition d'un bien ou d'un service, il lui appartient, lorsqu'elle a mis en œuvre la procédure de rectification contradictoire et que le contribuable n'a pas accepté le redressement qui en découle, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour soutenir que le bien ou le service acquis était utilisé à des fins étrangères à l'entreprise.
11. L'administration fiscale a remis en cause le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses correspondant aux frais de déplacement de son dirigeant, à hauteur de 627 euros au titre de 2015 et de 544 euros au titre de 2016. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 du présent arrêt que l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve que les dépenses en cause ont été engagées à des fins étrangères à l'exploitation de la société Jubil Intérim Alès. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration fiscale a rappelé la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces dépenses, déduite à tort.
En ce qui concerne les pénalités :
12. Il résulte de ce qui précède que, les impositions supplémentaires devant être maintenues, le moyen soulevé par la société et tendant à être déchargée des pénalités par voie de conséquence ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Jubil Intérim Alès est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Jubil Intérim Alès et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Barthez, président,
M. Lafon, président assesseur,
Mme Chalbos, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.
La rapporteure,
C. Chalbos
Le président,
A. BarthezLe greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL21664